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L'à-peu-près gère le provisoire qui dure !

par Slemnia Bendaoud

Nombreux sont ces tout jeunes Algériens qui n'ont désormais plus le cœur à l'ouvrage, la tête à se réaliser intra muros. Pour eux, l'Algérie n'est plus un cœur à prendre ! Encore moins «une part de gâteau à goûter» ou-comble des paradoxes- parfois même «une patrie à défendre» ! Leur future destination se doit -selon leurs aspirations- de mettre un terme à leur très difficile situation du moment !

Ils ne comprennent pas pourquoi, au lieu de réaliser des coupes budgétaires sur le train de vie des institutions publiques, l'on est, à un haut niveau de notre gouvernance, encore enclin à  demander au pauvre peuple de la basse société de «davantage serrer la ceinture» !

Ils ne savent pourquoi pas, non plus, ils supportent bien seuls cette austérité «provoquée ou préfabriquée» à un moment où les richesses ostentatoires des potes du régime redoublent de folie et prennent toute cette envergure qui leur donne le vrai tournis !

Ils sont complètement désemparés devant ce grand dérapage qui les exclut de figurer au centre des préoccupations de ceux à qui échut la gouvernance de la chose publique, à telle enseigne qu'ils ne savent plus à quel saint se vouer ni par quel bout de chemin refaire leur vie : braver la mer et ses nombreux dangers ou encore tenter le suicide qui met un terme à leur calvaire qui les ronge au plus profond d'eux-mêmes !

Ils sont tous conscients qu'ils n'émargent plus qu'à ce sinistre registre des laissés pour compte, que les aléas du temps ont fini par froisser et dont les pages de misère jaunissent davantage à chaque lever du jour, leur jetant en pleine figure tout un lot de nouvelles épreuves encore plus difficiles que les précédentes !

Ils n'ont en mémoire que l'image insupportable de cette misère noire qui les hante à tout moment et les attend à chaque tournant de leur vie, les traquant à la manière d'un vrai délinquant et les chassant de leur territoire d'expression ou de prédilection tels ces chiens errants qui écument les rues désertes ou quartiers aux murs blafards !

Ils ne craignent plus jamais aucun danger ! N'éprouvent, non plus, aucun goût à cette vie de chien qu'ils mènent à la peine, avec gêne, et qui les tient en otage, en dépit de toutes les manœuvres qu'ils auront tentées pour contourner l'écueil !

Dès lors qu'ils ont flirté avec cette mouise qui les enserre entre ses longs tentacules, ils sont désormais plus que jamais décidés à jouer leur va-tout : en dépit de tous les risques et même au péril de leur propre vie !

Ils veulent tous partir ! Ils désirent en groupe s'enfuir ! En solo et dans leur for intérieur, ils jurent de ne plus revenir à leur pays natal, car celui-ci symbolise, à leurs yeux, l'expression de leur échec, le mythe de leur bourreau de toujours, la hantise de cette guigne qui ne les quittera pas d'une semelle !

Mais partir où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Peu importe la manière, le mode de transport, la période, le groupe à intégrer, le radeau à monter ou la felouque à emprunter, la qualité des partants à accompagner dans leur grande aventure, le risque à courir et les conséquences à subir ou encourir ?!

Mais pourquoi donc ce choix assez osé et pour le moins très risqué ? L'à-peu-près qui gère le provisoire qui dure pour un pays qui perd désormais le nord en donne déjà à lui seul la réponse à la question posée !

Un pays qui se vide de la force vive en mesure de lui assurer son avenir et la pérennité de son devenir ne peut aller que droit dans le mur ! Il en constitue cet échec longtemps recommencé qui le prédestine à la disparition forcée ! Déjà annoncée ! À laquelle il ne pourra désormais plus renoncer ! Sauf à croire en ce miracle de fondamentalement se remettre en question et ensuite à totalement y travailler d'arrache-pied !

Mais qui peut remettre à la bonne raison des choses cette gouvernance si autiste d'un régime aussi autocratique ? Qui est donc en mesure d'y mettre pour de bon le holà qui bloquera à jamais cette «harga» dont souffre désespérément cette jeunesse tentée par l'aventure de «se prendre en charge» par elle-même, dans la perspective de disposer ailleurs de bien meilleures opportunités en vue de pleinement le réaliser ?

Dans un pays qui ne connaît comme durable stabilité que le long règne de sa gérontocratie qui défie la drastique règle de la pourtant si dure science de la biologie, il est exclut de rêver au moindre changement dans un climat aussi sceptique à toute chose qui bouge. Aller jusqu'à sacrifier la plus sûre de ses richesses et la génération la plus apte à lui assurer son avenir sur l'autel d'une paternité qui s'inscrit dans la pérennité du régime revient à manifestement très vite dépouiller le pays de ses atouts les plus à même de le replacer à la place qui lui sied dans le concert des grandes nations du monde.

Cela signifie encore «brûler toutes les cartes» dont on dispose, de nature à plus tard le remettre sur selle pour ensuite revenir au plus vite au devant de la scène. Ignorer de la sorte un tel phénomène qui tue en nous-mêmes tout espoir de se régénérer, ne peut que mener à terme à une destruction en règle de la future société algérienne.

Le remède à ce fléau social passe nécessairement et impérativement par la «cassure de l'indifférence» des gouvernants vis-à-vis d'un si grave phénomène social qui n'a -à vrai-dire- pas sa raison d'être en Algérie, au vu des innombrables ressources et potentialités dont dispose le pays.

A ce «cri de détresse» lancé à pleins poumons par une jeunesse en «réel danger de mort», une «ouïe très sensible ou attentive» à leur écho de la part de la gouvernance du pays peut toutefois atténuer ce «drame algérien» qui aura jusque-là emporté de nombreuses vies humaines, sans pour autant jamais réussir à préoccuper les hommes chargés de gérer la chose publique. Sans jamais qu'ils s'en inquiètent outre mesure !

Que peut donc bien faire ou réellement provoquer le «suicide utile» des kamikazes et autres «hasardeuses têtes piquées en haute mer» des harragas algériens devant tant de sens interdits érigés en véritables paravents comme écho révulsif associé aux réponses négatives à leurs doléances ?

Marginalisés jusqu'au plus profond de leur âme, malmenés par une bureaucratie menaçante, corrompue et agaçante, terrorisés par une attitude provocante des agents de l'Etat, les jeunes générations se sentent déjà exclues et très humiliées au sein même de leur propre pays, ville ou quartier.

Contre cette véritable exclusion qui ne dit pas son nom, ils passent à l'attaque ! Du coup, ils ne craignent plus le péril de l'exil, le danger marin, le risque de l'aventure et de l'inconnu, la spirale de la galère, les effets terribles d'une durable misère et surtout ces viles méthodes de vivre d'expédients ou le dénuement qui les aideront à «se prendre en charge» là ou le mérite se conjugue avec effort et où le gain se compte en moments de sueur ! Ils cherchent à vivre dans «la peau et la logique» des gens puissants et bosseurs, ceux qui gagnent leur pain quotidien «à la force des jarrets et à la sueur de leur front». Succomber au danger de la mer dans leur quête de mieux-être ou mieux-vivre semble les dédouaner de cet esprit d'attentistes et de dociles citoyens qui s'est emparé de leurs pairs, préférant -faute d'autre alternative- se calfeutrer dans l'inertie et la léthargie qui les ronge au quotidien et les tue à petit feu.

Tous conscients que sur un territoire en mouvement continu, il ne sert à rien de construire sur la durée ni même de se projeter dans le futur. Raison pour laquelle sa gouvernance préfère ce «vivre au jour le jour» afin de pouvoir manœuvrer rapidement l'embarcation dans le sens qui sauvera l'équipage à bord. Quant à faire arrimer tout son monde à bon port, cela ne lui a probablement guère effleuré l'esprit !

Au rythme des vagues qui secouent assez sérieusement la coque du navire algérien, son commandant de bord rame dans le sens que lui dicte son humeur matinale. En tentant d'éviter la houle, il navigue à vue ! Il improvise un itinéraire de secours à mesure qu'il rencontre des embûches ou craint les fortes tempêtes sur le tracé de son trajet initial. Cette instabilité chronique et surtout durable le contraint à différer à plus tard tous ses nombreux programmes, et autant de décisions qui se trouvent ainsi repoussées à une date ultérieure, si ce n'est carrément remises en cause ! D'où ce provisoire qui dure encore et toujours !

En cette fin du mois de novembre 2017, Abidjan accueille le 5ème Sommet de l'UE-UA avec comme slogan «la jeunesse africaine». Et l'Algérie y participe, parmi tant d'autres nations concernées. Cette véritable richesse des pays du Sud inquiète sérieusement ceux de l'hémisphère nord de la planète.

Ici et là, pour des raisons de sécurité ou encore pour des considérations de bon voisinage, on a comme cette impression de maudire cette Méditerranée qui charrie autant de migrants vers l'Occident, oubliant bien souvent ce grand nombre de disparus et de noyades en haute mer, sans pour autant lui demander des comptes sur ces colonisations assez longues ayant autrefois transité, mais dans le sens opposé à celui d'aujourd'hui !

N'est-ce pas, au regard de l'histoire de l'humanité, l'effet d'un simple retour de manivelle ? Le sous-développement «plutôt provoqué» des pays de la rive sud n'est-il pas le résultat catastrophique de l'invasion de l'Afrique par ces colons venant d'Europe ?

Et pourquoi donc faire porter le chapeau de ce très grave phénomène migratoire au seul continent africain ? Comment donc y remédier ? Comment surtout arriver, au plus, à vite rétablir cette injustice historique ?

Le considérer sous l'aspect de son volet sécuritaire «stricto sensu» aura été cette très grave erreur dans laquelle s'est fourvoyée l'Algérie à l'orée des années deux mille, en voulant certainement l'expédier d'un simple revers de la main.

Le badigeonnage tout comme le vernis apportés à l'aspect externe de ce fléau social qui demandait pourtant à être profondément éradiqué à l'image de la bâtisse à complètement restaurer, n'aura fait que faire revenir en surface le phénomène évoqué et précipiter la chute vers l'absolution du remède proposé. Du coup, tout est à refaire à présent !

Pire encore, l'Algérie n'est plus seulement ce pays de transit d'il y a une décennie. Elle est devenue une zone d'offre, grande pourvoyeuse de migrants clandestins ! Une ruche d'où sortent, en nuées d'oiseaux cherchant d'autres cieux ou plus tranquilles lieux, ces gens qui fuient à contrecœur le pays et sa misère ! Jouant en plus, malgré elle, ce rôle de relais pour le compte des populations des pays subsahariens.

A quand la fin de calvaire de ces «naufragés du désespoir» ou du dernier espoir qui mettent à nu cette mauvaise gouvernance algérienne, source de tous ses grands dérapages que ne peuvent, malheureusement, pour longtemps encore, occulter l'aporie de ces discours trompeurs et le comportement hypocrite de nos politiques ?