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Violente charge de Mouloud Hedir contre le système des licences

par Abed Charef

Improvisation, manque de transparence, absence d'objectifs. Mouloud Hedir, spécialiste du commerce international, sonne la charge contre le système des licences et appelle à «changer de logiciel» économique.

Parler d'économie en temps normal est rébarbatif. Parler d'économie en été, par temps de canicule, à l'heure où les gens normaux se préoccupent de plages et de voyages, est une véritable épreuve. Que dire alors quand il faut lire un texte de 48 pages de Care (Centre d'Action et de Réflexion sur l'Entreprise), un long texte de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Laksaci, et un autre, tout aussi long, de Abderrahmane Mebtoul ?

Pour éviter un sort à la Mohamed Bouazizi, il n'y a pas beaucoup d'issues. Il faut dribbler. Esquiver. Se dérober. Trouver la formule qui ne trouble pas la sieste du lecteur. Et, surtout, se défausser sur les autres. Leur imputer le poids des mots les plus lourds à porter.

Deux personnes offrent une perche salutaire pour éviter d'ennuyer le lecteur en ce week-end de la mi-juillet. Le premier, Nabil Mellah, accessoirement chef d'entreprise, est surtout blogueur, amateur de bons mots et de belles formules.         Il aime jouer avec les mots comme Ronaldo avec un ballon. Après avoir lancé le concept de «tribarkisme», il en a expliqué la substance cette semaine: cela consiste à gérer l'économie algérienne par «l'improximation», un néologisme qui combine «improvisation» et «approximation», dit-il.

Hasard : Mouloud Hedir, spécialiste du commerce international, a parfaitement illustré ce qu'est «l'improximation», dans un texte sur les licences d'importation rendu public mardi dernier.

Triste épisode

Mouloud Hedir n'y va pas par quatre chemins pour commenter les décisions sur la gestion des licences d'importation. Il parle «d'improvisation», de manque de visibilité, d'absence de transparence, d'inadéquation des mesures prises, de difficultés d'évaluer leur bilan et leur impact. C'est un choix «qui n'apporte rien», et qui se situe «à l'opposé» de ce qu'il faut faire. Bref, il s'agit d'un «triste épisode» de l'histoire de l'économie algérienne, dit-il.

Il balaie d'un revers de main les éléments de langage du gouvernement sur la possibilité de l'Algérie de recourir aux licences sans enfreindre les règles de l'OMC et les accords de libre-échange. L'Algérie n'est pas membre de l'OMC, et l'accord d'association avec l'Union européenne lui permet ce recours en cas de menace sérieuse sur la balance des paiements. L'Algérie «paie très cher, certes, son absence de l'OMC où se décide la régulation des échanges mondiaux, mais cela lui donne au moins toute latitude pour prendre les mesures restrictives qu'elle souhaite, sans avoir à les justifier. Ce que, de toute façon, aucun des membres de l'OMC ne lui demande de faire», rappelle-t-il. Mais le problème n'est pas là.

Programme mal calibré

Mouloud Hedir souligne ce qui fait défaut dans ces mesures : une vision, des objectifs, des délais, de la cohérence. Il résume les défaillances du programme de licences d'importation en quatre points : il est «décidé au jour le jour», et il «n'est pas affiché clairement» ; «il n'est pas limité dans le temps» ; «un grand nombre des restrictions envisagées sont sans relation aucune avec l'objectif d'une réduction significative des importations» ; enfin, il est «malaisé de mesurer la qualité de la mise en œuvre» de ces restrictions.

En outre, ce programme de licences est «mal calibré». Selon lui, dans les conditions actuelles, «le recours à un régime de licences revient, dans les faits, à aménager de nouvelles niches de rentes au sein d'une économie qui n'en a pas besoin et où la concurrence est loin d'être la règle cardinale».

Un autre logiciel

Il se demande, en conséquence, s'il n'était pas préférable d'opérer par un ajustement régulier du taux de change du dinar, même si cette option comporte un risque d'inflation et un autre lié à la hausse du poids des subventions. «On ne peut ajuster le taux de change sans affecter gravement le pouvoir d'achat des plus démunis», rappelle-t-il.

En conséquence de quoi, M. Hedir demande aux responsables de l'économie algérienne «d'ouvrir les yeux», de «se rendre à l'évidence», car «cela n'apporte absolument rien au problème de fond de notre système d'échanges extérieurs». Il propose donc une option tranchée. «C'est un tout autre logiciel qu'il s'agit pour notre pays de concevoir et de mettre en place, un logiciel qui, il faut le dire sans ambages, est à l'opposé de cette gestion administrative de notre commerce vers laquelle le régime actuel des licences nous entraîne désespérément».

Pour lui, «l'Algérie connaît un grave problème d'organisation de sa relation économique et commerciale avec le reste du monde. C'est un problème très sérieux» qui exige «un investissement massif en réflexions et en ingénierie», et qui ne peut se satisfaire des «tiribarkisme» en vigueur.