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ECRITS... SEREINS ET/OU AMERS

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Enseignements de la vie. Essai de Boualem Benhamouda (Préface de Karim Younès). Dar El Noamane Edition Impression Distribution, 288 pages, 800 dinars, Bordj El Kiffan-Alger 2017



Depuis l'Indépendance et jusqu'en 2001, en plus de son activité militante au sein du parti unique, le Fln... et de la continuation des ses études et recherches universitaires, il n'a presque pas quitté les allées du pouvoir. Entre autres, à la tête de cinq ministères, parmi les plus stratégiques : Anciens Moudjahidine (à partir de juillet 65), Justice à partir de 1970 (menant la «décolonisation législative», l'arabisation du secteur et obtenant des facilitations aux étudiants et lycéens moudjahidine - 2000 en 1970- afin de reprendre leurs études grâce à un concours d'accès ), Travaux publics ( 1977), Intérieur à partir de 1979 (on aura la très fameuse «algérianisation» des noms des villes, des villages, de lieux et de rues... et le recensement des noms et prénoms), Finances à partir de juillet 1982. Il a eu beaucoup d'idées mais aussi de la résistance et de l'endurance . Il est vrai que très bon footballeur durant sa jeunesse, une dure expérience maquisarde (il fut Commissaire politique, donc au contact des populations) puis celle forcée dans les camps de prisonniers, et aussi, il faut le dire, un niveau intellectuel doublé d'une éducation respectable (son oncle, Ahmed Benhamouda, décédé en 1966, était Professeur agrégé en langue arabe, déjà en 1928 et il a légué à la Bn d'Alger sa riche bibliothèque).

Cependant, on sent, à travers les mille et un souvenirs égrenés et les diverses réflexions (sur l'équipe nationale de foot y compris), toujours actualisées, et malgré les ouvrages publiés, on sent quelques regrets : celui de ne pas avoir mis à profit pleinement ses connaissances universitaires et de ne pas avoir fourni bien plus de contributions intellectuelles, générales et, surtout, dans sa spécialité, le Droit public, même si en tant que ministre (Justice et Intérieur) il a contribué à la promulgation de bien des textes réglementaires. Aussi, sa fin de fonctions (brutale comme toujours !) en tant que Directeur de l'Inesg. Les retombées d'Octobre ?

L'Auteur : Né le 8 mars 1933 à Cherchell, étudiant au lycée de Ben Aknoun (aujourd'hui El Mokrani) puis à la Fac de droit d'Alger...grève de mai 1956... maquis du Dahra... prisonnier (automne 1957), interné durant cinq années, libéré seulement le 30 avril 1962. Licence en droit obtenue en1963 (il avait déjà effectué les deux premières années et la licence se faisait alors en trois années) et docteur d'Etat en droit public en 1971. Elu à l'Assemblée nationale constituante... ministre durant... 20 ans, responsable de l'Inesg (86-90), Sg du Fln (1996-2001 date à laquelle il est remplacé par Ali Benflis) dont il était membre du comité central, déjà en 1964, auteur de plusieurs ouvrages, surtout des œuvres philologiques.

Extraits : «Un point à signaler en parlant des études ; il est faux de dire que le bachelier sait très bien ce qu'il veut faire... Il faut être prudent et souple en matière d'orientation que ce soit de la part des étudiants ou de la part des responsables de l'enseignement» (p 50), «Le début de la vie politique et institutionnellle de l'Algérie, juste après son indépendance ; nous étions, malgré nous, des figurants» (p 141), «Parmi les Moudjahidine tués par leurs frères de combat (lors des événements du 2ème semestre 1962), certains n'avaient pas encore eu le temps de rendre visite à leurs familles... Ce qui est triste aussi, c'est que les divergences ne portaient pas sur les idées, sur des programmes politiques, économiques et sociaux, mais sur des questions essentiellement organiques et sur le choix des hommes ; cette tare existe actuellement...» (p 162), «Il faut avouer que le trait commun de toutes ces Constitutions et toutes ces révisions, c'est qu'elles ont été octroyées par le Pouvoir présidentiel, sans faire l'objet d'un débat de fond, associant tous les acteurs des Institutions ; ce débat n'a pas eu lieu aussi bien du temps du Parti unique que du temps du multipartisme» (p 281)

Avis : A lire absolument pour compléter vos connaisances sur... la guerre de Libération nationale et les sacrifices consentis par les jeunes d'alors. Des héros ! Le reste, sur la participation au pouvoir, à partir de 1962, n'est pas à ignorer quelles que que soient vos idées sur l'auteur, sur ce qu'il a fait et sur ce qu'il a écrit... et sur les autres décideurs et les événements. De la politique ! Dommage, le titre et la couleur de la couverture cartonnée n' «accrochent» pas !

Citations : «La différence entre les Moudjahidine et les soldats français, c'est que les premiers étaient prêts au sacrifice suprême mais les derniers non» (p 98), «Le peuple algérien est exigeant vis-à-vis des responasables qui doivent avoir une conduite irréprochable, un courage conduisant au sacrifice et être capables de régler les problèmes qui surviennent» (p 99), «Deux dangers guettent l'avenir des musulmans : la superficialité de la connaissance de l'Islam, pour certains, et l'extrémisme dans son application pour d'autres» (p 254), «Au niveau de l'Etat, un détenteur de pouvoir, qui réclame ou qui accepte la corruption pour régler un problème, doit être considéré comme criminel et sanctionné comme tel, quel que soit son rang dans la hiérarchie» (p 272)



Chroniques et réflexions inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain. Essai de Bélaid Abdesselam. Dar Khettab, Boudouaou 2017, 425 pages (+ annexes de 12 pages et album photos ?plus de cinquante- de 12 pages), 1.500 dinars.



Belaid Abdesselam est, sinon le seul, du moins le premier chef de gouvernement (en Algérie ? au monde ?) à avoir publié tout un ouvrage sur internet... ayant un titre assez révélateur de sa personnalité connue pour être assez réactive : «Pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement : juillet 1992-août 1993». L'ouvrage, tombé dans l'oubli de la Toile, grande avaleuse de textes et encore plus grande productrice de «trous noirs», il ne manque pas de se rattraper aujourd'hui avec un produit assez lourd. Des sortes de points de situation certes, mais surtout des points sur les i. A sa manière : de tout un peu sur presque tout. Des informations, des faits, beaucoup de noms et énormément de «réflexions» (des jugements ?). Tout particulièrement sur ce qui lui a semblé être allé à l'opposé de ses idées et contre tous ceux qui, de façon franche ou déguisée, auraient contrecarré ou nui à ses actions. D'où beaucoup de gens passés à la moulinette (à l'exception de qui vous savez !): les communistes (mais pas le modèle de croissance industrielle de l'Urss), le Pags, Cheikh Brahimi, les Oulémistes, les Udmistes, Ferhat Abbas, les «prétendus journalistes indépendants», les anti-nationalistes, les pas patriotes, les pas boumediènistes, la «bande des huit» (après le décès de Boumediène), Chadli et les pro-Chadli (surtout «les collaborateurs à la fois zélés et serviles»), A. Mehri, Ahmed Taleb Ibrahimi (une immense «rancune» estudiantino-politique qui date des années 50), la laïcité, les «assimilationnistes», les «démocrates»... et même les citoyens -«consommateurs» qui sont «allés dans le sens de l'avidité» provoquée par l'opération «appelée pompeusement Pap», Hamrouche, les «experts», la presse indépendante, Chawki Mostefaï... et même Ghozali. Beaucoup de monde pour ne pas dire presque tout le monde, pour la plupart décédés... en vingt-deux chroniques (en dehors de celle consacrée à sa naissance), certaines assez courtes, d'autres bien longues. Peut-être trop.

L'Auteur: Né à Ain Kebira (officiellement) en juillet 1928 avant ou après un Aïd (d'où le prénom)... dans une famille issue de d'Ighil N'sedda (du côté de Bouadnan) - et dont les ancêtres seraient originaires de Seguia El Hamra - le père ayant beaucoup voyagé à travers l'Algérie, dans le cadre de ses activités de commerçant. Militant actif au sein du Ppa (il a été membre du Comité central dans les années 50) puis du Mtld, avant de rejoindre le Fln, en mai 55, ancien président de l'Aeman (51-53), membre fondateur de l'Ugema (53-55), collaborateur du Gpra puis de l'Exécutif provisoire (58-62), Directeur général (le premier) de Sonatrach (64-66) , ministre de l'Industrie et de l'Energie (du temps de Houari Boumediène, 65-77) puis des Industries légères (77-79), Premier ministre (du temps de M. Boudiaf et du Hce, durant treize mois :juillet 92 - août 93)... auteur de plusieurs ouvrages.

Extraits : «Si ce pouvoir central (de Ben Bella et de Boumediène), installé en Algérie, après Juillet 1962, croit devoir inscrire à son actif la résorption du wilayisme, il doit aussi porter à son passif de l'avoir créé et avivé. Il n'avait fait que réparer les pots qu'il avait contribué à casser» ( p 35), «Il n'y a rien qui déplaise tant aux militants de base d'une organisation, surtout lorsqu'il s'agit d'une organisation de jeunes et d'étudiants, que le sentiment que leurs dirigeants élus travaillent ou donnent l'impression, à tort ou à raison, de travailler d'abord à mettre en valeur leur propre personne» (p 185), «Je ne dispose d'aucun relais médiatique pour y exposer mes points de vue et mes opinions. La seule chose qui m'est offerte à ce sujet, ce sont les livres que je publie» (249), «L'Algérie, au terme de la période correspondante à la durée de Chadli Bendjedid, était arrivée, sur le plan international, à la situation d'une personne privée qui, ayant des besoins pressants d'argent s'adresse à l'institution appelée communément «Mont de Piété» où elle obtient quelque argent en déposant des gages dans un geste de détresse» ( p 317)

Avis : Ouvrage à ne pas rater car extrêmement riche en informations sur des sujets très importants aujourd'hui oubliés (parfois volontairement par les «anciens» et méconnus par les nouvelles générations d'«experts»)... tout en mettant de côté le sentiment de malaise qui risque de vous submerger et tout en comparant continuellement son contenu (les informations) avec tout ce que vous avez déjà lu ou entendu sur tous les sujets abordés... les réflexions appartenant à l'auteur.Très belle couverture... photographie bien choisie et bien «lisse»... titre trop long... et prix élevé

Citations : «Le chemin de la trahison est une pente glissante qui contraint ceux qui s'y engagent à aller jusqu'à la vilénie» (p64), «Les détenteurs des armes («suite au processus qui devait conduire à la cassure de janvier 1992») sont devenus, ainsi, dans le langage convenu de la classe politique et de l'opinion ceux que l'on affublait pudiquement du vocable «les décideurs» (p 325)



Les contrebandiers de l'Histoire. Pamphlet de Rachid Boudjedra, Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou, 2017, 400 dinars, 91 pages.



Avec notre Rachid Boudjedra national (et nationaliste devenu, avec un «âge n'aidant pas», de plus en plus sourcilleux ), il faut s'attendre à tout... ce qui peut «révolutionner» le paysage culturel algérien, à tout moment et en tous lieux, durant ses brusques «montées» en attaque ou après les «pièges et harcèlements» médiatiques. Depuis quelque temps, il semble redoubler de «férocité», se mettant à tirer dans tous les coins et sur tout ce qui bouge... surtout ailleurs (en France, tout particulièrement) et alentours (ce qui vient de France, tout particulièrement). Parfois, on le comprend... sans l'approuver . Souvent, on s'en inquiète.

Donc, l'ouvrage est plus d'un simple pamphlet . C'est un écrit ?brulôt (et il le reconnait amplement, p 85), décidé, «pour ne pas mourir de ma lâcheté» dit-il... après la publication, en 2007, du livre de Wassila Tamzali, «Une éducation algérienne», où «elle disculpait son père abattu à Bejaia,pendant la guerre de Libération...»...et, après la réception en Algérie de Feriel Furon, arrière petite-fille du dernier des Bengana, décédé en 1947 et qui a, «toute sa vie, et avec toute sa tribu de féodaux sanguinaires, torturé, humilié, dilapidé et assassiné le peuple algérien». Venue (invitée ?) en Algérie, elle et son livre «ont été encensés par certains parlementaires algériens, par la presse... par la télévision de l'Etat algérien, par des libraires serviles...»

Dans sa large «radiographie clinique», il y a beaucoup d' (im-) patients : B. Sansal, K. Daoud, S. Bachi, A. Djebar, (égratignée !) W.Tamzali, A. Boumehdi (Ali), M. Zemmouri, Y. Khadra, L. Salem, certain(e)s professeur(e)s de français de l'Université d'Alger, Z. Benamadi (de l'ARAV), A. Ferhani (d'El Watan), H. Bendif (du Conseil national du livre), A. Mihoubi (et bien d'autres dans la littérature, la peinture, le théâtre ou le cinéma dont les réalisateurs de «productions cinématographiques produits sur commande», des «films-propagande à la guimauve», et les «dizaines de peudos «artistes» algériens (qui) ont rejoint les Sas de l'armée française... Certains de ces jeunes «jaunes» sont devenus des artistes importants et reconnus par l'Algérie indépendante», voir 83 )... et, dans le même sac, A. Camus, F. Furon, A. Arcady, M. Onfray... sans oublier B.H.Lévy, Finkielkraut, E. Zemmour, Bruckner, Glucksmann, R. Menard, J.P Chevènement (et tant d'autres), les «camarades socialistes français», à leur tête G. Mollet et F.Mitterand, L. Visconti, Melina Mercouri, Delacroix... Beaucoup de monde. Trop de monde ? Heureusement, il y a F. Yveton, A. Tebboune, S. Bencheikh (de l'Onda), H'mida Ayachi, A. Fenni, A. Cherif, Omar Ourtilane, L. Hamina et bien des «chrétiens, juifs, athées mais Algériens jusqu'au bout des ongles», dont bien d'entre-eux «vivent en Algérie et sont fiers d'être Algériens» et... J-P. Sartre, J . Genêt,Mandouze, Amos Giataï, Shlomo Sand, Jeanson, Yves Lacoste,L . Mauvignier, J. Ferrari, J. Andreas,, Picasso, J . Genêt, P. Guyotat... Ah, j'allais oublier... Saïd Bouteflika qui l'a soutenu publiquement lors de sa mésaventure médiatique avec El Khabar.

L'Auteur : Né en 1941 à Ain Beïda (Aurès), études en maths et en philo. Enseignant universitaire puis, à partir de 1972, il se consacre à l'écriture. Auteur d'une œuvre considérable, traduite dans le monde entier.

Extraits : «La très longue colonisation ottomane de l'Algérie qui dura des siècles a été celle aussi d'une très grande cruauté, mais comme ces janissaires étaient des musulmans, leurs crimes leur ont été pardonnés» (p 37), «Le monde occidental trop riche et trop pauvre, à la fois, a tout empommadé, tout traficoté, fait de la contrebande avec toutes les valeurs, y compris les siennes propres que nous, progressistes et laïcs algériens, avions adoptées avec enthousiame» (p 49), «Ce qui nous manque, à nous intellectuels et artistes, pour être efficaces, c'est, peut-être, un niveau d'enracinement dans la propre conscience de l'individu écrivant ou peignant, ou réalisant (dans le cinéma ou dans le théâtre), etc.» (p 68), «Si j'ai, donc, consacré ce «brulôt» à des contrebandiers de l'Histoire, c'est pour dire que l'Algérie va mal. Que les Algériens sont malheureux. Fragiles. Désemparés. Humiliés dans leur fierté nationale par des larbins et par les nouveaux harkis de l'ère moderne» (p 88).

Avis : C'est un pamphlet comme annoncé en couverture. Pamphlet : «Petit écrit satirique agressif dirigé contre quelqu'un, une institution... Libelle» (Le grand Larouse illustré 2016, p 830). Donc, point d'étonnement connaissant le «militantisme» et l' «épidermisme» ( sic !) de celui qui reste, malgré tout, le plus grand de nos écrivains contemporains de langue... française... alors, et je l'ai déjà écrit, «les meilleurs sont aujourd'hui ailleurs».

Une remarque très personnelle : je ne pense pas qu'il n'y ait pas d'écrits suffisants ?édités en Algérie même- sur le combat de l'Algérie pour se libérer de l'occupation coloniale ou pour décrire (à travers des mémoires, des études et des récits et aussi, des romans) la vie quotidienne. Il y a en assez (en général en français mais traduits, pour beaucoup, en arabe) pour occuper bien des journées de lecture. Certes la qualité n'est pas toujours présente, mais en attendant, on s'en contente. Mieux que rien ou peu et bien mieux que les ouvrages (pour bien d'entre-eux respectables) édités à l'étranger . Et, des erreurs commises : Kamal Daoud n'a jamais fait partie du GIA (voir p 86) et Wilfried Muller, dit Si Mustapha n'a jamais été Secrétaire d'Etat aux Finances (voir p 33) et Amirouche n'a jamais été cité dans l'affaire de Melouza (survenue en 57 et non en 56). La rage ou la rancune ou l'amertume ou la haine ou tout simplement la précipitation (de l'auteur ou de l'éditeur... à l'approche du Sila ) qui transforme l'écrit en cri, n'a jamais été bonne conseillère !

Citations : «La démocratie est le contraire du mensonge et des petits arrangements» (p 19), «L'Algérie, pour moi, n'est pas un Etat totalitaire mais un système autoritaire et vieillissant où la corruption est un vrai désastre économique» (p 64), «Notre production artistique manque de finesse, de métaphysique, de passion et de...folie» (p 69)

PS : D'après les données récoltées, par le site Bookstr, spécialisé dans l'actualité littéraire l'Algérie se hisse à la 6ème place en Afrique avec 670 livres publiés, chaque année. Elle se classe derrière l'Egypte, leader continental avec 9.012 livres publiés, l'Afrique du Sud, second du classement avec 5.418 livres, tandis que le Nigeria clôt le podium avec 1.314 livres. Au niveau maghrébin, le Maroc décroche la première place avec 918 publications et prend la 4ème place en Afrique devant la Tunisie (720 livres) et l'Algérie.