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Souvenirs, souvenirs !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Itinéraires. De l'Université à la Politique (Tome I). Essai et mémoires de Abdelhak Bererhi. Necib Editions, Alger (??) 2017 (indication de l'imprimeur), 1300 dinars, 674 pages.

Il faut le reconnaître, il a été un des plus brillants universitaires, tout particulièrement avec un passage à Constantine qui avait permis à la toute nouvelle Université de devenir un exemple d'innovation et d'audace, d'être le «premier jalon de la Réforme». Il est vrai que, durant «les années de boue», tout était alors à construire, avec des décideurs fournissant, heureusement, largement, les moyens car cherchant à élargir leurs bases populaires, tout particulièrement celles des intellectuels et des étudiants.

Ministre (de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique), avec Chadli Bendjedid, dans le premier gouvernement, après le décès de Houari Boumediene, il a fait bouger bien des lignes, devenant presque un enfant gâté du pouvoir. Il est vrai que, «parrainé» par Mohamed Seddik Benyahia d'abord, puis par Mohamed Salah Yahiaoui (qui l'avait «récupéré» au Fln lorsque le Président Boumediene avait estimé qu'il fallait «rénover» le parti devenu un banal «appareil bureaucratique» et proche (grâce à son dynamisme et à son niveau) de bien d'autres décideurs (Mehri, Messadia, Belloucif...), il avait réussi à résister aux assauts répétés de certains autres qui, trouvant qu' «il en faisait trop», ne lui voulaient certainement pas que du bien (dont le ministre du Plan devenu par le suite Premier ministre, A. Brahimi).

Peut-être en raison de sa carrière sportive (footballeur), il est nommé...à la Jeunesse et aux Sports. Une voie de garage ? Il n'y demeura que peu, les évènements d'Octobre (le ministère se trouvant dans «l'œil du cyclone» lors de l'occupation par les islamistes des places publiques dont celle du Premier mai) et la suite bouleversant la donne politique du pays.

Heureusement, le système a l'art de vite (et bien) «récupérer» ses «intellectuels». Ambassadeur, pardi ! La diplomatie est une autre expérience. Puis, c'est, brusquement, en 1992, le rappel au pays et un «placard» de cinq années...Le reste (désignation par le président L. Zeroual au Conseil de la nation) est fait d'une démission (car ne supportant pas la «main de fer» de Bachir Boumaza qui, avec l'arrivée au pouvoir de A. Bouteflika, s'était durcie encore plus) en compagnie d'autres membres, dont Salah Boubnider et le Commandant Azzedine). Un autre combat pour une plus vraie vie démocratique (création du CCDR)... et, un autre tome annoncé !

L'auteur : Né à Ain Beida en 1940, footballeur ayant joué à l'USMK puis au MCA puis à l'OMSE, docteur en médecine, recteur de l'université de Constantine, deux fois ministre (Enseignement supérieur puis Jeunesse et Sports) durant la présidence de Chadli Bendjedid, ambassadeur (Indonésie et pays proches), membre du Conseil de la nation -tiers présidentiel- duquel il démissionne en 2001, membre du CCDR, alors présidé par Salah Boubnider... militant sans cesse contre l'intégrisme et le terrorisme islamiste...

Extraits : «J'ai toujours été un Homme libre, engagé pleinement dans ses convictions, sans calcul et sans peur» (p 45), «Le mauvais départ fut pris dès l'indépendance, avec la fameuse phrase : «Nous sommes arabes, arabes, arabes !». Provocatrice, démagogique et irresponsable, cette assertion fut à l'origine de beaucoup de tourments que connut l'Algérie, avec un pouvoir qui occulta notre amazighité originelle, réduisant notre identité à l'islamité et à l'arabité» (p 114).

Avis : Une autobiographie «positive» et une réflexion bien souvent critique. Très riche en informations sur le parcours -assez complexe- de l'auteur. Un long passage sur le Printemps berbère alors qu'il était ministre. Un témoignage et une version intéressantes (et il y en a !) bien que... Ouvrage très utile aux jeunes chercheurs qui veulent savoir comment les choses s'organisaient et se faisaient avant... mais informations (beaucoup d'annexes avec des reproductions de textes parfois illisibles et beaucoup trop de photos..) trop nombreuses et trop détaillées et bien mal présentées, à chaque fin de chapitre, donnant un air de «remplissage» !

Citations : «Le système de parti unique imposait une pensée unique, une langue unique et, sporadiquement, une médiocrité unique «( Pr Youssef Nacib, préface,p 13), «Tout engagement dans la vie repose, pour être effectif, sur les 4 R : les racines, la rigueur dans tous les engagements, la rationalité, conséquence logique d'un esprit rigoureux, la respectabilité vis-à-vis d'autrui» (p 25), «Dans un système fermé, on ne démissionne pas, on est «appelé à d'autres fonctions !», débouchant souvent sur une retraite anticipée, procédé de plus en plus en vogue ces dernières années» (p 102), «De façon schématique, il existe trois catégories d'intellectuels : les intellectuels honnêtes, engagés dans la lutte pour des idées... les intellectuels «organiques» qui servent sans états d'âme un pouvoir, un régime, un système... et la pire des catégories, celle des intellectuels «déférents», ceux qui vendent leur âme au diable... Il y a, aussi, une quatrième catégorie, celle des «intellectuels faussaires...» (p 102), «Autiste, aveugle et sourd (...) le pouvoir a toujours agi sous la pression des évènements, dans l'urgence du moment, sans vision prospective, se résignant à des mesures tronquées et superficielles» (p 121), «L'Université est un baromètre de référence d'un pays, son miroir et son observatoire» (p 621), «Sans humanisme, sans culture, une société aussi développée technologiquement fût-elle, sera une société sans repères, sans éthique, soumise à toutes sortes de dérives » (p 630)

Souvenirs et impressions d'une vie heureuse malgré les peines (Tome I : Le combat pour la liberté). Essai et mémoires de Tahar Gaid. Editions Dar Samar, Alger 2016, 700 dinars, 313 pages.

Il attendu ses quatre vingt ans avant de commencer à «égrener» (« impressions à l'appui», prévient-il) ses souvenirs, pas tous ; uniquement -pour l'instant- ceux liés à son «combat pour la liberté», s'étendant depuis le jour de sa naissance, en Kabylie.

Mais, digne fils du clan des Oumeziane (on y retrouve les Gaid, les Boulemkahal et les Farhi), descendant d'un grand-père saint homme, issu d'un «coin» perdu, presque abandonné, relié au monde seulement par un sentier caillouteux et poussiéreux, sa prise de conscience politique puis son engagement (situant la malfaisance colonialiste) avait commencé très tôt. Il est vrai que les Béni Ya'la «étaient riches en hommes aussi cultivés que pieux». A l'âge de vingt-deux ans, une nouvelle vie commence ... à «Belcourt» (al-?Aqiba)... L'école «française» avec son racisme latent... l'école coranique... mais aussi et surtout l'école de la rue... et le football.

D'abord, l'adolescence à Bordj Bou-Arréridj... Déjà, la lecture de «l'Egalité», le journal des AML, le collège (avec pour voisin le fils de Messali Hadj, Ali), l'incorporation, en douceur, à une cellule du PPA (quinze ans à peine !) et un choc à la vue de deux hommes, des Algériens, fusillés en pleine place publique par un commandant de la place. Pour l'exemple, disait-il. Leur seul crime était d'avoir été généreux et hospitaliers envers deux parachutistes allemands tombés du ciel au milieu de leur village. Ensuite, la Medersa (à Constantine) durant six années et le militantisme (PPA/MTLD) qui permit la rencontre et des amitiés durables avec d'autres futures personnalités de la guerre de libération nationale : Hihi Mekki, T. Khène et L. Khène, Ihaddadène, Filali, Nououiat, Amara Rachid, Benikous Ahmed, Benmahmoud, Sahnoun, Abdellaoui, Benzine, Bouguerra, le futur colonel, Drareni, Skander, Belaid, Bitat... et, toujours, le foot... et un premier séjour en Europe... (Roumanie, Pologne)

Puis, c'est la guerre de libération nationale alors qu'il enseignait (à Palikao)... et l'organisation des premières cellules de soutien à la lutte armée. Ensuite, enseignant à Chlef puis à Alger, les choses s'accélèrent avec une activité politique intense, la collecte d'argent et des armes. Des contacts multiples : avec Abane Ramdane, Rebbah, Moufdi Zakariyya, Mandouze, Chaulet, Benkhedda, Aissat Idir, Fettal... Il y a, en même temps, une activité syndicale (pour la création de l'UGTA) et extra-syndicale. Enfin, c'est l'arrestation (24 mai 1956, juste avant de rejoindre le maquis, départ alors programmé pour le 28), les interrogatoires, la torture... et un long séjour -jusqu'au 30 mars 1962- dans les camps dits d'hébergement. Le reste est une tout autre histoire (un tome II ?)

L'auteur : Tahar Gaïd (frère de Mouloud et de Malika) est né le 22 octobre 1929 à Timengache, Beni Yala (wilaya de Sétif). Après des études aux medersas de Constantine et d'Alger, il exerce la fonction d'enseignant à Tighenif, près de Mascara, puis à Alger. Militant, au départ, du PPA/MTLD, enseignant à Tighennif, il participe à la lutte pour la libération nationale. Arrêté en mai 1956, il est détenu pendant six années consécutives dans les prisons et les camps d'internement en Algérie. Dès 1963, il opte pour la carrière diplomatique en qualité d'ambassadeur dans plusieurs pays africains. A partir de 1980, il se consacre aux aspects théoriques et pratiques de l'Islam en publiant plusieurs ouvrages (Opu, Editions Bouchène... )

Extraits : « La colonisation considérait l'Algérie comme le prolongement de la France. C'était sur le papier car les Algériens n'étaient ni Français, ni administrés comme les Français» (p 27), «Le pays des Imâzighân n'est ni l'Orient, ni l'Occident. Il est les deux à la fois. C'est-à-dire qu'il prend le convenant et refoule l'inconvenant» (p 29), «Le premier novembre n'est pas «tombé» du ciel. Ainsi, comme dans tous les mouvements de pensée de la même espèce, il existe des pionniers dont l'histoire ne retient pas les noms. C'est comme dans une course de relais où les coureurs se passent le flambeau l'un à l'autre mais les spectateurs ne braquent les yeux que sur celui qui, le dernier, franchit la ligne arrivée... » (p 37), «A la veille de l'indépendance, l'Algérie comptait plus de 10.000 internés dans 11 camps d'hébergement, autant dans les centres de triage et de transit et quelque 3.000 dans les centres contrôlés par l'armée. A ces internés, il convenait d'ajouter ceux, plus nombreux, qui se trouvaient dans les différentes prisons d'Algérie et de France» (p 249)

Avis : Le titre du livre est, peut-être, un peu trop long, mais le contenu est un délice (écrit avec clarté, car voulu dans la simplicité et la sincérité). On commence, on ne s'arrête plus... sauf quand le commentaire politique et religieux d'actualité prend (trop) le dessus sur le souvenir. Il y a, aussi, des histoires de «Djinns» (pp 73-74). Je regrette seulement de ne l'avoir lu que maintenant.

Citations : « Certes, il existe des gens qui tournent le dos à leurs origines, les renient même. Mais quoi qu'ils fassent, un petit rien leur rappelle le point de départ de leurs existences» (p 15), «Il semble que l'impatience est ancrée dans les gènes de l'Algérien. Chacun se croit plus pressé que les autres et cherche à se faire livrer le plus rapidement possible» (p 6), «L'identité d'un peuple change avec le temps mais je ne pense pas qu'elle se transforme entièrement. C'est comme un être humain. Celui-ci naît, vieillit, des plis s'impriment sur son visage et son corps... mais sa date et son lieu de naissance ne varient à aucun moment» (p 130), «Le FLN était entré dans l'arène de l'histoire politique de l'Algérie indépendante avec un caractère à la fois sacré et profane, religieux et laïc, novateur et conservateur. C'était donc un bouillon où s'entremêlaient plusieurs légumes aussi différents que variés les uns des autres qui pouvait donner ensuite le meilleur comme le pire (p 310)

Les armes de la liberté. Algérie : Guerre de libération. Mémoires et témoignages. Essai de Mohammed Boudaoud, dit Si Mansour (propos recueillis par Ait Mouhoub Mustapha et Khelaifia Zoubir. Préface de Daho Dhjerbal). Editions Rafar, Alger ( ???), 2015, 750 dinars, 198 pages

Des «mémoires vivantes», un recueil de souvenirs qui, bien que très lointains, nous reviennent plus que chauds, nous replongeant dans une aventure humaine extraordinaire ayant contribué de manière concrète et plus que positive à la lutte de libération nationale. A travers la vie d'un jeune homme devenu rapidement adulte en raison des combats pour la liberté qui s'imposaient, on revit donc, certes, pas mal de problèmes liés directement à la vie de l'individu mais surtout la mise sur pied d'une «industrie» algérienne de l'armement, dans des ateliers clandestins basés au Maroc, tout particulièrement. Il assure même que si Ben Bella ne l'avait pas «stoppée» après juillet 62, éparpillant les centaines de cadres et techniciens spécialisés (durement formés sur le tas ou à l'étranger), elle était la plateforme idéale pour une véritable industrie algérienne de l'armement.

Durant la guerre, il fallait, en effet, rapidement, sortir des réseaux classiques d'approvisionnement étrangers en raison des risques encourus, les services d'espionnage français «veillant au grain», surveillant, enquêtant, infiltrant, sabotant, assassinant, interceptant?rendant difficile l'arrivée des cargaisons durement acquises (achetées ou offertes).

L'ouvrage est truffé de petites et grandes révélations, l'auteur ayant côtoyé nos plus grands : ainsi, de toutes les «aides» en armement des pays amis, l'URSS a été (presque) la dernière à s'y mettre.

Ainsi, Cuba a même envoyé aux combattants des lots de cigares (on comprend maintenant l'amour immodéré de Boumediene et de certains autres, pour le cigare cubain !) et de rhum (ce dernier, dit-il, et on le croit, échangé contre des armes avec des Marocains, encore que...). Ainsi, le soutien des Marocains a été continu et massif. Ainsi, il fut un des premiers à avoir su (de la bouche même de Krim Belkacem) l'assassinat de Abane Ramdane. Il met, aussi, en exergue, le rôle et l'engagement des militants de la 4è Internationale communiste. Elle mit, au service de l'ALN, des ingénieurs et des techniciens qui ont aidé à la fabrication, entre autres, de la première mitraillette. On a eu, aussi, des grenades (dont la fameuse grenade anglaise fabriquée en 1956), des mortiers, des obus?Ainsi, Rachid «Casa» n'était pas structuré et il travaillait en franc-tireur, dépendant d'abord de Boussouf puis de Boumediene.

L'Auteur: Témoin privilégié de la grande aventure de l'ALN (à travers, entre autres le MALG) au Maroc?et ailleurs. «Plongé dans la marmite nationaliste indépendantiste au sortir de l'adolescence», comme l'écrit le préfacier Daho Djerbal, ancien officier de l'ALN, longtemps responsable du Département armement et logistique Ouest du MALG et aussi...frère de Omar Boudaoud, un des grands animateurs de la Fédération de France.

Extrait : «Les tueries du 8 mai 1945 ont réveillé les consciences, et les élections leur ayant succédé ont quelque part scellé l'union nationale malgré quelques tiraillements d'une infime importance» (p 32)

Avis : Valeur littéraire moyenne mais valeur documentaire inestimable. Même les commentaires de l'auteur sont intéressants. Nombreux documents d'archives (écrites et photographiques)... et toute une longue (300) liste des membres de la Direction logistique Ouest, DLO.

Citation : «Abane assassiné par ses pairs, la révolution prenait un autre tournant. Un virage à 180°, où les luttes au pouvoir prenaient le pas sur les nobles causes tracées dès le déclenchement de l'insurrection armée. Ce n'était ni plus ni moins qu'un avertissement pour ceux qui s'aventureraient à contester les pouvoirs d'un groupe restreint d'hommes prêts à tout pour asseoir leur suprématie» (p 71)