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Radiohead, BDS, le monde arabe et la Palestine

par Paris : Akram Belkaïd

Mercredi soir, bien après le bouclage de cette chronique, le grand groupe britannique de rock Radiohead devait se produire à Tel-Aviv.

De nombreux artistes et personnalités ont pourtant appelé Thom Yorke et sa bande à renoncer à un tel concert dans la ville israélienne que la communauté internationale considère comme la capitale de l'Etat hébreu. Parmi eux, les réalisateurs Mike Leigh et Ken Loach ainsi que le chanteur et musicien Roger Waters, fondateur de Pink Floyd. Leurs appels sont restés vains et il s'agit d'une défaite symbolique pour celles et ceux qui prônent le boycottage culturel d'Israël pour mettre fin à la situation d'apartheid subie par le peuple palestinien et à l'occupation coloniale de la Cisjordanie.

Dans un raisonnement des plus spécieux, Thom Yorke a expliqué que son groupe joue aussi aux Etats-Unis et que cela ne signifie pas qu'il soutient Donald Trump. La question n'est pas là, car chanter en Israël, même en se faisant accompagner par des musiciens arabes ou arabophones, ce n'est pas soutenir Netanyahou (quoique?). C'est surtout cautionner l'existence d'un système ségrégationniste et injuste. C'est refuser d'interpeller une population israélienne qui a beau dire et beau faire mais qui, in fine, semble très bien s'accommoder de la situation.

Certes, d'autres artistes se produisent dans ce pays. Mais, comparé au fossile chevrotant qu'est devenu Elton John, à la greluche fêlée qu'est Britney Spears ou à l'imposture musicale qu'a toujours été Guns N'Roses, la présence de Radiohead à Tel-Aviv est d'une toute autre dimension quand on sait l'impact majeur de ce groupe sur la scène rock depuis vingt ans, date de la sortie de leur album désormais culte OK Computer.

Les combats politiques sont fait de victoires et de défaites et ce concert est bien un revers pour le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) lancé par la société civile palestinienne en 2005 et mené par de nombreux militants à travers le monde. Un revers oui, mais pas une défaite définitive comme l'affirme Guy Beser, l'un des organisateurs du concert de Radiohead. Pour lui, «BDS a perdu la guerre». C'est aller vite en besogne et prendre sa propagande pour une réalité.

Le bras de fer ne va pas cesser. Le fait est que jamais la mobilisation de BDS n'a été aussi importante qu'au cours de ces dernières années. Le mouvement se fait connaître dans le monde entier et ne cesse de progresser en audience. Il ne s'agit pas uniquement de boycottage dans le secteur culturel mais dans toutes les dimensions à commencer par l'économie. C'est ce qui inquiète au plus haut point les autorités israéliennes car on touche là au nerf de la guerre. A titre d'exemple, en juin dernier, la Haute Cour de Londres, instance judiciaire suprême, a donné raison aux militants pro-palestiniens (Palestine Solidarity Campaign) qui l'avaient saisie pour contester la décision du gouvernement britannique de ne plus accorder de financements aux municipalités ayant décidé de boycotter les firmes qui participent à l'occupation de la Palestine. En de nombreux endroits du monde occidental, une grosse bataille se déroule autour du droit légitime à boycotter un Etat qui ne respecte pas nombre de résolutions de l'ONU et qui continue de coloniser la Cisjordanie au mépris des lois internationales.

Les arguments israéliens sont connus. Souvent, ils consistent à disqualifier les pro-Palestiniens en les traitant d'antisémites. Procédé facile mais qui ne trompe guère. Il faut aussi montrer que le boycottage n'a pas d'effets. Du coup, on comprend pourquoi le champ culturel prend tant d'importance. Sur le plan de la propagande, un show de Radiohead à Tel-Aviv est une précieuse réclame. Cela permet de dire, «regardez, de grands groupes se produisent chez nous, c'est bien que la situation n'est pas celle que nos adversaires décrivent». On devine derrière tout cela un lobbying intense où intérêts économiques des organisateurs de concerts vont de pair avec la stratégie gouvernementale pour contrer BDS.

Tout cela intervient dans un contexte paradoxal. D'un côté, des militants et sympathisants pro-palestiniens toujours plus actifs et nombreux dans le monde occidental. De l'autre, un «ventre mou» arabe parfois enclin à se taire ou à regarder ailleurs. Certes, la question palestinienne y demeure centrale -et il faut saluer la mobilisation de nombreux acteurs- mais l'attention des opinions publiques, confrontées à d'immenses problèmes intérieurs, tend à se relâcher. Dans le même temps, des régimes, et non des moindres, on pense à ceux de l'Arabie saoudite et de ses vassaux, semblent ne rêver que d'une seule chose : normaliser leurs relations avec Israël, voire lui faire allégeance pour s'assurer un nouveau statut international ou une protection (contre l'Iran dans le cas du royaume wahhabite). Tout cela brouille les analyses et les perceptions.

Depuis 2011 et les révoltes populaires, le sort des Palestiniens semble parfois passer au second plan. Plus terrible encore, le monde arabe connaît désormais deux drames majeurs. Le sort des Palestiniens mais aussi, et c'est plus récent, celui des Syriens. Le camp «progressiste» pro-palestinien est même divisé entre pro et anti-Bachar. A cela s'ajoutent les errements de l'Autorité palestinienne qui inflige, elle aussi, des souffrances à la population de Gaza pour mater le Hamas. En forçant volontairement le trait, on peut donc dire que c'est la mobilisation en Occident qui fait office de locomotive pour la cause palestinienne.

Cela signifie que la défense de la cause palestinienne a besoin d'un nouvel élan fédérateur dans le monde arabe. D'une dynamique renouvelée qui transcende à la fois les clivages nés du drame syrien et la lassitude d'opinions publiques accablées par des échecs politiques et des drames à répétition. La question étant de savoir quel courant politique ou de la société civile est capable aujourd'hui d'œuvrer à ce renouveau...