Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Oeuf au plat

par Ahmed Farrah

Il y a bientôt 20 ans depuis que le mur de Berlin est tombé. Les Etats-nations s'effacent peu à peu sous les injonctions des maîtres des nouveaux temps. La lutte des classes semble un lointain souvenir. L'idéologie est balayée par le formatage des esprits et la résignation des perdants. L'arrivée des révolutionnaires «soixantards» au pouvoir les a domptés. Ils sont rentrés dans les rangs. Ils ont goûté au caviar et se sont embourgeoisés. Leurs partis ont muté en servant la finance « algorithmée » qui laisse sur le carreau des pans entiers de l'humanité au profit d'une oligarchie vorace. La droite conservatrice ne l'est plus. Elle est devenue libertaire et décoincée. Elle s'est éloignée de Zeus pour s'arrimer à son successeur marchand. Finalement, rien ne la différencie de la gauche sauf dans leurs variantes extrêmes. En France, l'establishment ou UMPS, comme il est appelé, n'a plus le vent en poupe. De l'inédit cette semaine, les deux grands partis qui s'alternaient au pouvoir ont été éliminés de la course et sont tous les deux dans l'opposition au mouvement ?'La République En Marche». L'onde de choc est dévastatrice. Des repositionnements se font. Des ralliements et des prises de guerre sont annoncés causant des fractures indélébiles dans les deux camps. Le nouveau Président, E. Macron, annonce la couleur et accommode la politique autrement en nommant un Premier ministre qui s'était opposé à lui, au Parlement et pendant l'élection présidentielle.

Le nom du Premier ministre français, Philippe Edouard, 46 ans, a été fuité aux médias le soir de l'élection d'Emmanuel Macron. Tout le microcosme parisien le savait mais, chose inhabituelle et contre toute attente, son annonce par l'Élysée a mis beaucoup de retard et a commencé à semer quelques doutes par le maître des horloges. Emmanuel Macron a été élu dans un climat parasité par l'affaire Fillon et par l'arrivée au deuxième tour de Marine Le Pen, ce qui a empêché tout débat de fond sur le programme qu'il comptait soumettre aux Français. Sa stratégie commence à s'esquisser, faire laminer et imploser les partis traditionnels en débauchant leurs cadres pour construire une majorité autour de lui. L'annonce tardive du nom de son Premier ministre et le report de l'annonce de la formation du gouvernement démontrent bien les difficultés qui entravent son entreprise parce qu'il lui sera difficile à gouverner s'il n'a pas une assise partisane fidèle et la loyauté d'un appareil qui l'encadre. Lors de la passation des pouvoirs entre le nouveau Premier ministre et l'ancien, Bernard Cazeneuve, M. Philippe Edouard a tenu à rappeler son appartenance à sa famille politique, ?'Les Républicains» et que s'il a accepté d'accompagner un président atypique dans une situation unique, c'est pour tenter de nouvelles choses qui n'avaient jamais été tentées avant. Faire une omelette ou plutôt un œuf au plat un peu délicat à réaliser.

Pour beaucoup, le blanc d'œuf ne semble pas avoir un intérêt gustatif contrairement au jaune. Alors, E. Macron a eu l'idée de repousser le blanc aux extrémités de la poêle et agrandir l'aréole jaune en son centre puis finir avec la touche du maître. Autrement dit, il a l'intention de proposer aux Français une reconfiguration de la classe politique en centrifugeant le mouvement de J. L. Mélenchon et de Marine Le Pen et en concentrant l'essentiel de l'UMPS ainsi que la compétence, la fraîcheur et la jeunesse parmi la société civile. L'omelette paraît parfaite mais aura-t-il assez d'œufs pour faire manger tout son monde ? Là est la question qui donnera sûrement à réfléchir à certains de chez-nous, ayant toujours excellé dans le copier-coller. Mais ils n'oseront pas franchir le Rubicon à la nage parce qu'ils risquent de se noyer.