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Ligne rouge

par Abdelhak Benelhadj

« A Versailles, Macron a parlé cash à Poutine sur la Syrie, les Droits de l'Homme ou les médias russes » titre une dépêche de l'AFP du lundi 30 mai dernier.

29 mai 2017, E. Macron reçoit en grande pompe V. Poutine au château de Versailles. Le prétexte : la commémoration de la visite en avril 1717 faite à Louis XIV, alors enfant, par Pierre le Grand, Tsar de toutes les Russies. Un faste qui tranche avec l'ostracisme dans lequel son prédécesseur, F. Hollande, avait tenu son homologue russe.

Sans doute le « descendant » du Roi Soleil titre autant parti de la majesté des cérémonies que son hôte exclu du G8 et n'est plus reçu nulle part dans un pays occidental.

A reculons, en louvoyant, Hollande refusait de recevoir le président russe. Macron l'invite et le rudoie. Pourquoi ces simagrées - si peu - diplomatiques ?

Une forfanterie à la Cyrano ? Une hâblerie à la gasconne ? Une galéjade méridionale ? Une parade présidentielle pré-législatives ? Du service commandé atlantiste... ?

Quand on en a ni la résolution, ni les moyens et encore moins la volonté de s'en pourvoir, il est prudent de s'abstenir de menacer quiconque.

Est-ce peut-être pour cela que le tout nouveau président français a-t-il tenu à tempérer la chaleur de l'accueil qu'il a réservé à son homologue russe, pour que personne ne se méprenne sur la portée de son geste.

Du geste à la parole, E. Macron dans son discours de bienvenue menace : « toute utilisation d'armes chimiques » par « qui que ce soit » fera « l'objet de représailles et d'une riposte immédiate de la part des Français ».

Cet impromptu tombe comme un cheveu dans la soupe et prêterait à sourire en d'autres circonstances.

Le poids militaire des armées françaises sur le théâtre d'opération proche-oriental, aussi considérablement gonflé que le présentent les médias et les politiques français, est notoirement modeste. Très modeste. Aussi modeste que le Charles-de-Gaulle absent six mois sur douze là où il eut été important qu'il soit.

De plus, il est pas moins notoirement connu que les Français ne peuvent intervenir sans l'aval et la logistique américaine.

N'est-il pas légitime de se demander si cet avertissement macronien n'est pas pure galéjade ?

A moins d'imaginer que Macron ne parle pas en son nom propre, mais se fait le porte-parole d'un autre. Washington est aux deux bouts de l'essentiel : l'information et la décision. Il ne souffre aucune intrusion extérieure dans ses lignes de commandement et ne partage pas ses codes. Le papillon chevènementiste est irréversiblement coincé en son bocal et ses illusions.

Le Général, très tôt avait compris qu'on ne partage pas grand chose dans l'OTAN. Parce qu'on n'y partage pas grand chose. A l'exclusion du budget et son augmentation réclamée par Trump lors du dernier mini-sommet de Bruxelles.

Les « coalisés » mériteraient un nom plus séant parce que plus exact : on se contentera de celui d'« exécutant » pour ne froisser personne.

Cette hypothèse ne manque d'arguments. L'histoire en fournit à satiété : le Viêt-Nam, l'Algérie, Cuba, Israël... On se remémore le très mitterrandien : « Les pacifistes sont à l'ouest et les SS20 à l'est » et sa glorieuse contribution à « Desert Storm » (janvier 1991). Il est vrai que l'ancien président français s'y connaissait en « petits télégraphistes »

Obama a généreusement laissé les Britanniques et les Français se targuer d'avoir organisé et réalisé l'élimination de Kadhafi.

Les Libyens et les Sahéliens apprécient.

Le reste relève, on l'oublie trop souvent, de la prospérité commerciale de l'Empire militaro-industriel à propos duquel D. Eisenhower avait prévenu le peuple américain. Et lui aussi savait de quoi il parlait...

- Le 5 avril 2017, l'ambassadrice américaine aux Nations Unies, Nikki Haley, montrait des photos de victimes lors d'une session au Conseil de sécurité de l'ONU évoquant une attaque chimique du régime du président syrien Bachar al-Assad tuant des civils en Syrie.

Cela avait servi de prétexte à un bombardement US limité à la base aérienne syrienne d'où seraient parti les aéronefs chargés de la mission mortifère. La plupart des observateurs sérieux (O. Stone en est un) savent combien ce type d'initiative est moins justifié par la répression d'un crime de guerre que d'une diversion dans les guéguerres internes aux Etats-Unis où des lobbys puissants s'affrontent en une lutte farouche pour le pouvoir.

- Aujourd'hui, mardi 27 juin, Washington et Paris font mine de se concerter à leur réaction à un probable projet d'attaque chimique de Damas contre sa population. Le ballon d'essai médiatique a été lancé par la Maison Blanche il y a quelques jours pour divertir ou préparer l'opinion publique américaine à une démonstration de force.

Il reste que cette éventuelle action pour un éventuel franchissement de « fameuse » cette ligne rouge, est parfaitement illégal aux yeux du droit international, n'ayant été ordonné ni par les Nations Unies, ni a fortiori par l'Etat syrien, le seul légitime en l'occurrence.

La menace de Macron est assortie d'un « qui que ce soit » qui se rendrait coupable d'une attaque chimique. Cela signifie que Paris est prêt à intervenir contre tout contrevenant usant d'armes chimiques. La réserve précédente demeure et condamnerait une telle initiative.

On peut se demander pourquoi la France reprendrait à son compte un critère qui ne lui appartient pas. Obama l'avait prescrit dans un contexte particulier et avait renoncé à le mettre en œuvre fin août 2013 (au grand dam des Français, des Saoudiens et de quelques autres).

Mais pourquoi une « ligne rouge » conditionnelle ainsi dressée face à une attaque chimique ? La chimie n'a pas l'exclusivité de la tératologie mortifère. La mécanique, la thermodynamique, la psychologie, les religions... la bêtise...

Macron aurait pu, s'il était résolu à intervenir militairement en Syrie, innover et menacer sur d'autres bases : par exemple en cas d'assassinat d'enfants ou de mort de plus de 10 civils ou de? 5 chats.

Et que prévoit-il après ces interventions ? Envoyer des troupes au sol ? Bombarder Moscou ? Téhéran ?

Quelle est la stratégie, les buts de guerre, en quoi réside au juste les intérêts de la France en ces circonstances ? On a observé les aventures rocambolesques des Mistral, finalement vendus à l'Egypte, soldés par l'Arabie Saoudite. Les industriels et les agriculteurs français mesurent les difficultés de leurs activités depuis la fermeture des marchés russes. Avec un commerce extérieur structurellement déficitaire.

La France vient de se doter d'un nouveau président et d'une nouvelle assemblée. Aucune campagne militaire ne viendrait à bout des difficultés économiques, financières et sociales pour lesquelles les Français ont accordé leurs suffrages. Les tromper une nouvelle fois serait prendre le risque déraisonnable de les voir le subir pour la dernière fois.

Il arrive à la Pologne, à l'Ukraine et aux Pays Baltes de plastronner impunément (croient-ils), adossés aux forces de l'OTAN, c'est-à-dire de la puissante Amérique. N'est-ce pas pour cela que dès leur admission dans l'Union Européenne ils se sont précipités à demander leur adhésion au Pacte Transatlantique ? Au désespoir d'un Chirac en décembre 2002.

Pour le reste, un chef d'Etat à la hauteur de sa charge doit prendre la mesure de ses actes. On ne menace pas impunément.

Même Jupiter peut comprendre cela.