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Le 23 Novembre autrement vu !

par Brahim Chahed

« En politique, rien n'arrive par accident. Si quelque chose se produit, vous pouvez parier que cela a été planifié de cette façon ». Franklin Delano Roosevelt.

Flagrant abus de langage que de dire que l'élection présidentielle en Algérie est une élection à trois tours ; c'est aussi un abus de langage évident que d'affirmer que les élections locales du 23 novembre 2017 sont le premier tour de la présidentielle de 2019. Mais il est tout à fait plausible de soutenir que les élections du 23 novembre ont des enjeux présidentiels, et il ne serait pas illogique de déduire que ce sera une élection étape, un rituel duquel émergera un « presque-collège »de grands électeurs ou encore une sorte de processus de pré-qualification, afin de dégager des postulants sérieux pour la prochaine présidentielle.

Sur les vingt dernières années, trois formations restent inexorablement présentes et engrangent, bon an mal an,un peu plus des deux tiers des sièges aux APW comme aux APC. Il y a d'abord le FLN historique, ensuite le RND insatiable et, enfin, les amovibles islamistes globalement embrigadés sous la bannière du HMS.

Le pouvoir accorde une grande importance aux élections locales, notamment celles du 23 courant, pour deux raisons principales : Et d'un, les futurs candidats aux sénatoriales seront puisés de ce même vivier et on connait le rôle des sénateurs dans le soutien indéfectible des projets du pouvoir, et de deux, les futurs élus, aux cotés des magistrats, jouent un rôle déterminant dans la préparation, la tenue et la proclamation des résultats de l'élection présidentielle à venir.

Les résultats de ces électionslocales vont être, en plus, un marqueur de taille sur les plans, déjà convenus ou seulement projetés, puisqu'elles donneront un blanc-seing au vainqueur, du scénario acceptable à adopter pour le feuilleton présidentiel.

La présidentielle de 2019 peut sembler très agitée et quelque peu confuse même pour les cercles les plus avertis. Pourtant le spectre des scénarios possibles n'est pas aussi vaste qu'on pourrait imaginer, ni les noms des prétendants indéfinis. Ainsi, à moins d'un dérapage incontrôlé ou d'un évènement extérieur grave qui pourraient avoir un impact significatif sur l'échiquier politique, les plans et trames arrêtés demeurent inchangeables et inchangés.

Il y a tout d'abord, le Président en exercice, M. Abdelaziz Bouteflika: S'il venait à se représenter tout le monde courbera l'échine, mais il ne le fera pas. Ses ennuis de santé réduisent son champ d'action, sont un frein à l'accomplissement de sa philosophie de l'exercice du pouvoir présidentiel et hypothèquent ses chances de satisfecit de son bilan face à ses aspirations historiques. Le Président, trahi par sa maladie, a trop attendu un supposé retour à la normale pour exercer pleinement son mandat avec les exigences qu'il voudrait lui-même observer ; pour cela, il ne se représentera pas pour un deuxième (cinquième) mandat, mais reste acteur incontournable dans le déroulement des opérations.

Il y a ensuite, le frère cadet du Président, M. Said Bouteflika: il y a quelques temps, des informations insistantes faisaient état d'un projet, prêt à exécution, de création d'un nouveau parti politique par un homme clé qui avait toutes les cartes en main, Said Bouteflika. Dans le paysage politique du moment, cette démarche aurait eu un franc succès, surtout que les remous du printemps arabe étaient déjà calmés.

Entre un RND opportuniste, un FLN populiste, une opposition minimaliste et des islamistes carriéristes, le mouvement ainsi créé par Said Bouteflika aurait non seulement siphonné les cadres des partis mais aurait été rejoint par des femmes et des hommes de tout bord et aurait pu incarnerun appareil puissant pour asseoir sa suprématie et gagner, haut la main, la présidentielle fut elle anticipée ou même organisée à temps en 2019.

Mais on n'en est plus à ce moment-là ; les choses ont profondément évolué. Aujourd'hui, Said Bouteflika ne se présentera jamais contre Ahmed Ouyahia soutenu par un parti avec un appétit aussi vorace que le RND. En effet, un FLN soutenant Said Bouteflika en rangs dispersés ne pourra rien contre un Ouyahia armé d'un RND conforté par les résultats des législatives et, qui sait, par un raz de marée dans les prochaines locales.

De plus, Said Bouteflika pourrait penser que présider aux destinés d'un pays dont les difficultés financières tendent à s'éterniser sera d'une complexité repoussante, alors qu'il n'a pas été assez préparé pour avoir un destin présidentiel avec tout ce que comporte la fonction de cérémonials, de sacrifices, de compromis et de concessions.

Il y a aussi l'inamovible M. Ahmed Ouyahia : Il l'a toujours proclamé, il ne se présentera jamais contre le Président, autrement, il est en pole position. Une déferlante rouge et vert aux élections locales du 23 Novembre, conjuguée aux résultats des législatives, d'une part, et du retour triomphant de ce dernier au 1er Ministère, d'autre part, serait annonciatrice d'un encensement du Chef du RND.

Plusieurs fois Premier Ministre, Directeur de Cabinet de la Présidence, un pied ferme dans la diplomatie et déjà Ministre de la justice, il compte de nombreux soutiens dans l'administration et aux seins de corporations puissantes dont celles des magistrats, Ahmed Ouyahia semble, depuis quelque temps, préparer la machine RND à la course présidentielle et les dernières législatives était un peu les essais de bon fonctionnement, et leurs résultats, le fruit supposé. M. Ahmed Ouyahia, comme ses fidèles lieutenants, pense, dans son for intérieur, qu'il a donné assez de temps au temps et qu'il est fin prêt pour la fonction suprême.

Il y a également M. Ali Benflis : Affaibli par les résultats insuffisants des dernières présidentielles, son parti aux allures de simple appareil pour véhiculer sa candidature, un appareil doublement inefficace. Inefficace, d'abord,parce qu'il n'a pas pu participer aux législatives, inefficace, ensuite, parce qu'il n'a pas pu capter un électorat, vite déchanté, qui avait montré de l'engouement au tout début mais s'est aperçu, assez rapidement, du prolongement des anciennes mauvaises pratiques.

Un parti envahi par les anciens du régime, abandonné par beaucoup d'entre eux, avec la radicalisation de son discours, parce qu'ils ont perdu tout espoir de voir un signal de la part du système pour rentrer en grâce.

Il y a, par ailleurs, les pistes improbables des Belkhadem, de Sellal et de Tebboune : Des rumeurs, pêle-mêle, annoncent, pour une éventuelle présentation à la présidentielle, le retour de Belkhadem aux affaires, la piste Sellal ou encore le scénario hollywoodien de la glorification de Tebboune. Si M. Belkhadem est connu pour son sens de l'Etat, il est à jamais dépassé parcequ'il a été trop éloigné et pour longtemps ; sa posture, réelle ou ressentie, de représentant de la mouvance islamique anéantit ses chances. M. Sellal, quant à lui, aurait pu faire consensus. Personnalité politique peu exigeante, facile à vivre, aux ambitions effacées, il ne mettra personne en difficulté. Mais ni le consensus, ni le personnage ne sont d'actualité, les temps sont difficiles et les partisans du moindre effort ne font plus recette. M. Tebboune, somme toute, n'est qu'une diversion, un Ministre centre de coût ne peut être une issue sérieuse.

Il y a le cas Makri : Une piste sérieuse mais en aucune façon menaçante. Jamais un islamiste, même soutenu par des coalitions insoupçonnées, n'accèdera à la plus haute marche, à la fonction suprême, en tout cas pas pour les prochaines années ; les Algériens ne sont pas prêts et les exemples récents de la Tunisie et de l'Egypte vont dans ce sens.

Il y a, enfin, les sans-appareils que j'appelle les « Juste parce que c'est moi ». Ceux-là se valent tous, en dépit du parcours propre à chacun, ils croient pouvoir s'octroyer ce qui a déjà été refusé aux autres. Ils feront, s'ils ont le courage de se présenter, de la figuration, exactement comme le reste de la classe politique.

L'émergence d'une personnalité, hors des normes imposées jusqu'à aujourd'hui, demeure improbable même si le temps est pour le changement sous d'autres cieux ; seule consolation, au-delà de 2019, rien ne sera comme avant, pendant l'infime moment où on pense au changement, les choses (ont) déjà changé.