Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Où tourner la tête ?

par Kamal Guerroua

A peine le prix du mouton de l'Aïd est-il évoqué par la Fédération algérienne des consommateurs (FAC) que les langues ont commencé à se délier et les commentaires à fleurir sur les réseaux sociaux. En effet, personne ne peut garder sous le boisseau la question des sous, «le nerf de la guerre», m'avoue un jeune désoeuvré de Bab El-Oued, qui occupe désormais les méninges de tous les Algériens. Ramadan, Aïd, rentrée sociale, etc., toutes les occasions sont là pour grever leurs porte-monnaie et les «angoisser». Où tourner, du coup, la tête quand on est tout le temps appelé à taper dans les poches, dans ce contexte si particulier de «vaches maigres»? La vie dans mon pays devient compliquée pour les petites bourses. Le spectacle des faux importateurs et des rentiers aux gros ventres n'a pas tenu longtemps, au grand dam des concernés. Et nous revoilà à la case départ, c'est-à-dire dans les scénarii peu ragoûtants d'avant les années 2000, en train de constater le ridicule avec ce nouveau gouvernement de Tebboune. Lequel aurait dressé, comble d'ironie, il y a seulement quelques jours, une longue liste de produits interdits à l'importation. Et vous pouvez bien imaginer de quoi il s'agissait au juste ? Des raisins secs, des pistaches, des noix, etc. ! Dans la foulée de cette décision pour le moins que l'on puisse dire «fantaisiste», nombre de médias privés, en quête sans doute de pic d'audience et du sensationnel, se sont mis à faire de la publicité et de la promotion pour la production locale. Thème qu'ils ont pourtant bien su éviter depuis leur apparition. Pourquoi ? On n'en sait rien ! Profitant du micro qu'on lui a tendu, un agriculteur de l'Algérie profonde aurait affirmé alors, en plein milieu de sa petite ferme de poiriers, que l'État s'était, enfin, réveillé ! De quoi ? «De sa torpeur» ! rit-il par dépit certainement. Il les regarde, les considère et leur parle, à eux les fellahs. Ouf ! C'est peut-être la fin de leur galère, à eux, les pauvres agriculteurs, abandonnés, méprisés, livrés à eux-mêmes et surtout «snobés» depuis plus de 15 ans de laxisme et de gaspillage par «ces hommes en costard qui roulent en grosses cylindrées», pour reprendre l'expression du fellah lui-même. Mais qui sont-ils ces gens-là auxquels celui-ci fait allusion avec une indignation à peine dissimulée? C'est simple à deviner en fait : des bons à rien mais aux bras trop longs, devenus, à force de ne rien maîtriser sauf bien entendu l'art de la corruption, des notables fortunés, respectés par tous, choyés et même craints par des hauts responsables de l'Etat ! Le cœur sur la main, l'Algérie de «la chkara» a su leur distribuer de l'argent à gogo sans compter ni moins encore leur demander des bilans concrets. D'ailleurs, elle n'a jamais pensé à performer son système économique ni à faire des cartes bancaires une priorité dans les transactions commerciales de ses citoyens. Cela aurait bien arrangé les intérêts de ces gens-là qui ont fourré partout des liasses de billets et se sont adonnés avec délectation à «la zerda de la rente» ! Et puis, au fellah de s'exclamer, le regard maintenant hagard et l'air révolté : «Comment demande-t-on alors aux éleveurs du cheptel et aux maquignons de baisser les prix des moutons pour cette fête de l'Aïd El-Kébir» ? «Eux aussi, argumente-t-il prolixe, doivent avoir leur part du gâteau» ! Voilà comment on raisonne chez nous ! Et le grand perdant dans tout ça ? : ce citoyen qui n'a pas d'épaules ni de maârifa, ce chômeur qui erre d'un café maure à l'autre pour tuer le temps, le marginalisé, l'Algérien d'en bas quoi !