Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Faute de primes, la guerre des plumes !

par Slemnia Bendaoud

A longtemps se regarder les yeux dans les yeux, en chiens de faïence, ils auront fini par « aboyer à distance », avant de faire sortir leurs « crocs » et de diriger leurs « griffes » contre leurs confrères ! Ces « Ils » ne sont autres que ces « plumes de la déprime » de nos piètres jours ! Que ces « littérateurs de la vingt-cinquième heure » de la littérature du leurre !

A l'indépendance du pays, les quelques plumes algériennes d'expression française étaient toutes unies autour des questions qui touchaient en particulier à la toute espérée souveraineté de l'Algérie. Et sur la rive Nord de la Méditerranée, on faisait déjà connaissance avec ce type de « style très indigène » qui venait de si loin taquiner ou même très sérieusement bousculer la hiérarchie préétablie de la littérature française.

Dans des genres littéraires, plutôt assez différents sinon parfois très complémentaires, ces auteurs en herbe de l'époque coloniale faisaient naguère, à leur manière, la guerre à la colonisation française, sachant habillement user de leur plume qui « déplume » les atrocités coloniales et « assume » comme il se doit leur « algérianité » dans toutes ses dimensions sociales et historiques.

Ces « plumes-là » humaient le bon Verbe et « écumaient » non sans grand mérite le champ médiatique, culturel et littéraire de l'époque. Elles dénonçaient ces « prononcés de stupides jugements » qui condamnaient sans rémission leur pays à l'une des plus abjectes et virulentes colonisations de l'histoire de l'humanité.

Elles auront pris une part très active à cette indépendance de l'Algérie. Et ce fut ainsi que « l'élève avait appris sa leçon », que le « fils du pauvre pouvait enfin rivaliser avec la progéniture des colons », que « Nedjma scintillait de mille feux et Mille lumières », que « la colline oubliée réapparut du haut de son tertre ferme », que « la Nouba des femmes fut finalement ressuscitée de son passé très ancien », que « la grande maison fut définitivement libérée » ?

De notre côté, on n'en demandait pas tant et fûmes, au contraire, très contents de faire « jeu égal sur ce propre terrain de l'adversaire », en sus de cette culture « très algérienne », par ailleurs brillamment exprimée dans cette magnifique langue à travers laquelle est transcrit le « meilleur texte de tous les écrits ».

Que ce soit Malek Haddad, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Assia Djebbar, Mohamed Dib, et d'autres encore, leurs textes dégageaient la même odeur due à leur dignité et très forte personnalité, puisque se nourrissant du même suc nationaliste et appartenant au même vivier culturel du terroir ; chose qui les prédestinait à « armer leurs fusils littéraires » et « diriger leurs flèches salvatrices » dans une direction déterminée et contre un ennemi commun dont la présence parmi nous avait assez duré.

Les seules primes qui leur étaient dues en guise de récompense pour leur art scriptural, en ces temps très difficiles ou de vaches maigres, tenaient surtout à cet « honneur de la tribu » qu'il « fallait inévitablement préserver » et dont ils voulurent qu'il en restât sauf, inaltérable, inaliénable ?

Et tout le reste ne dérogeait aucunement à une fine littérature qui se faisait déjà un nom parmi le gotha des valeurs les plus sûres de la littérature d'expression française. Et même si leurs proses et vers s'adressaient à une époque désormais bien révolue, leurs écrits collent toujours à cette actualité située encore en léger retrait quant à leurs légitimes aspirations de l'époque considérée.

Nous en sommes vraiment très fiers. Et comment ! Car, par moment, nous nous en délectons encore de leurs succulents textes, truffés de leurs célèbres tournures et très grandes métaphores, en sus de quelques visions souvent prémonitoires.

Voici donc venu le temps de fermer momentanément cette toute petite parenthèse sur l'histoire de la littérature algérienne d'expression française. Mais que s'est-il donc passé depuis ?

La réponse à cette interrogation de grand poids nous fait plutôt l'économie du moindre commentaire à son sujet. Excepté quelques rares plumes, tout le reste des écrivains de l'Algérie postindépendance devaient s'accrocher à d'autres horizons littéraires, se situant dans d'autres champs de sémantique qui les inspiraient beaucoup.

Du coup, leurs projections s'attaquaient à de nouveaux thèmes pour tenter de démontrer de nouveaux axiomes, percer les secrets d'alcôve de nouveaux tabous, ou encore de durablement s'installer dans les inextricables enchevêtrements de l'actualité du moment.

Naquirent alors, aux forceps sinon à la césarienne, ces autres écrivains de l'Algérie indépendante, lui parvenant en autostop ou encore l'un derrière l'autre et en file indienne. N'émargeant guère au même registre et vivier littéraires que leurs devanciers, ils ne pouvaient tout naturellement se prévaloir de l'appartenance à une même souche ou étoffe pour se mesurer à d'aussi grandes pointures et si réputés et très célèbres noms littéraires.

C'est plutôt à l'abordage de leurs « produits respectifs » que la différence, entre les uns et les autres,apparait au grand jour, léguant les œuvres anonymes de ces tout derniers-nés de la littérature algérienne au pilon d'une édition qui fait désormais dans la totale médiocrité.

Ils n'auront pu ?en dépit des innombrables moyens dont ils ont pourtant hérités- de leurs « idoles de plumes » qui savaient « fabriquer ces grandes merveilles de la belle littérature » s'élever au niveau de ces « étoiles scintillantes de leur éclat de lumière » pour se proposer à tenir une quelconque comparaison avec leurs ainés de très doués écrivains du siècle dernier.

A force de longtemps regarder avec envie des étoiles filantes et résurgentes, ne finit-on pas par en devenir bien aveuglés, sans pourtant jamais les égaler ? Les suivre à la trace restera notre seul salut ! Mais comment donc y arriver ?

C'est peut-être le cas de nos écrivaillons d'aujourd'hui ! Apparemment tout, en eux, le confirme. Sinon le traduit dans les faits ! Dans leurs écrits de scribouillards ! Oh, pardon ! de scribouilleurs ! Ils sont tous atteints par ce mal incurable : la brouille de la débrouille !

Et lorsque l'échelle naturelle des valeurs nous fuit ou nous exclut tout simplement, on se met donc ou se permet à « en fabriquer des sur-mesure » ! Tout juste pour simuler notre accès, sans vraiment bien forcer, à l'étage supérieur sans le moindre mérite d'y figurer un jour. De là, découle manifestement tout un ensemble de supputations : des plus invraisemblables au plus improbables !

Le tout dernier-né « produit littéraire » de Rachid Boudjedra en traduit d'ailleurs cet effet d'annonce d'une « ère de guerre de plumes » qui risque de durer dans le temps. A « fleurets mouchetés », ce pamphlet s'attaque de front à ses nombreux confrères de la profession. Les contrebandiers de l'Histoire est un titre évocateur d'une polémique qui met en fait « le feu aux poudres ».

Nombreuses sont ces plumes algériennes qui y sont « démasquées, débusquées, et surtout mises à découvert ou encore dévoilées dans les inextricables dessous de leurs écrits ». Jamais dans l'histoire de l'Algérie indépendante, pareille publication n'a lieu au sein même du pays ou à l'étranger.

Ainsi Boualem Sansal, Yasmina Khadra, Kamel Daoud, et autres encore ? en ont tous pris pour leur grade ou galons autrefois portés en étendard, chacun dans le registre où il a écrit et dans l'ordre de son « passage à tabac ». A sa manière, il aura fait le ménage au sein de cette corporation scripturale qui regarde souvent beaucoup trop vers la rive Nord de la Méditerranée et l'Occident.

En « ancien Maquisard de la littérature Algérienne», l'écrivain Rachid Boudjedra a cette fois-ci troqué son « uniforme conventionnel » contre un « balai en bonne et due forme », se permettant même ce luxe de donner avec « un coup dans la fourmilière » de nature à dégraisser la scène nationale littéraire et culturelle.

Il ne manquera pas, au passage, d'égratigner quelques plutôt bien « fragiles sensibilités » en rapport avec ces « réactions intempestives » de certains parmi les « cadets de ses confères de la plume ». Leurs réactions à ce sujet en furent des plus violents et tonitruantes.

Peut-être voulait-il tout simplement les remettre à la raison, ou sur le droit chemin, en leur inculquant un peu bruyamment mais publiquement ce « devoir sacré de satisfaire à une dignité algérienne », désormais au plus bas de l'échelle des valeurs nominales, que toute nouvelle plume algérienne d'expression française s'empresse malheureusement de fouleraux pieds dans la seule optique de « soigner sa propre publicité et image de marque à l'étranger ».

N'a-t-on pas vu tout récemment cette « approche contre-nature » de ces mêmes écrivains avec des « éditeurs et autres barons mondiaux de la publicité » d'un « tout autre bord » ? Et quels en sont les sous-bassement et les prétentions savamment tues des uns et des autres ?

A quoi rime,en fait,le voyage de Boualem Sansal en Israël ? A quoi nous renvoie finalement cet intérêt fort étrange de Manuel Valls à voler au secours d'une toute jeune plume d'expression française qui a pour nom Kamel Daoud ? Et que signifie donc encore ce « renvoi dos à dos » des Palestiniens et Israéliens dans l'attentat de Yasmina Khadra ?

Sont-ils à ce point-là seulement « coupables d'innocence littéraire » ? Sinon jouent-ils tous à ce jeu très dangereux à vraiment porter à jamais « l'uniforme du contrebandier de l'Histoire » ?

Qu'ils sachent tous que : bien plus qu'un fusil, la plume défend nettement mieux l'amour de la patrie ! Et que quel qu'en soit la bonne odeur des effluves dégagés par une fleur née sur le sommet d'un fumier, elle n'en produit finalement que ce parfum qu'aspirent ses racines !

A vouloir au dépens de ses propres et bonnes valeurs sociétales appartenir à l'autre clan, on finit par abandonner ?sans le vouloir- celles propres au sien ! En dénigrant les siens, on se détruit soi-même ! La meilleure des réputations n'est-elle pas celle que l'on façonne à l'intérieur même de notre propre maison !

A quelle autre raison doit-on désormais s'accrocher lorsque la bonne raison de faire dans la belle littéraire fout le camp !

Kateb Yacine et Malek Haddad ne furent-il pas dans leur jeunesse de simples ouvriers agricoles qui travaillaient en Camargue ? Et pourtant ce statut propre à la basse société ne les avait guère empêchés d'être de grands Seigneurs de la plume ! Leurs écrits auront beaucoup compté dans leur postérité et immortalité.

Aussi, la meilleure des publicités ou réputations que l'on se fait pour soi-même n'est-elle pas celle qui lie l'intérêt de la Nation avec cette légitime aspiration dont rêve toute plume inconnue de la planète ? Le faire au détriment des siens n'est-il pas assimilé à une haute trahison !

Bien souvent, le reflet du miroir de l'Occident ne nous nous renvoie manifestement que cette piètre image d'un écrivain soumis aux ordres de ses promoteurs, très peu soucieux, du reste, de cette dignité qui fait la fierté de sa plume et des siens !

Se dirige-t-on tout droit vers l'ère de ces « harkis de la plume » ! A l'heure de la censure des hommes de sciences et de grande conscience, notre « Big Brodher » de Boudjedra n'a-t-il pas, lui aussi, ce droit absolu de se croire « leur ainé très respecté » détenteur de « cette autorité de les corriger » de temps à autre ?

Face à ceux qui dénigrent la mentalité algérienne, il ne peut avoir affaire qu'à de véritables rebelles !