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A comme Algérie 20 (2), T comme traite

par Mimi Massiva

D'après les chiffres, la traite est essentiellement féminine et vouée au sexe illimité et mécanique. Les fournisseurs et les acheteurs, qui étaient des personnes isolées, sont devenus des réseaux avant de se constituer en Etats.

L'argent de la drogue et de la prostitution fait partie de plus en plus du PIB européen. Bruxelles l'exige au grand bonheur des lobbys de l'industrie du sexe. Résultat, la prostitution est devenue un métier mieux qu'un autre : sans chômage et bien assuré par un proxénétisme qui tient la caisse et la cravache comme du temps de l'esclavage classique. Cela fait désordre au siècle du blabla des Droits de l'Homme et de la parité. On essaye de dissocier la prostitution de la traite comme le terrorisme de l'intégrisme. Que représente la traite sans exploitation sexuelle dans un troupeau aux 3/4 féminins ? À travailler dans les mines, à réinventer la poudre? ? D'après Wikipédia, entre 2008 et 2010, le nombre de victimes a augmenté de 18 % dans l'UE. 68 % sont des femmes, 17 % des hommes, 12 % de filles et 3 % de garçons. Selon le même rapport de l'Eurostat, 62 % pour des fins sexuelles et 25 % pour les travaux forcés.

Le % de victimes hors-UE est passé de 12 % en 2008 à 37 % en 2010. Et comme tout est clandestin et baraka dans la traite, si, entre 2008 et 2010 le nombre de victimes a augmenté, en parallèle celui des condamnations de trafiquants a baissé de 13 %. Ce qui explique les verbes présumer et avérer collés systématiquement à ce genre de victimes. On comprend pourquoi « Avocats Sans Frontières » estime avec prudence que la traite des êtres humains est le 3e plus grand business criminel au monde après celui des drogues et des armes. (1) En 2000, l'ONU parlait de 5 à 7 milliards / an de profits. En 2002, 7 à 12 milliards/an pour l'ONUDC pendant qu'Europol indiquait un troupeau de 500 000 « têtes » acheminé vers les 15 pays de l'UE. (2) On se souvient de ces milliers de filles importées par l'Allemagne pour égayer le mondial du foot. Et par ricochet, on comprend pourquoi les viols de Cologne ont provoqué plus de malaises que de colère malgré la différence du pedigree des consommateurs et des consommés. Pas étonnant que même en temps de guerre, le viol soit une arme et un moyen : castrer l'ennemi et remplir le bordel? On a Interrogé un violeur sur son acte, il a répliqué : « c'est l'imam qui m'a dit que c'est hallal? » On se souvient des « disparues » de Hassi Messaoud, c'est un imam aussi qui a lancé la chasse aux sorcières dont l'une était la fille d'un confrère poussé au suicide par ce drame. Que dire de l'auteur de la fatwa qui a transformé en esclaves sexuelles des dizaines de milliers d'Algériennes durant la décennie noire.

On disait que nos terroristes ignares s'en débarrassaient en les jetant dans un puits notamment quand elles tombaient enceintes. Elles n'ont pas laissé de trace y compris dans leur propre famille et ce n'est pas demain qu'une Assia Djebbar pourrait évoquer leur mémoire avec « Filles sans sépulture ». Pourquoi en parler encore et encore, parce que, ironie du sort ou malédiction d'outre-tombe, l'objet est devenu, en catimini, l'or noir de ce 21e siècle avec 0 pollution, 0 investissement et 0 risque. On parle en 2017 de centaines de milliards de dollars/an et cela concorde avec le calcul de la CIA qui estime à 250 000, ¼ de million de dollars, l'argent rapporté par une seule femme aux trafiquants. Pas étonnant que dans les banlieues françaises, la traite détrône de plus en plus la drogue. Hier, le mouvement « Ni pute ni soumise » y est né avec beaucoup d'avance en supposant qu'on puisse être pute sans être soumise et vice-versa. Les révoltées sont devenues mamies et le sang neuf « indigène» déborde les frontières de la République. D'après Cecilia Manzotti, spécialiste du trafic illicite de migrants et de la traite des personnes à l'ONUDC (Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime), le top des continents pour la traite est l'Afrique où 43 % des victimes profitent à la « consommation » locale. Mais le phénomène est planétaire et plus camouflé ailleurs. Une fille interviewée en Israël était passée des mains de Moldaves, d'Ukrainiens, de Russes, d'Egyptiens, de Bédouins avant d'atterrir dans un bordel de Tel-Aviv. (3) En Amérique, le pays où l'amendement numéro 1 de la Constitution interdit de limiter la liberté d'expression, la télévision banalise les clips des rappeurs qui glorifient le Mac et ses lolitas.

En témoigne le film « Filles à vendre : le cauchemar américain » de Sabrina Van Tassel. Filles à vendre sur internet, cet écran magique utilisé en toute quiétude par les recruteurs de kamikazes. Et dire qu'il y a des sites censurés dont le seul crime est d'avoir des idées politiquement incorrectes. Un politicien est fait pour ne faire que de la politique, dirait La Palisse. Dans le rapport américain sur la traite publié en juin 2017, le Nigeria fait partie des pays qui « ne font pas d'efforts significatifs » contrairement à l'Algérie. Voilà deux géants qui ne manquent ni d'espace ni de richesses naturelles ni de moyens et qui n'échappent pas à ce triste commerce. « Au Nigeria, le trafic d'êtres humains prospère sur les ruines de Benin City », titre le Monde-Afrique. Une ville normale de 10 millions d'habitants jusqu'au début des années 2000 où l'un de ses fleurons industriels, le géant de la chaussure, Bata, excédé par les coupures d'électricité, décide de se délocaliser au Ghana. Il employait 3 000 jeunes? En 2016, 37 500 Nigérians sont arrivés par bateau en Italie dont l'immense majorité venait de Benin City, d'après l'OIM (Organisation internationale pour les migrations). Les réseaux de la traite humaine ont remplacé Bata, direction l'eldorado de l'exil. « Une fois sur place, en échange de leur passage, ils devront payer une dette de 20 000 à 50 000 euros. » (OIM). Souvent exploités par la mafia locale. Les caméras nous montrent des jeunes hommes bien portants et apeurés, aptes au labeur, bouche cousue. Où sont passés les femmes et les enfants ? On estime à 10 000 le nombre d'enfants enregistrés et disparus des radars européens.

Le trafic des femmes et des enfants a sa source dans 127 pays, destination 137 pays. Si l'espérance de vie d'une prostituée normale ne dépasse pas l'âge de 35 ans, on parle de 8 ans de survie au maximum pour une enfant mise sur le trottoir par un proxénète. 72 heures suffisent pour laver le cerveau d'une petite écolière du primaire qui ne connait rien au sexe, précise l'expert de la police : viol, torture, drogue, alcool, menace, etc. Un thérapeute anglais parle de violence inouïe, c'est fichu, irrécupérable rien à voir avec un jeune exploité dans un champ, dans une usine ou pour des travaux domestiques? Dans le reportage Filles à ventre, un proxénète déclare fièrement, sans se cacher, qu'avec deux filles, il arrive à gagner jusqu'à 6 000 dollars par jour. Témoignage d'une victime d'à peine 15 ans « j'étais la plus vieille dans une équipe de 45 à travailler pour un proxénète, la plus jeune avait 11 ans? J'ai fui le jour où il a ramené une fille de 8 ans? » On imagine la fortune de cet énergumène qu'aucune loi ne peut sanctionner sauf en cas de témoignage d'une victime que rien ne protège sauf les murs d'une prison, affirment un juge et un procureur américains.

Dans l'unique centre existant aux USA pour « rééduquer» ces adolescentes, la journaliste compte une dizaine. Libres de repartir vers leur enfer ou leurs familles qui s'en foutent de leur sort, si elles ne sont pas directement responsables de leur déchéance. Comble de l'ironie, cette structure est financée entièrement par des particuliers et ne survit que grâce à deux donateurs millionnaires : le magazine Play-boy et le site d'escort girl Back bach. Face à l'étonnement de la journaliste, la directrice réplique : « Pourtant, vous trouvez normal que c'est les pétroliers qui paient pour la marée noire ?! » Les familles d'accueil ne sont pas plus fiables : une sur quatre prostitue les enfants dont elle a la charge. Nous parlons d'un monde-chaos ravagé par le chômage, la misère, la violence, l'alcool, la drogue, l'éclatement familial, dont la seule richesse à vendre est sa propre chair. Comme le documentaire de France télévision où une ONG saoudienne au secours des réfugiés syriens pour proposer des mariages temporaires à des adolescentes que des pères, abrutis par le malheur, vendent aux riches émirs le temps d'une jouissance.

Avant, quand l'Irak s'effondrait sous les bottes de l'Oncle Sam combien de jeunes irakiennes fuyant les bombardements ou prises au piège par des rabatteuses, se sont retrouvées dans les maisons closes de la Syrie et des pays-frères. L'Algérie qui n'a fait la guerre qu'avec elle-même, à la peur du terrorisme qui massacre toute la famille n'épargnant que les djariyates, a succédé une autre peur. Plus sournoise, plus souterraine, diffuse : le fils drogué ? La fille prostituée ? L'enfant kidnappé pour une rançon, un viol, un vol d'organes? ? Il suffit que la petite ou le petit disparaisse du champ de vision parentale en une fraction de seconde, pour être happé à la même vitesse par le trou noir. Tout est possible? Exemple ce ¼ de feuille de noms d'universitaires revendiquant une présidentielle anticipée.

On ne sait pas si c'est une farce ou du sérieux, une manipulation, un cri de détresse ou un sursaut de nationalisme, mais le plus surprenant c'est l'exigence de brillantes études avec bac plus 15 au moins pour dénoncer l'anomalie. Pendant ce temps, l'Afrique Noire qui n'est pas encore « rentrée dans l'Histoire » fait sortir sa masse dans la rue contre une tentative de violation d'une Constitution pour un 3e mandat et dernièrement, surprise, possède une justice qui s'attaque au tabou des tabous : l'annulation du vote présidentiel. À ce stade-là, on ne s'étonne pas que l'Algérie, vaccinée pourtant par la décennie noire, n'échappe pas à la traite avec personne à bord. Les expériences l'ont prouvé : pour tuer un bébé, cesser de lui parler, rendez-vous invisible. Si l'Islam est la religion de l'État, où est le calife qui crédibilise la fatwa et assure la concorde ? Quand on entend les médias officiels parler d'une coupure d'eau paralysant le fleuron de l'industrie sidérurgique algérienne ou un scanner en panne depuis 2 ans dans l'un des principaux hôpitaux étatiques de la capitale, la cause de la malédiction de Benin City nous paraît bien bénigne? (suivre)

1 : Le directeur d'Avocats Sans Frontières, Antonio Manganella ( le 7/06/2017 emission Expresso)

2 : Le Livre Noir de la condition des femmes ( dirigé par Christine Ockrent)

3 : La Pègre mondiale ( Misha Glenny, Courrier International)