La santé morale de nous autres est fortement liée à la
prévision d'événements. On se rend compte assez jeune, en effet, que l'on ne se
sentait bien que si on avait une perspective intéressante et encourageante à
nous mettre sous la dent. L'espoir fait vivre, dit-on, et cela semble une
expression assez proche de notre ressenti pour la faire nôtre aujourd'hui. A
partir du moment où il y a une «carotte» suffisamment alléchante, on est
capable de bien des choses, efforts physiques ou mentaux, concentration,
efficacité. Si on ne trouve plus de carotte, ou si on se rend compte que l'on
ne pourrait jamais l'atteindre parce qu'elle est trop loin ou trop incertaine,
psychologiquement, on s'effondre.
Aujourd'hui, les choses se sont compliquées. Mais cette
fois, tout ne dépend plus que de nous. On n'est plus seuls maîtres à bord.
D'une minute à l'autre, une chute inopinée, une otite carabinée, un caprice
hystérique peuvent détruire les plans pourtant les mieux construits. Impossible
de prévoir à coup sûr une sortie, un loisir, voire un petit quart d'heure de
temps libre, en silence. Il faut maintenant voler ces instants, les optimiser à
mort, en prévoyant la possibilité de devoir tout arrêter dans l'instant, pour
une urgente urgence. Déjà à la rentrée sociale on appréhendait la
quotidienneté. Rentrée « sauciale ». C'est comme ça
qu'elle devrait s'écrire. Sauciale because est mangée à toutes les sauces. On nous apprend que
la facture alimentaire a doublé. Sont-ils en train de nous préparer à une crise
? On nous dit que le budget de l'Etat souffre de trop d'investissements. Et
quand ça va pas chez l'Etat et son budget, c'est que nous autres on est appelés
à serrer la ceinture, une ceinture qu'on ne porte plus?
les pantalons tombent.