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Réformes structurelles et sécurité sociale

par Ali Tadjine *

Il est admis que le système de protection sociale d'un pays ne peut être que le reflet de son niveau de développement social et économique, et l'évolution historique des systèmes de protection sociale et, plus particulièrement celle de la sécurité sociale, à travers le monde reste intimement liée à l'histoire des différents mouvements sociaux qui ont marqué l'humanité. Elles s'inscrivent dans une dialectique dont l'aboutissement se caractérise par la mise en place dans chaque pays d'architecture organisationnelle contingente dédiée à la protection sociale qu'il ne faut surtout pas considérer dans une optique philanthropique mue par des considérations individuelles mais bien la résultante de considérations sociales et historiques déterminées.

Appréhender la réalité de la sécurité sociale, saisir son importance dans la protection des salariés et de leurs familles, déterminer son impact sur la répartition du revenu national et sur le fonctionnement de l'économie nationale, commande de l'appréhender à travers l'histoire de son évolution tant en Algérie qu'à l'échelle universelle.

En Algérie, cette exigence se trouve être plus pertinente du fait qu'actuellement l'Algérie se trouve en période de transition, de passage d'une économie socialiste à une économie capitaliste, passage d'une situation à son opposé, un reniement d'identité qui ne s'est pas fait sans heurts ni répercussions. C'est pourquoi, dans le cadre de cet article, quoique dédié à la question de sécurité sociale, un chapitre est réservé à l'évaluation de la mise en place des changements, de la métamorphose de l'économie et de ses répercussions. Avant de s'y atteler, il est utile de préciser que si l'architecture de la sécurité sociale en tant qu'institution n'est en aucun moment remise en cause ou soumise à un quelconque débat, les lois et modalités afférentes aux questions relatives à la retraite font l'objet de remous et de reconsidérations qui annoncent un climat social des plus délétère. Débat qui ne sera pas abordé dans le cadre de cet article, mais qui doit interpeller toutes les forces vives de la nation, car névralgique à plus d'un égard.

Mise en œuvre des réformes structurelles

En adoptant l'économie de marché au début des années quatre-vingt-dix du XXe siècle, l'Algérie s'est trouvée confrontée à une refonte globale et structurelle tant de sa philosophie de développement que de l'architecture juridique et organisationnelle de ses entreprises. Les répercussions les plus visibles de ce changement se sont manifestées plus spécifiquement sur les relations de travail et les thèmes qui leur sont adjacents à l'instar de la sécurité sociale et les questions de l'emploi qui, sans le moindre doute, avaient dans le sillage des réformes évoquées subi des transformations et des remises en cause parfois radicales. Il est utile de préciser que les raisons des réformes entamées n'avaient pas de causes spécifiquement intrinsèques, mais étaient la résultante de convergence des résidus d'une pratique gestionnaire planifiée (socialiste) déficiente où la prédominance de la dimension idéologique était prégnante surplombant la rationalité économique et de facteurs exogènes que les prescriptions de l'économie de marché ont imposés. En se retrouvant confronté à la nouvelle configuration qualifiée d'économie de marché, les décideurs se sont trouvés embarqués dans l'obligation de se débarrasser des considérations à caractère jugé social que l'idéologie socialiste imposait, un nouveau paradigme surplomba la sphère économique, le nouveau discours focalisait sur les paramètres de rentabilité et occultait les considérations qui ne s'inscrivent pas dans le processus comptable de production ; un revirement global de stratégie managériale dont le caractère réformateur s'est accentué avec l'urgence et la vitesse de mise en place des réformes. Un changement brusque est amorcé sans préambule ni préparatifs, juste par la proclamation d'une batterie de lois dont la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 modifiée et complétée, relative aux relations de travail constitue le début suivie par :

Loi n° 90-14 du 02 juin 1990 modifiée et complétée relative aux modalités d'exercice du droit syndical.

Loi n° 90-02 du 6 février 1991 modifiée et complétée relative à la prévention et au règlement des conflits collectifs de travail et à l'exercice du droit de grève.

Loi n° 90-03 du 06 février 1999 modifiée et complétée relative à l'inspection du Travail.

Loi n° 90-04 du 06 février 1999 modifiée et complétée relative au règlement des conflits individuels de travail.

Il est utile de préciser que si l'essentiel des textes législatifs relatifs au monde du travail antérieurs à 1999 ont été dans une large mesure abrogés, ils ne l'ont pas été en totalité ; certains ont été modifiés et complétés et continuent à régir des domaines importants notamment ceux relatifs à l'hygiène, la sécurité, la médecine du travail, les œuvres sociales et l'emploi des étrangers. Il paraît donc qu'au niveau législatif, les éléments en rapport avec la sécurité sociale (sécurité au travail -médecine du travail- les œuvres sociales) continuent de s'inscrire dans la logique antérieure à la mise en œuvre des reformes à obédience capitaliste. Situation qui déterminera une certaine configuration à la politique de la protection sociale, malgré les changements que la sphère économique et plus spécifiquement le monde du travail ont subi.

Evaluation des réformes structurelles

L'analyse des circonstances des mutations imposées à l'économie, à l'entreprise publique économique algérienne montre avec acuité une particularité qu'on peut résumer par la prédominance de la volonté politique de changement de l'ordre établi par les pouvoirs publics, de le mettre en désuet, de s'inscrire dans une logique différente de celle qui prévalait depuis l'indépendance, de sortir de l'emprise de la doctrine socialiste, de faire désormais des prescriptions du capitalisme la voie à suivre pour les entreprises. Mais si cette réalité ne souffre d'aucune équivoque, il n'en demeure pas moins que les techniques, structures et parfois même les attributs les plus élémentaires ne sont justement pas disponibles pour donner à cette volonté de changement, de concrétisation les atouts nécessaires. Il serait très prétentieux de vouloir lister tous les manquements, néanmoins en citer certains donnerait certainement un éclairage de nature à restituer à la réalité du terrain toute sa pertinence.

Dans les économies capitalistes, Le « reengineering» ou BPR (Business Process Reengineering), par exemple constitue la base de nombreux processus de restructuration, source de refonte complète des structures organisationnelles dont l'objectif escompté s'articule principalement sur l'ancrage à l'économie de marché, qui sacralise le gain financier et l'augmentation de la productivité, et de là à accroître les possibilités concurrentielles dans les environnements caractérisés par la recherche incessante de la performance maximale. Concernant les entreprises économiques algériennes, l'approche adoptée ne s'apparente nullement à la logique structurant le reengineering, bien qu'il fût énormément utilisé dans les économies capitalistes à partir des années 90 et présenté comme permettant la proposition de modèle d'organisation qui doit permettre aux entreprises de faire face aux changements incessants et rapides de leur environnement ( HAMMER et CHAMPY 1993, 1995 1996).

La reconfiguration d'une entreprise selon le modèle proposé touche à tous les paramètres de configuration, il ne peut y avoir de restructuration sans ce préalable avancé par les promoteurs, car ils sont conscients que l'entreprise dans sa configuration initiale et classique se caractérise souvent par une rigidité, une lourdeur, et qu'elle n'est pas initialement conçue pour affronter la concurrence sans cesse grandissante de l'économie de marché et les incessantes mutations de la technologie. Donc ils ont préconisé comme seule issue la refonte radicale ( reconfiguration) des structures d'entreprises avec intégration des techniques managériales largement valorisées dans les entreprises capitalistes depuis les années quatre-vingt. Il est à préciser que le reengineering (BPR) se définit autrement que le downsizing, donc le recours aux licenciements des travailleurs ne figure nullement parmi les prescriptions prônées par les spécialistes qui le préconisent. Pour revenir à l'entreprise algérienne publique économique, les réformes économiques n'ont pris en considération ni de près ni de loin ce genre de technique ou procédé, le downsizing quant à lui n'est vu par les décideurs des entreprises en restructuration ou en transformation que comme moyen, mais en aucun cas comme procédé, comme technique s'inscrivant dans une logique managériale. Pour eux, le downsizing ou pour conserver le langage le plus commun «le licenciement» n'est rien d'autre qu'un moyen d'allégement des charges du personnel, occultant allégrement le fait que le personnel peut être justement la ressource qui peut permettre de faire la différence et gagner le bataille de la concurrence.

Si les responsables en charge des entreprises algériennes publiques économiques ont abordé les réformes par la prise en considération des techniques managériales en vogue depuis les années 90 du vingtième siècle à l'instar du reengineering comme il a été précisé, cette technique aurait eu des impacts sur la GRH et lui aurait imprimé une voie originale et ouvert des voies dont l'exploitation rationnelle aurait conduit l'entreprise publique économique algérienne à une configuration qui lui aurait permis sûrement ou du moins avec plus de succès l'amarrage aux exigences de l'économie de marché. Mais la réalité est tout autre, les réformes se sont faites sans le moindre recours à la méthodologie appropriée, le soubassement est d'ordre juridique sans ancrage managérial ; ce qui a profondément handicapé la mise en place de réformes et le passage à l'économie de marché.

Parallèlement à cette appréciation d'ordre technique et méthodologique, il y a également lieu de citer que les réformes structurelles ont été synonyme de licenciement massif des travailleurs d'entreprises restructurées ou carrément soumises aux procédures de liquidation. Concrètement, l'amorce de la mise en place des réformes économiques en Algérie s'est concrétisée par des vagues de licenciements massives des travailleurs, le rapport du Conseil national économique et social (CNES) 1995 révèle que 54.930 personnes ont été touchées par la compression des effectifs. En 1994 le niveau d'emploi a régressé pour atteindre celui de 1989 en perdant 27.500 emplois, cette hémorragie se justifiait par la faiblesse des performances des entreprises au niveau relativement élevé des effectifs. Faiblesse de performance qui s'est illustrée par les découverts bancaires du secteur industriel qui en 1995 ont atteint 100 milliards de dinars, l'équivalent d'un peu plus de 30% du chiffre d'affaires (bulletin officiel de l'office national des statistiques -ONS).

Face à cette nouvelle réalité, les pouvoirs publics se trouvaient dans l'obligation de mettre en œuvre des mécanismes compensatoires pour atténuer l'impact des réformes qui se manifestaient essentiellement par l'augmentation du chômage. Si les chômeurs dégraissaient les effectifs des entreprises, ils ne s'annulaient pas, ils s'additionnaient, le monde du travail s'est trouvé ébranlé, déstructuré. L'urgence de ripostes adéquates des pouvoirs publics est devenue indispensable et s'est concrétisée par la mise en place d'un panel de dispositifs qui, sans être exhaustif, sont :

la Caisse nationale d'assurance-chômage, organisme chargé de l'indemnisation des salariés ayant perdu leur emploi pour raison économique.

le lancement du dispositif ANSEJ en 1997

Dispositif d'Aide à l'Insertion Professionnelle «DAIP»

Le dispositif de Soutien à la création et à l'extension d'activités pour les chômeurs promoteurs âgés de 30 à 50 ans.

La mise en place de ces différents dispositifs montre avec acuité que la première préoccupation de la protection sociale se manifeste dans la volonté de création de l'emploi et la diminution du chômage, car il s'est avéré que les réformes structurelles ont justement été la cause d'un chômage jamais enregistré.

La revue en survol des batteries des textes législatifs relatifs à la sécurité sociale permet de mettre en évidence l'importance accordée par les pouvoirs publics au sujet. Il est évident que cet intérêt n'est pas fortuit, mais trouve son origine dans les textes fondamentaux et fondateurs de la république algérienne qui se veut démocratique et populaire. Un soubassement idéologique sous-tend la question de la sécurité sociale, elle a un caractère stratégique.

Les différents mécanismes que l'Algérie a développés pour pallier les sécrétions de la mise en œuvre des réformes économiques structurelles très préjudiciable dans bien de situations en ce qui concerne le monde du travail, méritent d'être évalués sans passion ni arrière pensée.

Le dispositif «ANSEJ» -Agence nationale de soutien de l'emploi de jeunes- et le dispositif CNAC -Caisse nationale assurance chômage- et d'autres dispositifs de moindre importance qui s'inscrivent tous dans l'objectif de combattre le chômage.

Comme son nom l'indique, l'ANSEJ sous tutelle du ministère du Travail a pour mission la promotion de l'emploi des jeunes. Depuis le lancement de ce dispositif en 1997, selon M. Taleb son directeur par intérim à l'époque, le nombre de projets financés à la fin de l'année 2010 s'élève à 140.503, générant 392.670 emplois directs, sans compter les emplois indirects dont la création est impulsée par la croissance de la demande et donc de l'activité économique favorisée par la distribution des salaires aux travailleurs exerçant directement dans les micro-entreprises créées. Il devait ajouter : «Depuis son lancement jusqu'à l'année 2008, le dispositif a permis de créer 8.127 micro-entreprises en moyenne par an. Ce chiffre est passé à 20.848 en 2009 et 22.641 en 2010». Cet élan s'est accentué avec le temps, en effet. Les chiffres communiqués par le ministre du Travail confirment de façon spectaculaire la montée en puissance de l'ANSEJ et de la CNAC. Avec plus de 60.000 micro-entreprises financées et plus de 120.000 emplois créés en 2011, l'ANSEJ augmente encore de 50% ses performances déjà exceptionnelles de 2011. Les chiffres concernant le dispositif jumeau de la CNAC sont également en augmentation très sensible. Ils ont conduit à la création au cours de l'année 2012 de près 30.000 micro-entreprises qui auraient généré plus de 60.000 emplois. À l'origine de l'accélération les décisions prises le 22 février 2011 qui ramènent l'apport personnel des bénéficiaires au niveau symbolique de 1 ou 2% du montant de l'investissement, ainsi que les facilitations dans l'accès aux locaux. Entre 2010 et 2012, on est passé de 20.000 à 60.000 dossiers agréés pour l'ANSEJ. En ajoutant la CNAC, on arrive à 90.000 créations de micro-entreprises l'année dernière.

Pour ce qui est de la Caisse nationale d'assurance-chômage (CNAC), elle a été créée en juillet 1994, en tant qu'institution publique de sécurité sociale. Elle est chargée de l'indemnisation du chômage des anciens salariés qui perdent leur emploi pour raisons économiques suite à l'application des réformes structurelles. Elle gère le régime d'assurance-chômage. Cette activité, importante entre 1996 et 1999, a cependant diminué depuis. À côté du versement des indemnités, la CNAC a mis en place des mesures d'aide à la recherche d'emploi et à la reconversion. Depuis l'avènement du dispositif, environ 200.000 anciens salariés ont bénéficié d'une indemnité d'assurance chômage pendant une durée moyenne de 23 mois.

Depuis 2004, la CNAC est chargée de la mise en œuvre d'un dispositif de soutien à la création d'activité pour les chômeurs âgés de 35 à 50 ans (âge abaissé à 30 ans). À partir de 1994, la CNAC met en application le régime juridique d'indemnisation du chômage au profit des travailleurs salariés ayant perdu involontairement leur emploi pour des motifs économiques. L'indemnisation du chômage a effectivement bénéficié à la fin 2006 à titre d'exemple, à 189.830 chômeurs allocataires sur un total de 201.505 travailleurs licenciés dont les dossiers d'inscription ont été réceptionnés. Parmi les 189.830 allocataires pris en charge, 176.769 -soit 94% du total des allocataires admis- ont épuisé leurs droits à la fin 2006.

Les allocataires en situation de suspension de leurs droits, c'est-à-dire les allocataires ayant retrouvé un emploi en CDD ou bien maintenus dans les entreprises en voie de liquidation, sont au nombre de 5.275.

La plus grande partie des entrées à l'assurance chômage s'étant produite entre 1996 et 1999, une tendance à la baisse des effectifs des chômeurs inscrits à la CNAC s'est amorcée depuis.

À partir de 1998 et jusqu'en 2004, la CNAC met en œuvre les mesures actives destinées à la réinsertion des chômeurs allocataires que sont l'aide à la recherche d'emploi et l'aide au travail indépendant par un personnel spécialement recruté et formé -les conseillers animateurs- et dans des centres dotés d'infrastructures et d'équipements également destinés à cette fin. C'est ainsi que les réalisations suivantes ont été enregistrées :

- 11.583 chômeurs ont été formés par les conseillers animateurs aux techniques de recherche d'emploi.

- 2.311 chômeurs ont été accompagnés dans la création de leur micro-entreprise.

- 12.780 chômeurs ont suivi, à partir de 1998, des formations destinées à leur permettre d'acquérir de nouvelles qualifications en vue d'accroître leurs chances de réinsertion dans la vie professionnelle.

- Depuis 2004, en présence des faibles entrées à l'assurance chômage, l'activité de formation reconversion est en voie d'être réorientée vers les besoins des chômeurs promoteurs ainsi que des entreprises qui s'inscriront dans les mesures de promotion de l'emploi.

Pour revenir au dispositif ANSEJ, il est à préciser que l'élan de progression de création d'entreprise s'est trouvé encore boosté par le fait que les pouvoirs publics ont supprimé le taux d'intérêt pour les contractants de prêts bancaires pour les investisseurs bénéficiaires de l'ANSEJ. Cette décision revêt un caractère primordial du fait de son importance sur la plan de l'adhésion des bénéficiaires de prêts qui étaient potentiellement inhibés par les considérations de croyances religieuses qui refusent l'intérêt dans l'octroi de prêts.

Ces dispositifs de plus en plus important pour les jeunes Algériens sont pour l'instant la principale parade au chômage de masse mise en œuvre par les autorités algériennes, et ils sont également soutenus par d'autres dispositifs de renforcement d'emploi, à savoir l'emploi saisonnier d'intérêt local (Esil), les travaux d'utilité publique à haute intensité de main-d'œuvre (Tup-himo) et l'indemnité pour activités d'intérêt général (Iaig), permettaient, au cours des dernières années, de faire bénéficier les 200.000 jeunes employés chaque année dans le cadre de ces dispositifs d'une rémunération mensuelle en général largement inférieure au salaire minimum.

Ces dispositifs cumulés ont pour mission de résorber le chômage et de permettre aux pouvoirs publics d'atténuer les retombés néfastes des réformes structurelles

Les chiffres cités ci-dessus nous incitent à nous poser la question de l'impact réel de ces dispositifs sur l'économie et la société algériennes. Les jeunes Algériens seraient-ils devenus pour beaucoup d'entre eux des entrepreneurs ? Et quel genre d'entrepreneurs ?

Il est utile de préciser que l'état des lieux s'est basé sur des chiffres et des données qui méritent d'être actualisés. Le but de cet article n'est nullement un exercice d'audit ou d'évaluation méthodologiquement effectué, c'est plutôt une présentation de l'existant sans prétention d'expertise.

Malgré les propos laudatifs des officiels, l'évaluation de ces dispositifs ne fait pas l'unanimité. Si pour les pouvoirs publics les dispositifs ont permis la résorption du chômage, nombreux sont plus sceptiques et mettent en évidence l'aspect idéologique qui sous-tend l'opération et lui reprochent le fait que les pouvoirs focalisent sur la recherche de la paie sociale sans se soucier de l'efficience de ces dispositifs. Il est vrai, il n'existe pour l'instant aucune évaluation détaillée et objective du coût financier global des différents dispositifs mis en place par les pouvoirs publics. Pour la bonne raison qu'aucune institution gouvernementale n'a jugé utile de la faire jusqu'à présent. Pourquoi cette lacune ? La réponse à cette question peut prendre deux explications. La première, favorable aux défenseurs des dispositifs, peut être synthétisée par le fait que l'expérience est en plein fonctionnement et qu'il serait insensé de vouloir l'évaluer, alors que pour les détracteurs, ils se préoccupent de l'efficience des dispositifs et se focalisent sur les questions : l'emploi des jeunes, combien ça coûte à la nation et quel est sa contribution ? Quelles sont les difficultés de l'application de ces dispositifs ?

Ces questions prennent davantage de pertinence avec les répercussions de la chute drastique des prix du pétrole et des difficultés grandissantes de l'économie.

Il est évident que la réponse à ces questions est d'importance capitale, et elle exige une analyse détaillée et documentée que cet article ne peut contenir en raison de l'importance et la profondeur des différentes composantes de la problématique évoquée, néanmoins en survol, il est possible de citer le problème des banques face au problème spécifique des impayés. En effet, nombres de bénéficiaires des crédits alloués par les banques ne se sont pas acquittés de leurs engagements de remboursement des échéances. La presse nationale fait régulièrement état de bénéficiaires défaillants qui se retrouvent poursuivis par les banques auprès des tribunaux pour non remboursement des crédits. Le chiffre de 230.000 cas défaillants a été cité. C'est dire l'ampleur du problème. Et il faut préciser que ce chiffre n'est nullement définitif ; il est en constante augmentation. Mais malgré cette réalité effrayante sur le plan économique, les pouvoirs publics préfèrent actionner la caisse de garantie pour rembourser les banques et observent une certaine discrétion qui ne trouve de sens que dans la volonté de compenser les conséquences des réformes structurelles de l'économie. A vrai dire, il est difficile de se prononcer sur la véritable position des pouvoirs publics sur la question tellement des propos contradictoires ont été mentionnées. Tantôt on parle d'indulgence, tantôt de poursuite sans concession. Les gouvernements se succèdent et la question persiste.

Parallèlement à cette évaluation empreinte de critiques négatives ou du moins non efficientes économiquement, les dispositifs liés à la création de micro-entreprise ne sont pas totalement à considérer comme une pure fumisterie pour la quête de la paie sociale. Ils paraissent pour certains générateurs de résultats économiques -sous réserve d'un inventaire et d'un diagnostic plus approfondi que ceux qui ont été menés pour l'instant- non négligeables. Il n'en est pas de même du reste des mesures adoptées par le gouvernement dans le domaine de l'emploi des jeunes, qui relève plus d'un «traitement social du chômage» que d'une véritable politique de l'emploi.

La panoplie de mesures prises par les autorités publiques afin de faire face au chômage risque de se heurter à la dure réalité du terrain. Une réalité marquée par les lourdeurs administratives et bureaucratiques, mais surtout par l'existence d'une culture empreinte de népotisme et de favoritisme. Ce qui renvoie à la nécessité d'adosser la mise en œuvre des dispositifs à la promotion d'une culture managériale à tous les niveaux et la mise en œuvre de la conviction de l'importance de l'investissement dans la création de la richesse pour la nation dans sa totalité. Il ne suffit donc pas de promouvoir des dispositifs de lutte contre le chômage. Il est tout aussi important d'inscrire cette préoccupation dans une approche systémique impliquant tout à la fois la dimension expertise entrepreneuriale que l'assurance de l'existence de la dimension éthique et morale.

Officiellement cette problématique, qui n'est pas ignorée par les hautes autorités de l'Etat qui peinent à combattre cette préoccupation, a même interpellé le premier magistrat du pays, car les conséquences sont fâcheuses et menacent la paix sociale. S'adressant aux responsables à tous les niveaux lors d'un des conseils des ministres, le président Bouteflika a ordonné à ce qu'«ils donnent l'exemple en ce domaine, et être fermes contre toute dérive» et que «les mécanismes de contrôle devront également assumer pleinement leurs responsabilités». Aussi, il a instruit d'alléger sans cesse les procédures, les circuits et les dossiers administratifs pour améliorer la qualité et l'efficacité du service public ainsi que sa relation avec les administrés. Garantir un bon fonctionnement des administrations s'avère être une condition indispensable.

Quoi qu'il en soit et alors que le défi qu'imposent les réformes aux entreprises publiques économiques algériennes ne se situe pas uniquement dans une réactivité déterminée de façon sans équivoque sur la base d'un référentiel posé en terme de projet de société où l'entreprise, et par la même occasion, les différents partenaires qui y évoluent, adoptent des comportements suivants des paradigmes socialement revalorisant et surtout clairement définis, mais comme une phase de concrétisation d'un projet de société plus global. La revue des pratiques que les différents intervenants dans l'entreprise (responsables et travailleurs et représentants des travailleurs) laisse entrevoir une primauté de la logique d'adaptation, de tirer profit des situations, de l'opportunisme circonstanciel, d'une constance de l'usage de tactiques ponctuelles au détriment de la gestion stratégique, corollaire de bonne gouvernance susceptible de permettre la création effective de la richesse. Comment les entreprises économiques peuvent-elles donner un sens à l'innovation, à la création, à la richesse, alors que ses ressources humaines, tous grades confondus, sont contraintes à survivre, à s'épargner les répercussions de l'adoption de l'économie de marché ? La mise en œuvre des réformes structurelles se doit de s'adosser à une stratégie éclairée et d'appliquer les dispositifs savamment conçus et adaptés à des situations appropriées.

* Professeur