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Islam par-ci, islam par-là

par Paris : Akram Belkaïd

Ah, la France et ses grands débats intellectuels? Bien sûr, je vous l'accorde, l'actualité morose et inquiétante oblige à s'interroger sur l'avenir. A Washington ou Londres, on parle ainsi de la menace récurrente d'un grand krach financier plus puissant que celui de 2008. A Beyrouth ou au Caire, on ne doute plus de l'imminence d'une guerre, encore une, au Proche-Orient et la seule interrogation concerne le lieu et la raison immédiate de son déclenchement. Il y a quelques jours, à Copenhague, des scientifiques ont de nouveau tiré le signal d'alarme à propos de l'état de la planète et de l'absence de préparation sérieuse aux conséquences du réchauffement climatique.

Mais en France, pendant ce temps-là, il n'est question, ou presque, que des musulmans. Absent pendant quinze jours et parti en reportage sur des fronts proche-orientaux bien tourmentés, j'ai malgré tout apprécié ces deux semaines de déconnexion vis-à-vis de cet opprobre. Un bruit permanent engendré par la combinaison démoniaque entre les réseaux sociaux, les chaînes d'information en continu et quelques spécialistes de tout et de rien qui ne perdent aucune occasion pour ouvrir un clapet qui mériterait pourtant quelques repos. A dire vrai, le retour est rude? Islam par-ci, islam par-là : impossible d'y échapper. Prenons l'exemple de Manuel Valls, cet ancien Premier ministre qui a bien changé depuis l'époque, c'était en 2006, où il plantait « un olivier pour la paix » en exigeant des sanctions internationales contre Israël.

Invité par le quotidien espagnol El Pais, le naufragé de la vraie fausse gauche française a livré ce commentaire à propos des quêtes identitaires qui affecteraient l'Europe : « Tous les pays souffrent d'une crise d'identité culturelle, parce qu'il y a la mondialisation, la crise politique, les réseaux sociaux, le problème des réfugiés. Surgissent dans nos sociétés, par exemple dans la société française, le problème de l'Islam, des musulmans. Tout cela nous interroge sur ce que nous sommes. » Voilà qui est clair, qui est dit et qui tranche avec les circonvolutions habituelles. Le musulman, pas l'islamiste, pas le radicalisé, pas le djihadiste, non, le musulman est « le » problème. Marine, voilà pour toi une nouvelle recrue !

Dans le tintamarre actuel, il s'agit de garder son sang-froid et de ne pas ajouter du bruit aux vociférations. La classe politique française est en déshérence. Elle n'a pas tiré la moindre leçon de la victoire d'un quasi-inconnu à la présidence de 2016. De nombreuses personnalités sont dans l'incapacité de comprendre ce qui se passe et donc de se renouveler, d'imaginer un autre discours, d'autres formes de pensée et d'actions politiques. La confusion est totale, dogmes et principes volent en éclat. Il n'est pas étonnant alors que des ambitieux se raccrochent à la première branche venue, celle du populisme et de la mise en cause des minorités. C'est vieux comme le monde. Aujourd'hui, les opinions publiques européennes penchent de plus en plus à droite et le racisme anti-musulman se camoufle encore dans les oripeaux de la liberté d'expression. Alors, les quêteurs de mandat, les recalés qui rêvent encore d'Elysée (ou juste d'un poste ministériel voire d'un siège au Sénat) s'engouffrent dans cette brèche quitte à attiser l'islamophobie.

Pourquoi s'en priveraient-ils ?

Les médias et leurs intellocrates appointés s'en donnent eux aussi à cœur joie. Prenez Finkielkraut, « penseur » dont la logorrhée anti-musulmane (et anti-Palestinienne) est omniprésente (y compris sur le service public). Pour lui, l'initiative « balance ton porc », qui fait référence aux dénonciations de salopards coupables d'agressions sexuelles ou de harcèlement contre les femmes serait une sorte de complot pour détourner l'attention des vrais problèmes. Lesquels ? L'Islam bien entendu. Qu'un tel individu puisse continuer à occuper comme il le fait l'espace médiatique sans jamais que ses outrages et outrances ne le décrédibilisent est pour moi un mystère. Mais bon, dans un pays où une étrange coutume fait que même les plagiaires ou les botulo-affabulateurs sont parés de prestige (médiatique), il ne faut guère s'étonner qu'un tel imprécateur dispose d'une telle audience.

Que faire ? Attendre que cela passe ? C'est une option même si elle peut se révéler hasardeuse car on se demande bien comment ces aboyeurs vont se calmer. On se dit même qu'un pire non encore imaginé se prépare pour dans quelques années. Qu'un chemin de souffrances se pave, polémique après polémique. En attendant d'y être confronté, on peut, bien sûr, se prémunir en coupant le son de manière régulière. Rien n'est plus oppressant que le vacarme des réseaux sociaux, leurs appels incessants à s'indigner pour tout et pour rien (alors que l'indignation comme le mépris doivent être dépensés avec parcimonie). Il y a tout un débat pour savoir si ces derniers sont le reflet de la « vraie vie » ou s'ils ne sont que des espaces virtuels sans règles ni liens avec le réel. Sans avoir à trancher, on peut juste se dire que l'on ne perd rien à s'en éloigner de temps à autre.

Cela ne dispense pas d'appréhender le danger qui guette. Et de s'y préparer.