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Macron contre Tliba, un combat trop inégal

par Abed Charef

Entre Macron et Ould Abbès, ce n'est pas qu'une question d'âge. Il y a surtout le fait que l'un va dans le sens de l'histoire, et que pour l'autre, l'histoire s'est arrêtée.

Le monde, et une partie de l'Algérie avec lui, s'est extasié devant l'ascension fulgurante d'Emmanuel Macron. En une année, cet homme de 39 ans, qui s'est lancé dans une folle aventure, sans appareil partisan, a réussi à bousculer tous les dogmes et à renverser tous les obstacles, pour conquérir la présidence de la cinquième puissance économique mondiale. Le culot dont il a fait preuve, la fougue qu'il a déployée ont séduit les plus sceptiques. Avec lui, le monde ancien paraît ringard, dépassé. Nicolas Sarkozy, François Fillon, François Hollande sont des relents d'une autre époque; la pratique politique française paraît complètement désuète; les partis, à l'ancienne, sont dépassés. Marine Le Pen apparaît comme un héritage d'un autre âge, et Donald Trump ressemble à une relique d'un autre temps.

Emmanuel Macron amène avec lui une jeunesse conquérante, décomplexée. Son conseiller spécial et homme-clé de l'élection, Ismaël Emilien, a trente ans. Une jeune sénégalaise de 37 ans, Sibeth Ndiaye, naturalisée française en juin 2016, a géré ses contacts presse pendant cette année décisive. Le Premier ministre qu'il a choisi n'a fait partie d'aucun gouvernement auparavant. On peut continuer ainsi, dans une énumération qui prendrait l'allure d'une ode à la jeunesse et aux jeunes.

Cette attitude béate face à la jeunesse résonne encore plus fort dans un pays comme l'Algérie, où clichés et faits avérés sont légion. Comme ce dogme qui veut que plus de la moitié de la population du pays aurait moins de vingt ans.

Si jeunes !

L'histoire moderne de l'Algérie a été faite par les jeunes. Quand il prend la tête de la résistance au colonisateur, l'Emir Abdelkader vient à peine d'atteindre 25 ans. Les six qui ont organisé le déclenchement de la Guerre de libération nationale avaient une moyenne d'âge de 31 ans au 1er novembre 1954. Didouche Mourad avait 27 ans, Rabah Bitat 29, Larbi Ben M'Hidi 31, Krim Belkacem 32, Mohamed Boudiaf en avait 35, et le vétéran, Mostefa Ben Boulaïd, en avait 39. L'âge de Macron aujourd'hui.

Quand il présente son rapport sur la lutte armée au comité central du MTLD à Zeddine, en 1948, document qui sera la référence centrale de l'organisation FLN-ALN, Hocine Aït-Ahmed a 22 ans. Et Houari Boumediène a 35 ans quand il prend le pouvoir en 1965. A sa mort, il n'a pas encore atteint la cinquantaine, alors que son règne paraît interminable.

A l'exception notable de Mohand Oulhadj, devenu chef de wilaya à 48 ans, les autres chefs de wilaya, et donc colonels de l'ALN, ont assumé leurs fonctions avant d'atteindre la trentaine. Le prestigieux colonel Lotfi est mort au combat à l'âge de 26 ans. A sa mort, Amirouche en avait 33, Bougara 31, Si El-Haouès 36.

Culte de la jeunesse

Ceci devrait suffire à élever un véritable culte à la jeunesse. Mais ceci peut être trompeur. Au moins partiellement. Car si tous ces hommes ont pu changer l'histoire, ce n'est pas seulement leur jeunesse qui a fait la décision. C'est aussi, et surtout, le contenu politique de leur action qui a été décisif. Car ils n'étaient pas seulement jeunes, ils étaient porteurs d'un projet politique novateur, libérateur. Leur vie suintait la liberté. Celle-ci transparaissait dans leur action, dans leurs choix, dans toutes les initiatives qu'ils ont lancées. Ils ont abordé les problèmes de leur temps avec une vision nouvelle, ils ont réussi à inventer de nouvelles méthodes, de nouveaux instruments, pour imposer une pensée nouvelle. Et si la nouveauté est souvent l'œuvre d'hommes jeunes, elle peut aussi provenir d'hommes plus âgés, plus expérimentés.

Quand Michael Gorbatchev a pris le pouvoir dans l'ancienne Union Soviétique, il avait 54 ans. Un de ses prédécesseurs, mort avant de pouvoir engager les changements qu'il voulait introduire, a accédé au pouvoir à l'âge de 72 ans. Et, exemple suprême, Nelson Mandela a accédé au pouvoir pour engager la transition post-apartheid à l'âge de 76 ans.

Le sens de l'histoire

A contrario, Maammar Kadhafi a accédé au pouvoir à l'âge de 27 ans. Il a laissé un pays en ruines un demi-siècle plus tard. Le président nord-coréen Kim Jong-un a 34 ans, mais son âge ne promet pas de transformations majeures pour son pays, du moins dans le sens du progrès et des libertés. Abou Mohamed El-Joulani, chef du front Al-Nosra, a 33 ans, et Abou Bakr El-Baghdadi avait 43 ans quand il a été proclamé calife par Daech. Ils ont fait sombrer leurs pays respectifs.

Ultime contre-exemple, le député FLN Baha Eddine Tliba aura 39 ans, l'âge de Macron, lors de la prochaine présidentielle, en 2019. Il est pourtant difficile d'envisager que des jeunes Algériens vont s'extasier devant les prouesses de M. Tliba, ou de voir en lui un homme capable d'entrainer les foules. Comme il est difficile, sur l'autre versant, de voir dans l'âge de M. Djamel Ould Abbès un signe de sagesse ou d'expérience.

Ce qui peut susciter la ferveur d'une société réside donc ailleurs. La jeunesse peut en constituer le ressort, ou l'amplifier. Mais la vraie garantie se situe ailleurs. Elle réside dans une alchimie qui porte les hommes dans le sens de l'histoire, et leur donne une dimension qu'eux-mêmes ne soupçonnaient pas. En ce sens, être jeune est un atout, mais cela ne constitue pas une garantie. Celle-ci est offerte par le contenu politique du projet, qui doit aller dans le sens de l'histoire. Ou, encore mieux, l'anticiper.