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En semant de l'espoir, notre printemps ne sera pas arabe

par Farouk Zahi

Les flatteurs sont nombreux, mais il n'y en a guère qui sachent louer d'une manière noble et décente (Napoléon Bonaparte).

Oui, semons de l'espoir et réfléchissons posément à l'avenir de ce pays bouillonnant de verve juvénile et plein de promesses futures.

On ne nous suggère même pas une succession démocratique, mais une alternative que l'on trouve, tout à fait, naturelle en ajoutant : « En sa qualité d'Algérien, il a le droit de se présenter aux présidentielles de 2019 et nous-mêmes, le Bureau politique, le Comité central et le peuple, nous le proposerons au cas où il veuille se porter candidat ». Et l'on croit, ingénument, que tout Algérien peut se présenter à la magistrature suprême aussi simplement qu'on semble le suggérer. D'abord, de quel peuple parlons-nous, celui des 64,63% d'électeurs qui se sont abstenus aux dernières législatives ou bien les 35,37% qui se sont exprimés ? Le peuple est comme l'eau, pour paraphraser Archimède, qui fait subir une poussée de bas en haut à tout corps plongé dans sa masse. Ce corps, ou pour être précis, cette personnalité n'a même pas besoin qu'on en chante les vertus. Elle sera portée à bout de bras.

Pendant que la vieille Europe ravale sa désuète façade par l'apport de sang nouveau en plébiscitant des quadragénaires de l'Autriche, aux pays scandinaves et de l'Espagne, aux pays baltes, on nous propose des personnalités qui ont déjà un pied dans le troisième âge. Nonobstant les qualités humaines dont peut se prévaloir cette personnalité, sa « désignation » anticipée ne constitue pas moins un manque flagrant de considération à l'égard d'un peuple qui a tant sacrifié pour sa dignité trans- et post-coloniale. Même le décor, planté pour cette interview accordée à une chaîne de télévision de droit privé, péchait par une dissonance qui mettait en concurrence le buste de l'Emir Abdelkader et le portrait officiel du président de la République. Le mieux aurait été que l'illustre interviewé et le journaliste soient debout pour avoir l'intégralité du portrait présidentiel en plein champ télévisuel. L'Emir ou du moins son buste ne fut pas mieux loti car il trônait à une soixantaine de centimètres du sol. Comme quoi, l'amateurisme a de beaux jours devant lui.

La gestuelle et l'emphase n'auront pas suffi à faire passer la claire suggestion qui ne peut inspirer que de l'inquiétude à 21 mois de la prochaine élection présidentielle. Est-ce à dire que le message subliminal, porté par la précoce proposition, va dans le sens de l'abrégement du mandat actuel pour une passe d'armes à la Castro ? Seul l'avenir est en mesure de nous le dire. Dans l'agora offerte par la chaîne privée de télévision, on déclame, tel un sénateur romain, les vertus de ce « César », à la fois professeur d'université émérite, syndicaliste progressiste rugueux, homme d'une réserve à la limite de la timidité et fréquentant assidûment les cérémonies funèbres qui lui valent cette empathie populaire, conseiller et frère du Président duquel il a acquis toute sa bonne éducation. Si tel est le cas, et c'est le cas certainement, a-t-il besoin d'être présenté ? Cette bienveillante dithyrambe peut être contre-productive et aller même dans le sens opposé de ce qu'il en était attendu.

L'orateur semblait axer, principalement, son plaidoyer sur la qualité de conseiller du président de la République, à l'instar d'un défunt Rahal, Rachid Aïssat ou Mohamed Benamar Zerhouni; mais il omet de dire que la qualité de ces personnalités politiques, malgré leur posture confortable, ne leur a, à aucun moment, ouvert la voie royale de la magistrature suprême du pays. Aussi, cette argutie absconse ne peut tenir la route. Ce témoin du siècle qui n'en est pas loin, compte tenu de son 4e âge, doit plutôt penser à une relève puisée dans ce vivier des trentenaires qui sont l'immense majorité de ce peuple; lui et ses congénères ne représentant que 5 ou 10% dans le meilleur des cas. L'Algérie d'ici et d'ailleurs, notamment expatriée, recèle des potentialités humaines immensément qualifiées pour driver, manager et orienter. Sollicitons-les à travers des appels à candidature s'il le faut. Mais il le faut, car il y a urgence signalée.

Nous sommes déjà à deux décennies passées du 3e millénaire qui n'aura plus rien d'humain. Il a cédé le pas au numérique et à la robotique. Aux dernières nouvelles, un robot d'une grande surface s'est « suicidé » en se jetant dans l'eau, vrai ou canular, les humanoïdes sont parmi nous. A ce titre, nous ne pouvons continuer à gérer la chose publique avec la mentalité et les instruments de la dernière moitié du XXe siècle qui est, présentement, archivée. L'excentrique président des USA communique par tweets et le « Tsar » du Kremlin possède un compte facebook et pratique les sports extrêmes. Ils se sont mis dans la peau des nouvelles générations pour être, non pas entendus, mais écoutés.

Le brouhaha politique, fait de défiances et de redressements dans la quasi-totalité des chapelles politiques, ne semble pas s'arrêter de sitôt. Les débats enfiévrés qu'a suscités « le coup d'éventail » de l'Ecole supérieure de la sécurité sociale, infligé au patron des patrons, n'arrêtent pas d'alimenter la chronique nationale. Cette déconvenue protocolaire constituera et pour longtemps, apparemment, la pomme de discorde au sein d'une tripartite en équilibre précaire et qui, selon la presse, couvait un foyer incandescent sous un épais feuillage de siphonage de deniers publics. Cette ambiguïté politico-économico-sociale devait, à la longue, révéler ses tares. Et comme pour marquer notre insoumission à tout paradigme admis sous d'autres cieux, nous innovons dans la déconfiture où les paradoxes sont admis comme vertus. Et voilà que, contre toute attente, le représentant de notre principale force ouvrière s'allie au patronat et sans état d'âme pour rendre coup pour coup au « discourtois » chef de l'Exécutif.

La confusion des genres est, à ce titre, révélatrice d'un narcissisme jusque-là dissimulé derrière un pseudo-patriotisme économique. La réaction d'autres partenaires non concernés par ce qui a pu être considéré comme un affront fait au chef du FCE intuitu personae, est ce mouvement de solidarité à connotation panurgique qui laisse perplexe. A moins que la reddition de comptes demandée par le ministère des Transports et des Travaux publics, sous forme de mises en demeure, ne soit le prélude à une vaste opération d'assainissement des écuries d'Augias ? On susurre même que s'il y a eu investissement soutenu par une bourse déliée bancaire, il s'est fait en extra-muros; le foncier industriel et autres concessions agricoles sont demeurés en jachère. Notre don inné de l'entourloupette et le contournement des barrières légales est passé depuis longtemps à la postérité. Aussi, la discrète et néanmoins annoncée reprise des billes par un homme, dont le moins qu'on puisse dire n'est pas volubile, n'est, certainement, pas faite pour plaire à beaucoup de thuriféraires. L'alliance contre-nature, corporatiste et opportuniste qui saluait, hier, la nomination de ce même Premier ministre, le fustige, présentement, à travers un communiqué où elle ne reconnaît que la haute autorité du Chef de l'Etat. Elle dénie, cependant, à son représentant exécutif, en la personne de M. Tebboune, une quelconque qualité comme si celui-ci est entré dans le champ politique par effraction. Ce qui n'est malheureusement pas le cas pour tout le monde.

Un vieil adage populaire restitue à juste titre cette fourberie langagière : « Si la viande est halal, sa sauce est proscrite » !

Le Forum des chefs d'entreprises (FCE), œuvre de M. Hamiani et de ses pairs, n'est pas de création nouvelle, cette organisation patronale s'est faite jusqu'à une date, relativement récente, plus discrète. La manne financière du début des années 2000 et les facilitations accordées à l'investissement ont été un laboratoire à l'instar de celui du Dr Frankenstein d'où est sortie la « chose ». Saisie de témérité, la créature se retourna contre son concepteur. Décidément, la fable « La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf » n'aura été d'aucun secours à l'actuel président du FCE. Le sieur en question aurait, selon le journal « El Khabar » et en sa qualité de propriétaire du groupe spécialisé dans les grands travaux du BTP et de l'hydraulique, bénéficié depuis 2010 de quatre (4) gros marchés à titre individuel ou en association avec des groupes étrangers, totalisant 48.500 milliards de centimes, l'équivalent, probablement, du budget annuel d'un pays sahélien.

Les avances consenties atteignent parfois jusqu'à 80% du coût du marché. Les délais contractuels largement dépassés mettaient le cocontractant (l'Etat) dans l'obligation de lancer les mises en demeure d'usage. Le vénérable secrétaire général de notre plus vieux parti, en tournée dans les zones sinistrées par les derniers feux de forêt de Kabylie, aurait estimé que le ressac tumultueux fait autour d'un acte de gestion du gouvernement, ne serait qu'une « tempête dans un verre d'eau ». La messe est ainsi dite sur la volonté du chef de gouvernement quand il disait, à juste titre d'ailleurs, que sa volonté était de séparer le monde de l'argent de celui de la politique. En ce qui concerne le chef de la puissante centrale syndicale, cette odyssée téméraire d'hommes faits de la même pâte que les défunts Aïssat Idir ou Abdelhak Benhamouda, celui-ci, en dépit du leurre de la tenue vestimentaire et de la casquette à visière prolétariennes, a entamé son virage idéologique à droite depuis bien longtemps. La fréquentation des palaces algérois est plus lucrative, en toute évidence, que l'enfer des fonderies d'El Hadjar. Aux dernières nouvelles, les personnels du Groupe médiatique -TV et journaux- appartenant à M. Haddad, ont vécu des turbulences salariales mettant l'existence même du groupe en péril. Et c'est là où l'action syndicale aurait eu toute sa plénitude dans la défense des intérêts moraux et matériels des travailleurs, secteur privé et secteur public confondus.