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Amendement du code pétrolier : un diagnostic et non une simple réflexion

par Reghis Rabah *

La sortie du Premier ministre lors de sa visite à Arzew sur l'amendement de la loi sur les hydrocarbures et le retour au dossier du gaz de schiste n'a pas surpris les observateurs du moins au départ.

Tout le monde pensait que par esprit de cohérence, il propose de revenir à la vision de son ancien ministre de l'énergie pour attirer les investisseurs qui selon ses propres termes «boudent» le domaine minier algérien. Mais les précisions qu'il a données une semaine plus tard sur la « souveraineté » traduite dans la loi par la règle 51/49 qu'il rassure intouchable, a confirmé la portée électorale de ses propos. L'exécutif, si l'on se réfère au propos du ministre de l'énergie, l'amendement est justifié uniquement par la baisse drastique du baril qui selon lui fait fuir les IDE dans le domaine pétrolier et gazier. Donc on va assouplir peut être la fiscalité pour diminuer les charges que supporterait le contractant, cela pourrait le convaincre de s'engager. Si on suit cette logique, cela réglerait le problème lorsque les prix du baril sont bas et on fera de même lorsqu'ils seront plus hauts. En termes simples, on change la loi sur les hydrocarbures au gré des circonstances. Maintenant que le Brent proche du Sahara Blend s'accroche sur la fourchette 55-60 dollars le baril et que les marchés semblent donner bon signes pour les perspectives 2018-2020.

L'alliance OPEP/ non OPEP a réussi à éponger le surplus pétrolier sur les marchés et poursuit sa volonté de réduire encore plus leurs quotas. Ensuite dans son rapport du mois de septembre paru il ya trois semaines, l'AIE a révisé en hausse ses prévisions de croissance de la demande en 2017 à 1,6 million de barils par jour. Il précise que si la demande continue à croître à ce rythme au cours des prochaines années, la production et les stocks actuels ne suffiront pas. Même un taux de croissance plus modéré absorberait l'offre excédentaire de pétrole d'ici la fin de la décennie, à moins d'un rebond inattendu de la production ce que les investissements actuels ne le permettrons pas. Que doit-il se passer face à ses perspectives ? Se préparer à changer encore la loi d'ici fin 2018. Est-ce bien raisonnable ? Il faut souligner d'emblée que l'expérience mondiale a montré que lorsqu'un investisseur affiche son intention de s'embarquer dans ce domaine réputé aléatoire et très capitalistique, il évalue juste après le risque géologique, celui du pays. On entend par là, la stabilité politique qui pourrait affecter celle d'ordre fiscale. Donc la conception d'un code pétrolier représente la vitrine de cette stabilité recherchée. Il devra décrire la stratégie pétrolière et gazière d'un pays et la gestion de son domaine minier dans la durée pour les générations présentes et celles futures.

La fiscalité y est accessoirement présente avec une certaine flexibilité qu'une simple loi de finance et celle qui la complète ou un simple contrat pourraient assurer son évolution pour la rendre souple sans toucher au squelette de la loi cadre. Le tout devra être teinté d'une certaine cohérence même si la mise en œuvre paraitra impopulaire et crée un malaise sociétal. Les exemples qu'aiment citer les responsables sont édifiants. Les Etats Unis par exemple ne se sont pas engagé dans le schiste sans heurts. Nombreux sont ses Etats qui ont optés pour des moratoires et d'autres contestent la fracturation hydraulique à ce jour. Pourtant, c'est un pays qui a commencé l'exploitation des ressources non conventionnelles au 18éme siècle et il l'a abandonné lorsque les multinationales se sont emparées des concessions très avantageuses en conventionnelles. Il a tiré une leçon de l'embargo décrété par l'OPEP de 1973 pour tracer sa ligne d'une politique énergétique pour sortir progressivement de la dépendance de ces pays et devenir eux même exportateurs et ne jamais dévier de cette droite quelles qu'en soient les conséquences. Ils ont réussi . Malgré quelques réticences, les Américains se considèrent fiers de cette démarche. La Pologne n'exploite pas le gaz de schiste de gaieté de cœur. Elle avait un choix entre la peste : une ingérence dictatoriale de la Russie de Poutine ou le choléra de cette ressource. La souveraineté a pris le dessus donc leur économie se développe normalement. Pour l'Algérie, la loi 05-07 de 2005 était séduisante dans ces objectifs en cohérence avec la transition vers une économie de marché entamé depuis début des années 90. Qui n'aspirait pas à libéraliser un secteur dynamique comme celui pétrolier et gazier dans le seul souci de « maximaliser » les revenus du pays pour servir à entrainer dans leur sillage les autres secteurs. ?Qui ne veut pas privilégier la souveraineté fiscale de celle du capital pour redonner à l'Etat les moyens de réguler l'économie en protégeant les couches à faibles revenus. ?Qui ne veut pas aussi voir l'Etat récupérer ses prérogatives délégués à une entreprise rongée par la corruption pour laisser l'investisseur détenir à lui seul les droits d'exploitation à une seul condition de ne pas oublier son devoir vis-vis du trésor Algérien ? Malheureusement tout cela ne pouvait se faire sans passer par l'ouverture du capital de Sonatrach que les multinationales le veulent à tout prix. Au stade dans lequel se trouvait la phase de transition vers une économie de marché et l'importance de ce mastodonte comme mamelles de l'économie nationale ne permettaient pas aux Algériens de prendre un tel risque dont les conséquences pourraient être incalculables. Mais au lieu d'annuler purement et simplement cette loi dans l'esprit et la lettre, on a voulu ménager le chou et la chèvre .On aboutit donc à un rafistolage dont les conséquences se sont étalées à ce jour. Cette modeste contribution tente de faire un diagnostic succinct de la situation du domaine minier et une analyse des motifs de la défection des investisseurs. De montrer que la loi 86-14, reste la seule en cohérence avec la politique pétrolière et gazière initiée par l'Algérie depuis l'indépendance. De mettre en exergue les contradictions nées du tripotage de la loi 05-07 amendée, qui régit à ce jour les hydrocarbures en Algérie.

1-Commençons d'abord par quelques chiffres.

Pour lancer une réflexion comme on entend parler, il faut commencer par un diagnostic de la situation du domaine minier et du processus de partenariat enclenché depuis 1986. Identifier la tendance et l'orientation des différents partenaires dans le choix des blocs offert à la concession. Contrairement à ce qui est dit ici et là, les investisseurs ne font pas la moue depuis la baisse du prix du baril en 2014 mais bien avant. Le débat stérile sur le changement de la loi sur les hydrocarbures a commencé à partir de l'année 2001. Le projet de loi conçu par un américain du nom de Bob, devait arranger leur dessein. Certainement, ils croyaient que le pouvoir en place pouvait leur assurer une rentrée en douceur dans le capital de la Sonatrach, une fois ouvert et l'entreprise serait déverrouillée La résistance de l'élite qui s'est transformée en une populaire, le recul du président leur a fait comprendre que la situation politique n'est pas aussi homogène comme ils l'avaient prévue, commence alors les délaissements. Ce qui laisse supposer que les offres ne sont plus suffisamment attractives et présentent des risques qu'appréhendent les compagnies étrangères. Le dernier appel d'offres lancé sous le régime de la loi 86/14 avait donné lieu à l'attribution de 90% des blocs proposés.

Depuis la promulgation de la loi 05-07 amendée en 2006 et 2013, l'Algérie a lancé quatre appels d'offres pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures qui se sont soldé par de maigres résultats. Le premier appel d'offres lancé en 2008 a débouché sur l'octroi de quatre blocs, le second organisé en 2009 s'est soldé par l'attribution de trois blocs, et seulement six blocs attribués pour le troisième appel lancé en 2011. Lancé en 2014, le 4e appel d'offres, le premier ayant été lancé dans le cadre de la nouvelle la loi sur les hydrocarbures promulguée en 2013 et autorisant l'exploitation du schiste, n'a permis d'accorder que quatre périmètres sur les 31 proposés. Au final, le constat est que les nouvelles découvertes de gisements de pétrole et de gaz de ces dernières années ont été surtout le fait de Sonatrach.

Ces multiples échecs ont poussé l'Alnaft à orienter le futur 5e appel d'offres, plusieurs fois reporté, sur des périmètres où des découvertes qui ont été réalisées c'est-à-dire des gisements existants.

Des blocs orientés vers le développement et qui pourraient permettre une production rapide dès exploitation. Pourtant, les amendements de 2013 ont accordé différents avantages et exonérations fiscales. Ils ont également ouvert la voie à l'exploration des ressources non conventionnelles comme le gaz de schiste. Les amendements concernés, entre autres, la révision de la méthodologie du calcul du taux de la Taxe sur le revenu pétrolier (TRP) qui, depuis, est établi sur la rentabilité du projet au lieu du chiffre d'affaires.

Les mesures fiscales incitatives visaient l'encouragement des activités relatives aux hydrocarbures non conventionnels, aux petits gisements, à ceux situés dans les zones très faiblement explorées, notamment l'offshore, et aux gisements à géologie complexe et/ou manquant d'infrastructures. Ces chiffres prouvent incontestablement que les partenaires ne veulent pas prendre les risque en campant sur une association avec Sonatrach dans l'exploitation et le développement c'est-à-dire un partage de la rente avec les Algériens Résultat, sur un domaine totalisant prés 1536441 km², seulement 774688 Km² sont occupés dont 24% en recherche, 22% en prospection et 4% en exploitation.

Prés de 761753 Km² constituent un domaine vierge qu'aucun partenaire n'en veut. La performance d'exploration s'écarte de quelques dizaines de points par rapport à ce qui se pratique dans le monde. 13 puits forés aux 10 000 km2 contre une moyenne mondiale de 105 pour une même superficie Comment espérer que l'Etat reconstitue ses réserves si personne ne veut aller dans les endroits difficiles. Tout assouplissement futur de la fiscalité se fera au détriment du trésor public. Ensuite même dans l'amendement de 2013, certains articles ont été rédigés sous la pression en précipitation On demande par exemple à l'investisseur intéressé par un bloc non conventionnel de venir, payer les taxes d'entrée, prendre en charges les capex de recherche pour évaluer les réserves hypothétiques de son gisement. Mais en passant à la phase de forage pour l'estimation des réserves prouvées, il ne peur utiliser la fracturation hydraulique que lorsqu'il aura l'accord du conseil des ministres. Cela lui laisse le doute à la supputation de beaucoup de choses.

*Consultant et Economiste Pétrolier