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Retourner au passé pour dépasser la crise d'aujourd'hui?

par Mourad Benachenhou

«Appeler un lion «chat non conventionnel» ne change rien à sa férocité. Baptiser un boa de «couleuvre non conventionnelle» ne le rend pas moins dangereux.» (Sagesse populaire)

Il est bien revenu le temps des rhétoriciens qui, à défaut de comprendre, de faire comprendre et de résoudre les problèmes du moment, se lancent dans la logomachie stérile, et cachent leur incapacité et leur impuissance derrière des euphémismes en guise de solution.

Les euphémismes ne changent pas la réalité !

Mais, hélas pour eux! et quel que soit le pouvoir dont ils disposent, et le titre dont ils sont affublés pour la circonstance, la réalité est d'un entêtement impitoyable, et n'a aucune sensibilité pour les noms qui lui sont attribués unilatéralement.

Car les évènements, formant la trame de la réalité actuelle, sont les conséquences de décisions passées ou présentes, prises ou différées, et ont leur propre dialectique qui échappe tant à la perspicacité- «officiellement» établie par des titres grandioses et imposants,- des hommes aux rênes du pays, qu'à leur pouvoir, si total soit-il.

Les leçons du passé récent sont déjà oubliées !

L'Algérie a déjà, dans le passé tout récent, connu des avatars sanglants que rien ne semblait annoncer, et alors que le monopole du pouvoir politique et économique, comme de la parole publique apparaissait, de manière indubitable, fermement entre les mains d'une minorité, présentée comme géniale, omnisciente et tenant sans partage le gouvernail du bateau «Algérie.»

Il semble bien que les leçons de cette périlleuse période, que l'Algérie a traversée pendant prés de deux décennies au cours du siècle passé et des premières années de ce siècle, ont été totalement oubliées, et que l'histoire sombre, qui a été vécue alors, pourrait être en passe de se répéter. Il est à souhaiter qu'elle se fasse en évitant les drames.

Faire l'impasse sur les problèmes du présent n'est plus la solution !

On n'arrête pas le cours de l'histoire en faisant l'impasse sur les problèmes du moment, fruits de politiques de courte vue , accumulations d'improvisations dont le seul objectif était d'assurer la pérennité d'un système de gouvernance qui est loin de répondre aux défis internes et externes de ce siècle, ou même aux exigences patentes de sauvegarde de la souveraineté nationale, largement ébréchée, et de renforcement des capacités de préservation de la pérennité de la Nation.

La société algérienne a profondément changé; l'Algérienne et l'Algérien de maintenant ne sont pas l'Algérienne et l'Algérien d'hier.

Leur conception de la vie, leurs besoins, leurs ambitions, leur culture, comme leur personnalité ont changé.

Pourtant, le système politique qui organise leur quotidien n'a pas évolué d'un iota, à l'exception de la liberté donnée aux «gens du bas» de bavarder à leur gré, par écrit et oralement, alors que toutes les institutions publiques sont soumises à un mode de gestion plus ou moins opaque, par lequel sont prises, sans contrôle citoyen réel, toutes les décisions importantes du pays.

En fait, malgré les «réformes politiques» la réalité du système de gouvernance n'a changé que superficiellement au cours de ces quelques cinquante cinq années qui nous séparent de l'indépendance.

La crise économique : révélatrice d'une nouvelle stratégie de survie du système de gouvernance

La crise économique, -dont la conséquence la plus visible est la crise financière, -que traverse le pays depuis ces quelques neuf années a eu un effet positif inattendu: elle a mis à nu les impérities des politiques conçues et mises en œuvre de manière unilatérale, tout comme au temps du «parti unique,» pour ramener la paix, la sécurité et la stabilité dans le pays, et le sortir des drames sanglants par lesquels il est passé au cours de la «décennie noire.»

On peut, sans exagération aucune, résumer cette ligne économique comme caractérisée par trois qualificatifs: improvisée, incompétente, et incohérente. La preuve que cette qualification n'a rien de subjectif est la situation actuelle dans laquelle se débat le pays, et qu'on veut résoudre en prenant des mesures qui ne feront qu'enfoncer le pays dans une crise encore plus incontrôlable.

Toutes les mesures prises pour permettre aux gens du commun de mener une vie normale, si médiocre soit-elle, ont montré leur faiblesse, car elles ont essentiellement été fondées sur la large distribution de la rente pétrolière, et une libéralisation économique effrénée accompagnée d'une corruption qui a peu d'équivalents dans le reste du monde.

Une économie frappée de stérilité

Le résultat d'une politique économique essentiellement fondée sur une distribution sans rime ni raison de la rente pétrolière a été la réduction du potentiel de production du pays, l'extrême dépendance à l'égard de l'étranger, que ce soit, pour ne citer que les plus importants, pour la satisfaction des besoins de consommation ou pour l'extension de l'infrastructure et la construction de logements.

Le consumérisme, essentiellement fondé sur les importations, a été poussé au delà des capacités de l'économie à produire les richesses nécessaires pour le maintenir, et toutes les mesures encourageant ce consumérisme ont abouti à réduire de manière drastique le potentiel de production nationale, même dans les domaines que d'autres pays réservent à leurs seules entreprises, comme l'habitat et les travaux publics.

La chute de la rente pétrolière a mis à nu le caractère incompétent, incohérent, improvisé et opportuniste de cette politique, dont la conséquence est la crise économique et financière actuelle.

La crise actuelle ne se réduit pas à une équation comptable déséquilibrée

Or, au lieu de s'attaquer directement aux causes, on a choisi de réduire le problème à une simple question comptable de rééquilibre des comptes, ce qui équivaut au maintien du statuquo, et constitue, non le chemin vers le redressement de l'économie algérienne, mais une tactique destinée à assurer la survie, au niveau étatique, d'un système de prise de décisions qui, depuis longtemps, a montré ses limites.

Ce cheminement, qui apparait égalitaire, et justifié objectivement, dans l'imposition de mesures d'austérité qui toucheraient toutes les classes du pays, constitue une fuite de responsabilité de la part des dirigeants du pays, car il exonère ces responsables de leurs erreurs de jugement, et fera payer chèrement aux Algériennes et Algériens, le prix de ces erreurs à la conception desquelles ils n'ont nullement pris part.

Une démarche qui est un aveu patent d'Incompétence et d'impuissance

Au delà de la rhétorique qui lui donne un semblant de rationalité et de cohérence, la voie empruntée pour sortir de la crise économique n'est ni la preuve de courage politique, ni la démonstration d'un retour à la sagesse de la part de ceux qui gèrent, en «arrière-boutique,» et sous couvert d'un habillage constitutionnel «démocratique,» les affaires du pays.

La rhétorique emprunte de «fausse sagesse,» et de «compétence» douteuse ne réduira en rien ni les chances d'exacerbation de la crise, qui conduiront sans aucun doute à des mesures de redressement extrêmes dans un proche futur, ni les souffrances qui attendent une population maintenant habituée à consommer «étranger,» c'est-à-dire bien au delà des capacités de production nationale, déjà fortement entamées par une politique suicidaire de libéralisme économique dont les seuls vrais bénéficiaires ont été, et sont encore plus que jamais, les prédateurs qui se sont incrustés dans la société comme dans le système politique, et tiennent le haut du pavé, au grand dam des intérêts du pays.

Le fait même que l'on veuille substituer au déficit de revenue la création monétaire prouve, s'il le fallait encore, non seulement l'échec de la politique d'ouverture tout azimut, mais l'incompétence et l'impuissance des gouvernants à prendre en charge cette crise profonde.

Les gouvernants, présentés comme infaillibles et omniscients, n'ont même pas tiré la conclusion la plus évidente, à savoir que la privatisation tout azimut n'a rien donné d'autre que la création d'une classe de prédateurs et la «bulldozérisation» de la faible capacité de production nationale dans les domaines qui font la puissance des économies.

Le secteur privé, auquel ont été lâchés les rênes depuis ces quelque vingt dernières années, s'est avéré incapable de diversifier l'économie. Le rappel de la théorie économique qui veut restreindre le rôle de l'état à celui du maintien de l'ordre se heurte aux résultats de la triste expérience de ces vingt dernières années ; et cette théorie est démentie par l'appel à la planche à billet comme moyen de dépassement de la crise.

En conclusion :La réalité parle plus fort que la théorie et un gouvernement responsable est tenu par ce qu'il constate sur le terrain, pas par les divagations «idéologiques,» des théoriciens, si futés soient-ils, et si bien fourbie soit leur argumentation. Les euphémismes utilisés pour cacher les errements de ceux qui tiennent les rênes du pays sont destinés à déguiser l'incompétence et l'impuissance. Ils sont à la fois irresponsables et vains , et ajoutent à l'aggravation de la situation.

Reprendre le chemin emprunté entre 1985 et 1993, en le déguisant sous le terme de «financement non conventionnel,» alors qu'il s'agit exclusivement de l'abus du pouvoir souverain de frapper monnaie, pour dissimuler les failles dans la politique économique suivie avec obstination durant ces quelques vingt dernières années, n'est une preuve ni de compétence technique, ni de discernement raisonné, ni même de courage politique. C'est simplement un sursis que se donnent les gouvernants au détriment des intérêts nationaux et du bien-être de la population, et dont ne profiteront que les prédateurs qui tiennent en otage le pays.

Un dernier mot : Comparaison n'est pas raison. Les autorités publiques algériennes sont tenues de concevoir et de mettre en œuvre des politiques prenant en compte des réalités socio-économiques algériennes, non de la situation dans tel ou tel autre pays de la région. Une comparaison, si précis soient les chiffres qui l'appuient n'est valide que «toutes choses étant égales par ailleurs.» On peut se passer de chiffres pour prouver l'ineptie de l'illusion monétaire; on ne peut penser simplement à la production de biens et services concrets et palpables, l'impression massive de papier-monnaie. Si toute la politique économique se réduisait à émettre de la monnaie, les états souverains en auraient tiré avantage , et les problèmes économiques du monde auraient disparus depuis longtemps et la misère aurait été effacée.