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Judaïsme et sionisme, les deux mamelles de la France macroniste

par Farouk Zahi

«Nous ne céderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme» (Emmanuel Macron).

Commémorant le 75e anniversaire de la rafle du Vél d'Hiv du 16 et 17 juillet 1942 qui a devancé la déportation d'une trentaine de milliers de Juifs à Auschwitz et autres camps de concentration, cette tonitruante déclaration d'Emmanuel Macron, président de tous les Français, fait une avancée sémantique s'il en est, selon le commentaire de France 24, qui fera date dans l'histoire de la France libre chère à Charles de Gaulle. Séduits par sa liberté de ton lors de sa campagne électorale, mêmes si nous ne sommes plus ses concitoyens depuis un certain 5 juillet 1962, nous avons vite déchanté, d'abord, par son esprit polémiste ensuite par ces nombreux changements de cap imprévisibles. Cette profession de foi n'est pas faite pour déplaire à M. Netanyahou, le faucon israélien, que la France vient d'honorer en invitant en sa personne, pour la première fois, un leader sioniste pour commémorer une des séquences tragiques de la Shoah, lui reconnaissant ainsi une qualité usurpée de représentant des Juifs de la planète. Du pain bénit pour ce chef politique controversé qui lui fera dire : «Ce geste de la France est fort, très fort !». Ce soutien franc et inespéré apparemment constituera un atout supplémentaire dans la main tachée de sang de ce partisan de la politique de la terre brulée au détriment d'un peuple spolié, contre son gré et placé dans l'errance de l'exil et les camps de refugiés dans son propre pays. Où résiderait donc la différence entre les camps de concentration nazis et ceux de Gaza ?

L'assimilation de l'antisionisme à l'antisémitisme que fait M. Macron que l'on ne peut soupçonner d'inintelligence culturelle ou politique, fait partie d'un scénario dont il est le seul, probablement, à préfigurer le casting et le rôle dévolu à chacun des protagonistes d'une mauvaise pièce jouée par des funambules. Sinon, comment expliquer cette autre affirmation en voulant souligner en présence de son hôte à qui il s'adressait d'ailleurs, l'importance de «la lutte» que représente à la fois le terrorisme et l'antisémitisme pour dire : «Cette lutte, c'est aussi celle que nous menons et que nous continuerons à mener ensemble, monsieur le Premier ministre contre le terrorisme obscur et le pire des fanatismes. Contre tous ceux qui voudraient nous faire oublier ce que je viens de rappeler. Alors oui, nous ne céderons rien aux messages de haine. Nous ne céderons rien à l'antisionisme, car il est la forme réinventée de l'antisémitisme». Nous y voilà, l'allusion au Hamas et au Hezbollah n'est même voilée car la périphrase qui, par un heureux lapsus, dénude l'arrière-pensée du locuteur en introduisant le concept nouveau de terrorisme obscur. Comme s'il y avait en antinomie un terrorisme éclairé. En fait oui, et pourquoi ne serait-il pas celui exercé par l'Etat islamique (EI) dont Israël semble s'en accommoder puisque, pour l'heure, il n'y a que les musulmans qui en pâtissent mortellement ? Se peut-il que la mauvaise foi atteigne un tel degré de turpitude ?

Si M. Macron considère la résistance à une occupation armée de son propre territoire est une forme de terrorisme obscur, il déjuge historiquement du coup l'appel du 18 juin du général de Gaulle et le sacrifice de Jean Moulin et de tous les membres morts au combat des Forces françaises de l'intérieur (FFI). De mémoire d'homme contemporain, l'attentat de l'hôtel King David de Jérusalem qui fut l'un des plus retentissants et des plus sanglants de la première moitié du XXe siècle a été, l'un des premiers, sinon le premier inaugurant une série d'actes terroristes au lendemain de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Dans une publication du 05-08-2016, le site électronique Hérodote.com, restitue cet évènement, prélude sanglant à la création de l'Etat d'Israël. Nous citons :

«Le 22 juillet 1946, une explosion secoue l'hôtel du Roi David à Jérusalem. De cet hôtel, qui sert de quartier général à l'armée britannique, la Grande-Bretagne administre la Palestine avec, depuis 1922, un mandat de la Société des Nations (SDN). Cependant, pour ne pas envenimer ses relations avec le monde arabe, elle s'oppose à l'entrée sur le territoire de nouveaux immigrants juifs et en particulier de rescapés de la Shoah, malgré les protestations de Yishouv (nom hébraïque de l'Agence juive). Présidée par David Ben Gourion, celle-ci fait office de gouvernement occulte du «Foyer national juif» mais sa modération lui vaut l'hostilité de Menahem Begin, lequel dirige l'Irgoun (nom hébraïque de l'armée secrète juive). Le samedi 29 juin 1946, les Britanniques procèdent à une vague d'arrestations dans les bureaux de l'Agence juive. C'est pour l'Irgoun l'occasion de prendre l'initiative en venant au secours de sa rivale. L'organisation décide donc de faire sauter une aile du King David Hôtel. Quelques minutes avant l'explosion, vers 13 heures, un coup de fil prévient le réceptionniste de l'hôtel. Mais c'est trop tard pour une évacuation dans les règles. L'attentat fait 91 morts dont 25 Britanniques. Sous le coup de l'émotion, l'opinion publique britannique pousse le gouvernement de Londres à se désengager au plus vite du bourbier palestinien. Lui-même ne supporte plus de mobiliser sur place 80.000 soldats. Il confie le dossier à l'ONU et la naissance d'Israël sera officialisée le 14 mai 1948». Fin de citation.

La symbolique religieuse de cette spoliation coloniale se légitimant du règne de David, l'un des trois fondateurs de l'éphémère royaume d'Israël qui n'aura duré que deux petits siècles du premier millénaire av.J.C, n'est en toute évidence qu'un faux alibi pour déposséder tout un peuple aussi ancien que le peuple juif, de son foyer national comme aiment à utiliser ce vocable les adeptes de Théodor Herzl. Si la componction de M. Macron pour le drame juif peut être quelque peu surfaite pour plaire au lobby juif international, elle ne doit en aucun cas offrir à Israël l'occasion de demander plus d'avantages compensatoires à la vieille Europe, notamment l'Allemagne qui ne cesse de réparer un génocide dont elle n'est pas seule responsable. L'antisémitisme, M. le Président est, historiquement, de votre seule invention que ce soit l'affaire Dreyfus ou le racisme anti-juif, russe ou polonais. Ce sont ces facteurs répulsifs qui ont aidé à la tenue du Congrès de Bâle. Et toutes les conséquences tragiques qui en découlèrent seront à jamais inscrites dans le palmarès macabre de cette vieille Europe méprisante et cupide. Poussez le zèle jusqu'à assumer publiquement la responsabilité directe de la France dans ce «goulag» du Vél d'Hiv elle même occupée et dénier délibérément ce droit à un peuple occupé par cette même France souveraine ne peut participer que de l'absence de conscience morale de ses successives directions politiques. A seulement quelque 35 mois de cette rafle, le massacre du Nord-Constantinois algérien venait célébrer dans le sang et les larmes l'Armistice qui mis fin à ce Deuxième conflit mondial.

Le génocide, suivi de crémation dans des fours à chaux venait, si besoin était, confirmer que l'occupé d'hier n'avait rien à envier à son propre occupant dans le crime de guerre et le crime contre l'humanité. Et ce sont, aujourd'hui, les promoteurs du terrorisme d'Etat qu'il ait eu lieu à Sabra et Chatila ou à Sétif et Guelma, qui, dans une duplicité discursive, viennent donner des leçons de bonne conduite à des peuples qu'ils ont subjugués par le passé ou qu'ils continuent violenter par des armes de plus en plus sophistiquées. Profitant de cette surprenante «repentance», Netanyahou, alias Bibi pour les intimes, pousse un peu plus loin le bouchon pour exiger l'annulation pure et simple de l'accord avec l'Iran, œuvre de Barack Obama, optant ainsi pour une posture (toujours) victimaire afin de livrer le «pays des Mollahs» à la force de frappe de l'Otan et autres affidés des pétromonarchies du Golfe.

Le salut viendra, un jour, de ces femmes et de ces hommes israéliens et libres penseurs qui assument pleinement leur identité sémitique, mais rejettent ou, du moins ne s'alignent pas aveuglément sur les concepts dogmatiques du sionisme. A ce titre, nous renvoyons l'aimable lecteur à cette réflexion de Avraham B. Yehoshua, écrivain, publiée par Libération du 30 mai 2013 : «D'abord Hébraïsme est un terme polysémique. Il sert initialement à désigner l'identification d'un usage, trait, ou caractéristique de l'hébreu, mais par extension successive, en vient à être appliqué aux Hébreux, voire aux Juifs, leur doctrine, leur idéologie nationale, ou leur culture. Le terme de «sioniste» est fondamentalement simple, clair, facile à définir, à comprendre et à justifier. Cependant, au cours des vingt, trente dernières années, ce terme s'est transformé en une notion des plus confuses. La droite l'ajoute comme une sorte de crème chantilly pour améliorer le goût de mets douteux, tandis que la gauche l'envisage avec crainte comme une sorte de mine susceptible d'exploser entre ses mains, qu'il convient de neutraliser avec toutes sortes d'ajouts bizarres, du genre «sionisme raisonnable» ou «sionisme humaniste». A l'étranger, dans les cercles critiques à l'égard d'Israël, le sionisme sert de poison à l'aide duquel chaque argument à l'encontre de l'Etat hébreu se voit aggravé. Pour certains critiques, la solution pour l'avenir de ce pays est même dans la «désionisation» de son identité. Pour les ennemis jurés d'Israël, sioniste est un vocable diabolique, un qualificatif péjoratif remplaçant le mot «israélien» ou «juif». Les membres du Hamas parleront du «soldat sioniste prisonnier», et le Hezbollah et l'Iran se référeront à «l'entité sioniste criminelle» et non à Israël». Fin de citation.

De ce qui précède, M. Macron aurait tout intérêt à conserver l'image d'une France luminescente, patiemment dessinée par Charles de Gaulle et François Mitterrand, de bords politiques pourtant opposés, et ne pas conjecturer sur l'avenir politique de ce monde bouillonnant d'incertitudes. Dire que la dernière visite de Donald Trump, président loufoque des Etats-Unis d'Amérique, a donné à celui-ci une autre image de la France est, à tout le moins, indigne du président d'un pays dont le gouvernement royal tenait sa cour au château de Versailles. Même le machin, dont de Gaulle affublait, très justement, l'Organisation des Nations unies (ONU) ne l'avait pas impressionné autant que ne le fit le président américain à l'allure de croupier de casino new-yorkais sur le nouveau président français. L'homme de la Libération (mentale) s'en retournera encore une fois de plus dans sa tombe de Colombey-Les-Deux-Eglises.