Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La transparence, cet ingrédient qui nous fait défaut

par Brahim Chahed

«Le secret du changement consiste à concentrer son énergie pour créer du nouveau, et non pas pour se battre contre l'ancien.» Dan Millman / Le Guerrier pacifique.

Le sulfureux Ministre de l'Industrie et des Mines est parti comme il est arrivé. Sans explication. Un voyage d'à peine 80 jours autour du Ministère de l'Industrie, où il a passé plus de temps à s'exprimer devant la presse qu'à agir. Au lieu de s'atteler, sans délai, a combler son inexpérience par le tour du propriétaire pour faire un état des lieux, évaluer, réfléchir, concevoir et exposer sa vision et ses priorités, il a plutôt verser dans le déracinement, l'invective et le dénigrement. Le désormais « Ex » a commis l'impardonnable : il s'est adjugé le rôle d'acteur confirmé alors qu'il n'a été appelé que pour être simple figurant, sans texte à dire. À ceux qui cherchent à philosopher sur les raisons de ce départ précipité, nous recommanderons de se préoccuper, plutôt, des logiques qui ont régentés on arrivée.

La nomination de Monsieur YOUSFI au poste de Ministre de l'Industrie et des Mines, qui restait improbable et demeure incompréhensible, peut être lue comme la reprise en main du secteur par le Rassemblement National Démocratique et la continuité du projet de Monsieur BOUCHOUAREB qu'il aurait été difficile de réintroduire au vu des graves accusations portées, publiquement, à son encontre par son très éphémère successeur.Monsieur YOUSFI, cet éternel homme de l'énergie, est peut être envoyé en éclaireur pour jeter les bases d'un grand Ministère qui regrouperait l'Industrie, l'Energie et les Mines, déterrant ainsi le projet, tant rêvé mais non accompli, de Monsieur BOUCHOUAREB. Cela nous conduit à affirmer, sans l'ombre d'un doute, en dépit des changements de façades et des soutiens ou lâchages en trompe l'œil, que les calculs et les plans arrêtés, depuis déjà quelques années, sont toujours d'actualité.

L'évaluation de l'action d'un Ministre en charge d'un secteur de l'importance de l'Industrie requiert de grandes compétences et nécessite une réflexion poussée qui dépasse, assez nettement, le but de notre chronique. Aussi, nous n'allons pas prétendre le faire aujourd'hui en l'espace d'un article. Nous voulons, par contre,essayer d'attirer l'attention de notre lecteur sur la cohérence que semblaient dégager les actions de Monsieur BOUCHOUAREB même si nous trouvons qu'elles procèdent d'une doctrine ultra-libérale, leur mise en œuvre assez mal réussie et l'encadrement en charge de cette mission loin d'être à la hauteur.

Les textes de référence encadrant les opérations de recherche, de conclusion et de suivi des partenariats, la réforme du code des marchés publics, le réaménagement du code des investissements, ainsi que la réorganisation du secteur Public Marchand Industriel sont autant de chantiers lancés, par le Ministre en son temps, en vue de créer les conditions nécessaires au développement et à l'épanouissement de l'entreprise, à la libérer en matière de prise de décision et de management, à renforcer sa position sur le marché national, à permettre la pénétration et la conquête de marchés à l'international et, à valoriser son potentiel d'innovation et de création de valeur.

Mais le cadre institutionnel et le dispositif règlementaire peuvent-ils suffire ? Les déclarations d'intention et les vœux pieux peuvent-ils nous conduire à des résultats satisfaisants ? Peut-on encore se contenter de l'obligation de moyens ou alors doit-on s'imposer l'obligation de résultat?

Trois décennies de restructurations, de privatisations et moult tentatives de libéralisations, des milliards de dinars dépensés en vue de soutenir les activités des entreprises publiques débouchent, malheureusement, sur des échecs cuisants et répétitifs. Nombres d'entreprises, souvent sous perfusions, restent encore aujourd'hui des gouffres financiers et sont, pour la plupart, perçues comme des escarbilles d'un temps, d'une culture et d'une doctrine tous révolus.

Pourtant, elles occupent toujours un rôle économique central dans de nombreux pays industrialisés.

La France a vu le nombre d'entreprises publiques croître alors même que l'Etat cherche à s'en affranchir.

Ainsi, le nombre des entreprises contrôlées majoritairement par l'Etat français s'est vu multiplier, sous le phénomène, de plus en plus marqué, de création de filiales, par deux en moins de dix ans (entre l'année 2007 et l'année 2015).

En Allemagne, les contours de l'activité économique de l'Etat, certes moins importante qu'en France, sont l'aboutissement d'un processus de privatisation animé par des raisons de principe, dans le cadre d'une concentration de l'Etat sur ses missions régaliennes.

La Chine, qui totalise autour de 150 000 entreprises publiques, radicalise son action envers celles d'entre elles qui n'arrivent plus à dégager suffisamment de résultat pour rembourser leur dette (qu'elle appelle Entreprises Zombies » et décide de les fusionner, restructurer ou liquider pour permettre aux entreprises viables de fonctionner, de trouver des financements publiques ou encore bancaires.

Tous (y compris la Chine communiste) ont, depuis déjà longtemps, pris conscience de l'importance de la dimension humaine, de l'apport de l'instauration de règles d'éthique et des retombés bénéfiques de la démocratisation de la gestion des ressources publiques.

Une meilleure transparence dans les processus de choix et de nomination des, (censées être), élites pour présider aux destinées des entreprises publiques serait un gage de sérieux. Les conditions dans lesquelles se fait ce choix, les profils ainsi que les contrats de performances usuels relèvent, encore aujourd'hui, de l'anecdotique. Des questionnements sur ce qu'apportent ces cooptations à l'entreprise et à l'économie ou plutôt sur ce que causent ces cooptations à l'entreprise comme à l'économie doivent, urgemment, courageusement et radicalement, trouver des réponses.

Par-delà la nomination du dirigeant principal, la constitution des équipes dirigeantes demeure le fruit du renvoi d'ascenseur, de la culture de la prédation et un mécanisme, tout rodé, d'accès aux privilèges. Aussi, une rénovation des règles de gouvernance des entreprises publiques parait aujourd'hui surérogatoire.

Les conditions de proposition et de désignation des membres des conseils d'administrations par l'État ou les entités qui le suppléent doivent être clarifiées, et leur stricte application rigoureusement contrôlée, en recherchant un équilibre entre la souplesse des règles énoncées par le code du commerce, les règles propres aux structures régies par décrets particuliers et les spécificités découlant de leur contrôle public.

Pour conclure, je ne puis m'empêcher de reprendre, loin de la laideur du moment, une expression célèbre: « La différence entre une oasis et le désert, ce n'est pas l'eau, c'est l'Homme».

Trouvons-le donc. Ou commençons par le chercher déjà !