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L'Allemagne en crise politique, l'Europe inquiète

par Pierre Morville

Pour la première fois depuis 1949, l'Allemagne est plongée dans une grave crise politique : il n'y a toujours pas aujourd'hui après les élections du 24 septembre et après de nombreuses négociations infructueuses, d'une coalition de partis capable de s'unir pour donner une majorité de gouvernement au pays le plus riche, principale puissance économique européenne et le plus important en population (81,7 millions d'habitants) de l'Union européenne, dont l'Allemagne fut en 1957 l'un des pays fondateurs.

Comment en est-on arrivé là ? Lors de la campagne, personne en Europe, ni en Allemagne ne doutait pas qu'Angela Merkel, au pouvoir depuis douze ans allait de nouveau être élue pour la quatrième fois Chancelière de l'Allemagne (l'équivalent d'un poste de premier ministre avec beaucoup plus de pouvoirs) après la victoire électorale des partis qui traditionnellement la soutiennent. Le sien tout d'abord, qui associe la CDU et la CSU, les « « chrétiens-démocrates », avec les libéraux du FDP et les écologistes, « les « Verts ».

Première surprise les chrétiens-démocrates de la CDU-CSU n'ont obtenu que 33% des voix (-8,5% par rapport aux élections de 2013).  Les libéraux du FDP qui avaient obtenu moins de 5% des voix et qui avaient été alors exclus du parlement lors des élections de 2013, refont surface avec 10,7% des suffrages mais ont refusé de poursuivre l'alliance. Et les Verts ont des exigences fortes en matière d'environnement. Du coup, Angela Merkel ne dispose plus d'une majorité pour se faire désigner comme chancelière pour la quatrième fois. Surprise totale dans un pays connu pour sa modération et sa détestation des aléas politiques.

Les dernières années ont cependant montré une certaine usure des partis politiques traditionnels dominants qu'ils soient de centre droit ou du centre gauche : les socialistes du SPD, qui ont longtemps gouverné en alliance avec Angela Merkel n'ont réuni que 20% (-5,2%) des voix, leur plus mauvais score depuis l'après-guerre. A l'inverse, à la gauche de la gauche est apparu Die Linke qui se maintient avec 9,2% des voix (+,6%), passant devant les écologistes (8,9% des suffrages). Mais le grand choc électoral a été l'a très forte émergence d'un parti d'extrême droite et xénophobe, l'Alternative pour l'Allemagne (AFD) qui s'impose comme troisième force du pays avec 20,5% des votes soit une progression de + 7,9% par rapport aux élections de 2013. La future chambre des députés comprendra un nombre record d'élus, 709, contre 630 dans l'actuelle assemblée. Ce qui complique encore un peu plus la constitution d'un nouveau gouvernement.

Angela Merkel a clairement laissé entendre en début de semaine qu'elle ne se retirait pas de la compétition et qu'elle allait chercher à trouver un pacte majoritaire quitte à défaut, à diriger le pays avec une alliance minoritaire au parlement.

Quels sont les grands tiraillements qui secouent la classe politique allemande, connue en général par sa grande modération et amour du consensus ? Les électeurs du parti xénophobe AFD, les libéraux du FPD mais également beaucoup d'électeurs démocrates-chrétiens reprochent le trop grand accueil depuis deux ans des réfugiés en provenance des conflits du Moyen-Orient.

La générosité de chancelière Angela Merkel acceptant plus d'un million de réfugiés a été mal vécue, notamment dans les régions les plus pauvres de l'Allemagne, essentiellement à l'est du pays. Pourtant cette générosité et humanité incontestables renvoyaient également à un calcul démographique simple et pragmatique : l'Allemagne qui a depuis de nombreuses années une démographie négative, ne fait plus assez d'enfants et a besoin d'un apport extérieur de main-d'œuvre, de surcroits peu onéreux.

Les Verts demandent également des clarifications et des avancées sur le plan de la politique énergétique et environnementale : l'abandon progressif du nucléaire décrété par Angela Merkel est salué par les écologistes mais le charbon, le schiste et le pétrole sont également facteurs d'intenses pollutions. L'Allemagne est très riche, sans beaucoup de chômage, mais la politique très libérale en matière sociale et notamment de rémunérations a fait surgir ces dernières années des couches importantes de population qui souffrent d'une grande pauvreté : ce qui explique le maintien de Die Linke et le mécontentement de beaucoup d'électeurs socialistes.

L'Union européenne en partie bloquée

La balle est désormais dans le camp du président de la République (un poste en Allemagne plutôt discret) : Frank-Walter Steinmeier ne veut pas de nouvelles élections. Il estime que les partis ont reçu un mandat des citoyens en septembre et que leur devoir consiste à conclure un compromis pour former un nouveau gouvernement. Pas facile.

Et le débat est regardé avec beaucoup d'attention par l'ensemble des pays européens.

C'est en effet une crise de plus pour une UE déjà largement secouée depuis plusieurs années.          L'Allemagne joue en effet un rôle de leader de fait de l'Europe sur beaucoup de dossiers sur une ligne politique plutôt mesurée et prudente, à quelques exceptions près comme ce fut le cas sur la « fessée » scandaleuse donné à la Grèce. L'Union européenne ne va pas très bien, notamment depuis le Brexit, le départ de la Grande-Bretagne, la 3ème puissance avec l'Allemagne et la France de l'ensemble européen.

L'isolationnisme américain, la stratégie à surprises de Vladimir Poutine, la crise permanente au Moyen-Orient, région frontalière de l'UE, la montée de courants populistes et nationalistes en Europe même, sont autant de source de soucis.

Négociation de la sortie du Brexit, création d'un Fonds monétaire européen qui se substituerait en partie au FMI, renforcement de la zone euro : les débats immédiats souhaités par la Commission européenne ne manquent pas. « Nous ne pouvons pas arrêter notre travail seulement parce qu'il y a des élections dans un pays ou qu'on tente de former une coalition gouvernementale dans un autre » a notamment déclaré mardi le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis. Certes. Mais il ne peut y avoir de réponses européennes sans accord explicite d'un gouvernement allemand qui ne sera désigné au mieux qu'en 2018.