Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Brésil, la corruption en dynastie

par Sïd Lakhdar Boumediene*

Alors que l'ancien président Lula vient d'être condamné à neuf ans de prison pour corruption et blanchiment d'argent, le président actuel, Michel Temer, est sous le coup d'une investigation portant sur les mêmes incriminations pénales. Ce dernier avait succédé à Dilma Rousseff, poussée vers la sortie pour cause de même vertu. Au Brésil, il semble que c'est la dynastie des corrompus qui s'accroche au trône de son royaume. Mais c'est à contre-courant car ils n'ont pas compris que le monde a changé. Des individus hors sol, comme il en existe partout dans le monde, les Algériens le vivent tous les jours.

Les favelas de Rio avaient été nettoyées pour accueillir les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football. Le crime et la  pauvreté ont été mis sous le ta pis et n'apparaissent plus aux yeux des touristes du monde entier. Mais le Brésil, noceur et irresponsable, avait inversé les priorités en confondant les causes et les conséquences. Si la relation entre la corruption et la misère est à double flux, au Brésil la balance semble pencher lourdement d'un côté.

Après la samba et l'extraordinaire promesse de la relance économique des BRINKS, voilà que la cause profonde du malheur perpétuel de ce pays rejaillit au grand jour, pire que l'addiction des drogues les plus fortes, c'est-à-dire la corruption des dirigeants politiques.

Le Brésil connaît l'une de ses plus graves crises politiques, concomitante à une chute vertigineuse de son économie, pourtant florissante il y a encore quelques années. Ce pays cigale venait de se payer, coup sur coup, les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football. Comme un flambeur des casinos, il a tout misé sur le tapis et a tout perdu.

Et lorsque le noceur perd tout, c'est soudain son véritable visage qui apparaît. De princes enchanteurs, les hommes d'affaires et politiques au sommet du pouvoir sont apparus dans la triste réalité de ce qu'ils sont, c'est-à-dire des maffieux sans scrupules.

L'annonce a été faite le 18 mai, Michel Temer, président du Brésil, est sous le coup d'une enquête pour «corruption», «participation à une organisation criminelle» et «obstruction au travail de la justice». Le Brésil renoue donc avec la triste époque du président Fernando Collor en 1992, si on fait l'impasse sur la période de la dictature militaire où la corruption est un fait naturel et totalement impunie.

Le président Temer, élu après l'éviction de Dilma Rousseff est, à son tour, dans la tourmente de la justice et fait l'objet de manifestations fortes pour réclamer son départ. Il ne fait pas de doute que l'issue sera fatale pour celui qui fut le fossoyeur de Dilma Rousseff.

Le destitueur destitué ?

Dans tout le Brésil, et particulièrement à Brasília où une foule importante a manifesté en nombre, le peuple gronde sa colère et réclame le départ de l'homme accusé de grave corruption.

Le président Temer a riposté avec le déploiement massif et violent des forces militaires dans les rues (que savent-ils faire d'autre ?), rappelant aux Brésiliens les tristes années de plomb (1964-1985).

Il s'est d'ailleurs lui-même ravisé, comprenant que le temps n'était plus au brutal pouvoir des militaires et que son action risquait de l'enfoncer davantage. Néanmoins, se multiplient au Parlement les demandes de destitution et cela devrait lui rappeler des souvenirs, car il fut l'un des artisans du mouvement qui avait contraint l'ancienne présidente à un départ humiliant. Il fut le vice-président de Dilma Rousseff pendant trois ans, tellement dévoué qu'il mit toutes ses forces à la pousser dans le précipice afin de lui prendre sa place.

Un corrompu en chasserait un autre, à la présidence de la république brésilienne ? Il faut croire que oui, puisque l'ancien mentor de Dilma Rousseff, le très charismatique Lula, avait lui aussi terminé sa carrière suite à des faits dont l'odeur de corruption était tout aussi pestilentielle. La lourde condamnation pénale est l'épilogue d'une gigantesque arnaque populiste dont le Brésil fut victime, tout autant que la planète entière. Nous y reviendrons. Et un, et deux, et trois ! Chacun connaît cette expression, devenue désormais célèbre, née de la défaite du Brésil à la Coupe du monde de 1998 par trois buts à zéro. Puisque le Brésil s'identifie tellement au football, voilà bien une expression qui illustre magnifiquement la situation dynastique du moment. Rappelons brièvement cette séquence historique à trois temps et commençons par le dernier, le président actuel, Michel Temer. Nous comprendrons ce qu'il s'est passé car, en corruption, les scénarios sont aussi divers que les astuces de la délinquance quotidienne.

Le président aime les oiseaux !

Même si ce n'est pas la première piste qui fit naître les soupçons, l'affaire débute lorsque le journal O GLOBO révèle une rencontre secrète entre le président et un sulfureux chef d'entreprise, Joesley Batista. Ce dernier est propriétaire du premier groupe mondial de viande, JBS, et pas du tout le plus vertueux du monde pour le respect des règles du droit et de la démocratie.

L'affaire est pathétique car le président Temer s'est fait piéger comme un débutant alors qu'il est un ancien militant du plus important parti politique du pays, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB). Et ce parti manie la corruption, comme tant d'autres, depuis si longtemps qu'on en reste étonné de l'amateurisme du président dans cette histoire rocambolesque.

Le 7 mars, il reçoit donc secrètement l'homme d'affaires dans sa résidence officielle. Dans la poche de ce dernier se dissimule un enregistreur. Ce qu'on va entendre de l'enregistrement remis au parquet est le parfait exemple de la relation entre le monde politique brésilien et celui des affaires, notamment observée dans l'affaire Petrobras, la puissante entreprise pétrolière, mère de toutes les plus grandes affaires de corruption. On entend clairement le président répondre «Parfait, parfait» à l'homme d'affaires qui affirme soudoyer un procureur pour obtenir des informations sur les procédures dont il est la cible.

Le patron de JBS a collaboré avec la police judiciaire pour blanchir son groupe en vue d'une OPA prochaine à Wall Street. Au passage, Joesley Batista avoue avoir «arrosé», sous le couvert de fonds de campagne électorale, plus de 1.800 hommes politiques issus de 28 partis. Un haut cadre de JBS passe aux aveux à son tour et confirme qu'en 2014, le vice-président de Dilma Rousseff, c'est-à-dire Michel Temer lui-même, aurait encaissé 270.000 euros sur plus de quatre millions versés par l'entreprise pour la campagne du parti, le PMDB. Michel Temer aurait demandé, en langage codé bien compris, «de donner des graines aux oiseaux», autrement dit d'acheter le silence de l'ex-président de la chambre des députés, Eduardo Cunha, pourtant son ancien allié. Ce dernier, arrêté, affirme qu'il en sait long sur l'actuel président.

Ainsi va le pays de la samba, du rêve exotique, du football divin et des plages interminables. Le dos de la carte postale est en fait une invitation en enfer et dans le pire repaire de maffieux aux commandes du pays.

La triangulation de l'échec

Plus d'un demi-siècle après l'émancipation des pays que l'on disait «sous-développés», ensuite «en voie de développement», puis «émergents», la fatalité semble leur coller à la peau comme une damnation éternelle. Si nous caractérisons l'espoir de notre jeunesse algérienne par certaines promesses rêvées, l'échec du Brésil, en miroir inversé avec notre pays, se lit à travers trois dimensions qui étaient considérées comme les plus prometteuses.

La première est la croyance que la démocratie pourrait un jour voir le jour et, avec elle, l'ascension sociale par le mérite, quel que soit le niveau social de départ.

Le président Lula donna un court moment l'illusion d'incarner ce premier rêve. Il fut l'espoir des «petits» à pouvoir accéder à la plus haute marche du pouvoir, même pour l'ancien ouvrier qu'il fut. Il avait suscité les rêves des démunis qui grimpèrent vers des sommets d'espérance.

Il est vrai, reconnaissons-le, qu'un grand souffle d'humanisme avait soufflé sur le Brésil et séduit le monde entier qui a porté Lula au rang de symbole universel.

Son début de mandat fut réellement sincère et juste vis-à-vis des opprimés et des déclassés. On louait la force et la droiture d'un homme issu d'un milieu modeste qui a su faire comprendre aux «grands» que l'économie d'un pays était, avant tout, le fruit du travail des citoyens.

Tout cela est exact et nous ne pouvons le nier. Mais Lula a fini par être englouti par un populisme débordant et il commença à croire que sa puissance n'avait pas de limites car justifiée par la légitimité populaire. Lula a fait l'erreur fatale de tous ceux qui n'avaient pas une grande instruction et qui ont cru que la foule en délire à leur passage était leur sacre.

Et ce que nous redoutions qu'il arrivât est finalement survenu. Lula a confondu le patrimoine personnel avec celui du parti et celui de l'État. Petrobras, comme notre Sonatrach, est un royaume beaucoup plus puissant que celui que lui accordaient les institutions et le droit.

La tentation était trop forte. La seconde dimension du rêve fut l'élection d'une femme à la tête d'un puissant pays du Sud. Elle n'était ni la première ni la seule mais Dilma Rousseff a incarné, encore plus que les autres, l'avancée dans les mentalités. Hélas, ce fut une erreur de penser que les choses allaient se transformer par le simple fait de l'accession d'une femme au pouvoir. C'est bien la preuve que la femme est l'égale de l'homme, c'est en soi un réconfort pour les humanistes mais pas pour les Brésiliens qui ont payé le même tarif, c'est-à-dire très cher.

Quant à la troisième dimension de notre rêve algérien, ce fut notre croyance que l'instruction allait définitivement mettre un terme à la sauvagerie de la corruption d'État dans nos pays, nouvellement libres. Issu de la bourgeoisie la plus éduquée, son instruction comme son parcours professionnel ne pouvaient, a priori, l'assimiler aux rustres corrompus des temps anciens. Michel Temer est pourtant la parfaite illustration de notre naïveté.

Ce troisième pilier de nos rêves s'écroule car la corruption en «col blanc» n'est pas plus pardonnable ni moins violente que les précédentes. J'avais pourtant cru, pour des raisons qui me sont propres, qu'un ancien professeur de droit constitutionnel ne pouvait tomber dans la corruption la plus grossière et détestable du Brésil. J'ai tout faux, comme disent les jeunes, comme nous avions tout faux en le pensant pour nos dirigeants d'entreprises d'État algériennes qui avaient fréquenté, nous avait-on affirmé, les meilleures universités du monde.

L'explication est donc dans autre chose que les dimensions intellectuelles que nous avions rêvées dans notre jeunesse algérienne. L'être humain est corruptible partout dans le monde, en toutes catégories sociales et niveaux d'instruction.

Cependant, il faut bien constater que nous semblons détenir des records en ce domaine que nous n'avons jamais pu atteindre dans d'autres.

Sommes-nous maudits à ce point et que se passe-t-il dans la tête de ces individus corrompus ?

Ils n'ont rien compris !

Lula et ses successeurs se sont crus intouchables ; comme tous les autres il n'ont rien compris au monde qui naissait, à ce nouvel élan de la jeunesse et des classes moyennes instruites qui ne peuvent plus supporter la gouaille des populistes et la vulgarité de la corruption d'État. Ces derniers savent que cet argent leur est soustrait et cela leur est insupportable. Ils ne sont plus prêts à chanter et danser à chaque fois qu'ils sont spoliés comme la caricature qui en est faite par les racistes qui nous renvoient à une image détestable (mais tellement vraie, au fond). C'est ce nouveau monde que Lula et les autres n'ont pas perçu.

Les dirigeants politiques et hommes d'affaires brésiliens, comme tous leurs équivalents dans la majorité des «pays du Sud» n'ont décidément pas compris que le monde ne pouvait plus tolérer l'indécence et l'impunité de leur corruption. La corruption d'État, massive et sans scrupules, n'est plus possible dans des pays où le niveau d'instruction et d'information n'est plus celui des populations des décennies de misère.

Tout finit par se savoir et, même dans les systèmes judiciaires et médiatiques verrouillés comme dans certains autres pays que le Brésil, il y a toujours une prise de conscience des classes moyennes.

Cela est si vrai que le Brésil est un anachronisme en lui-même, puisqu'il est devenu une réelle démocratie tout en gardant les mœurs anciennes, particulièrement ceux de la dictature militaire qui rime toujours avec corruption.

Les trois présidents qui se sont suivis n'ont visiblement pas compris qu'il y avait deux mondes qui coexistaient et que le nouveau pousse l'ancien de plus en plus fort vers la disparition. La vulgarité et l'ostentation dans la corruption d'État n'est plus possible en ces temps où la population a le sens des réalités et bénéficie d'un accès à toutes les communications mondiales.

Les trafics entre les hommes d'affaires, les dirigeants des entreprises nationales et les dirigeants politiques ne peuvent plus se faire au Brésil comme du temps de la vielle époque où la tenue militaire ainsi que celle du policier vous glaçaient le sang à leur seule apparition.

Les dirigeants brésiliens n'ont décidément rien compris, ni l'apparition d'un nouveau monde, ni l'éclatement du secret de certaines affaires douteuses, ni la nouvelle volonté des peuples d'en sortir avec le saignement de leur pays par la corruption d'État.

En conclusion, un pays qui vend en carte postale son insouciance au soleil, ses plages paradisiaques, son football de rêve, sa gaîté et ses danses universellement appréciées, c'est toujours factice si aucune fondation n'est assurée.

Un pays qui dissimule une arrière-cour où se côtoient un monde miséreux et un système entièrement gangrené par des milliardaires, hommes d'affaires et politiques, qui explosent de leur richesse, est condamné à une histoire maudite.

Un pays qui chante et danse en toutes circonstances et, plus on le spolie, plus il chante et danse, est un pays qui allume dans la joie et l'allégresse son propre bûcher sur lequel il périra.

Cela ne dit rien au lecteur ? Alors, cet été, pourquoi aller si loin, si cher, lorsqu'on a le Brésil chez soi !

*Enseignant