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S'accrocher au pouvoir, le choix du pire

par Abed Charef

Robert Mugabe a accédé au pouvoir en même temps que Chadli Bendjedid. Il a régné pendant les années Chadli, la décennie noire et les années Bouteflika. Pour quel résultat ?

Un président âgé, en bout de course, s'accrochant à son passé de résistant pour justifier son maintien au pouvoir, alors qu'une bonne partie du pays le soupçonne de vouloir organiser une succession au profit d'une personne de son proche environnement familial. Face à lui, se tient un autre ancien résistant, ou présenté comme tel, récemment destitué mais à qui on attribue encore un immense pouvoir. Ancien patron des services spéciaux, disposant de nombreuses connexions à l'international nouées lorsqu'il était en exercice, il est réputé disposer d'une très grande influence.

En embuscade derrière le président en poste, de jeunes loups, gravitant autour du premier cercle familial, mènent une vie tapageuse et gèrent des fortunes immenses. Ils ont tissé des liens, fait fortune en un temps record, obtenant une succession de privilèges grâce à leur proximité avec les cercles exerçant l'autorité et avec les réseaux clientélistes qui leur ouvrent toutes les portes ensuite. Le comportement de ces nouveaux fortunés face à la crise montre qu'ils sont insensibles aux multiples dérives que subit le pays.

Pire, leur propre comportement contribue largement à une dérive morale qui tranche avec l'esprit de sacrifice et la combativité qui ont fait la gloire de l'histoire moderne du pays et du président.

Le résultat est terrible : la société a été démobilisée, désarmée, au propre comme au figuré. Elle est aujourd'hui divisée, affaiblie, incapable de peser sur le sort du pays.    Le président lui-même, qui se voulait longtemps porteur de la première image, celle du combattant intransigeant et intraitable, a fini par abdiquer. Il est entré dans une autre phase, un autre temps. Celui où la vie apparait sous une autre dimension. Il sera plus près de Mobutu que de Mandela.

Surenchère

Quand la crise s'aggrave, le président revient à ce qu'il considère comme les fondamentaux : discours nationaliste, appel à l'unité nationale et à la mobilisation pour faire face aux ennemis intérieurs et extérieurs, rappel des combats communs et des sacrifices des martyrs. Mais c'est un discours qui ne prend plus. Le président s'en rend bien compte. Alors, il glisse sur d'autres terrains. Le bien-être de la population, la croissance, la paix retrouvée.

La paix ? Quelle paix? Le pays est-il en mesure de se défendre, d'imposer ses conditions ? Les menaces sont partout. Elles viennent de partout, répète le président, relayé par ses hommes. Le pays ne peut visiblement les éliminer. Comme elles persistent, d'obscures voix chuchotent au président de faire de nouvelles concessions. De mieux coopérer avec l'ennemi d'hier, notamment sur le plan sécuritaire. Et comme le président a de moins en moins delégitimité, et de moins en moins de marge, il cède, en présentant son expérience « unique » dans la lutte antiterroriste comme un atout dans la négociation. Flatté par ses interlocuteurs, il finit par croire sa propre propagande.

A ce stade, l'idée de rester au pouvoir a complètement changé de contenu. Ce n'est pas seulement une fin en soi, ou une ambition de pouvoir. Avec le temps, c'est devenu une nécessité. Cela rentre dans l'ordre normal des choses. Car quitter le pouvoir présente trop de risques pour les proches, pour les amis. Les cercles qui ont abondamment profité de la manne ne peuvent accepter un éventuel retour de manivelle. L'ordre en place est le bon, du moment qu'ils en tirent avantage. C'est alors que se développe un discours totalement connecté du réel, portant sur la croissance, la bonne gouvernance, la qualité de la vie. On parle même de lutte contre la corruption, alors que le pays sous occupation !

Mahmoud Abbas et Mugabe

Oui, sous occupation. Car c'est de la Palestine qu'il s'agit ici, pas du Zimbabwe. Mahmoud Abbas, le président de l'autorité palestinienne, a été totalement pris à ce jeu. Il a décroché depuis longtemps. Il a oublié pourquoi il s'est engagé au sein du Fatah et de l'OLP.

Il considère les autres factions palestiniennes comme des adversaires à mater. Les autres factions aussi ont totalement déraillé.

Le Hamas s'est pris dans un engrenage destructeur pour se rendre compte, deux décennies plus tard, qu'il mène au néant. Cela débouche sur une situation surréaliste, où des factions palestiniennes se réunissent pour tenter juste de survivre. D'exister médiatiquement, à défaut d'une véritable présence politique.

Trop tard. Tant d'erreurs se paient. Les maigres acquis, Oslo, l'idée de l'Etat palestinien, tout est remis en cause. Inutile d'accuser les pays arabes, la communauté internationale, l'Occident : les Palestiniens eux-mêmes ont perdu le fil. Leur « président » n'a pas même pas été capable de les mener là où Robert Mugabe et Abdelaziz Bouteflika sont arrivés.

Soigner sa sortie

Pourquoi évoquer ces pays ? Simplement pour dire que si l'histoire ne se répète pas, les processus sociaux et politiques se ressemblent énormément. On peut remplacer Toufik Mediène par Mohamed Dahlane ou Emmerson Mnangagwa, évoquer la cour autour du FCE ou celle qui s'est créée avec Grâce Mugabe, la différence est minime. Il n'y a pas de spécificité algérienne. Il y a simplement des modèles vertueux, qui permettent aux pays d'avancer, aux hommes de se bonifier, et à des causes de se concrétiser, comme il y a des modèles qui entrainent les pays vers le bas.

Robert Mugabe a oublié que son combat devait libérer les Zimbabwéens, pas lui permettre, à lui, de dicter ce qui est bon et ce qui est mauvais pour le pays. Abdelaziz Bouteflika a oublié de relire la déclaration du 1er novembre, qui visait à restaurer « l'Etat algérien démocratique et social ». Entre un projet pour la grandeur de l'Algérie et sa volonté de contrôler tous les rouages du pouvoir, il a fait son choix. Situation aggravante pour lui, il a détenu entre ses mains des cartes décisives, mais il les a détruites l'une après l'autre. Ce qui arrive à Robert Mugabe le met crûment face à lui-même. La situation au Zimbabwe lui renvoie sa propre image.

Il en sera ainsi tant que ces dirigeants n'auront pas compris que soigner sa sortie, c'est permettre à son pays d'entrer dans l'histoire.