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Choix économiques: Non, messieurs, vous faites fausse route

par Abed Charef

Gérer l'économie pas les restrictions ne constitue pas une politique économique. Elle aboutirait, au mieux, à édifier une Corée du Nord améliorée.

Non, M. Sellal. Ramener les importations algériennes à 35 milliards de dollars en 2017 n'est pas une solution d'avenir pour le pays. Penser qu'un pétrole au-dessus de 50 dollars permettrait à l'Algérie d'engranger des recettes en devises suffisantes pour équilibrer la balance des paiements, et que les réserves de change pourraient combler un petit déficit éventuel, est une erreur grave.

Concrétiser cet objectif de réduction des importations serait même la pire des erreurs. Cela conforterait cette vision selon laquelle l'économie algérienne fait face à des difficultés conjoncturelles liées à la baisse du prix du pétrole, et que le marché finira bien par se retourner un jour, ouvrant un nouveau cycle d'abondance. Ce serait le pire qui puisse arriver, car il s'agit là d'une vision rudimentaire, caricaturale de l'activité économique. Cela fait un quart de siècle que cette démarche a été analysée, disséquée, taillée en pièces. On pensait qu'elle avait disparu avec le parti unique. Depuis des décennies, hommes politiques et experts appellent à ne plus regarder le prix du baril, mais la productivité de l'économie algérienne. Seule la bureaucratie algérienne n'est pas encore au courant de cette évolution.

La préhistoire de l'industrie

Non, M. Bouchouareb. L'exploitation éventuelle des mines de fer de Ghar Djebilet n'est pas une grande nouvelle. L'entrée en production de l'aciérie de Bellara non plus. Plus grave encore : si ces deux projets se concrétisent, et qu'en parallèle, ils ne sont pas accompagnés d'un bouleversement de l'économie algérienne, ils seraient le symbole d'un très grand échec.

Pour une raison simple : Ghar Djebilet et Bellara relèvent d'une vision industrielle du 20ème, voire du 19ème siècle. Ghar Djebilet, c'est l'exploitation de la matière première, la période préhistorique de l'ère industrielle. Bellara, c'est l'acier, un secteur certes important, mais où l'innovation est presque nulle. Et ce n'est pas dans l'arrière-pays jijélien que des innovations vont éclore.

Développer des activités aussi primaires, c'est avouer son incapacité à entrer dans l'économie moderne. Se limiter à produire une tonne d'acier, ce serait avouer son incapacité à fabriquer un composant électronique qui pèse dix grammes ou une application informatique totalement immatérielle.

Et puis, il suffirait de faire les comptes : combien a coûté aux Algériens le complexe d'El-Hadjar ? Pour quel résultat ? Le ministère de l'Energie a accordé à la SNVI Rouiba une rallonge de près d'un milliard de dollars il y a un an. Quel en est le bilan ?

Les licences, une fausse solution

Non, M. Tebboune. On n'interdit pas les importations par des licences. Celles-ci donnent lieu inévitablement à des passe-droits, à de la corruption, à des distorsions du marché, à des pénuries. Elles rendent les produits plus chers, sans forcément inciter à développer la production locale. Elles donnent plus de pouvoir à l'administration, moins au marché.

Certes, le recours aux licences est une méthode qui a, pour l'administration, l'avantage d'être facile : il suffit de signer un document, et le tour est joué. Par contre, favoriser l'investissement, trouver de nouveaux mécanismes de financements de l'entreprise, mettre en place des procédures faciles, transparentes, pour faciliter la circulation des marchandises vers l'export, est beaucoup plus complexe.

Utiliser les relais médiatiques disponibles pour parler du coût de la mayonnaise, du ketchup et de la moutarde importés relève du populisme, pas de la gestion économique. Ça anime les discussions de café, pas les débats économiques.

Hantise du déficit

Non, M. Baba Ammi. Maintenir le dinar à un niveau artificiellement élevé ne constitue plus une solution pour soutenir les bas revenus. Maintenir de manière dogmatique les subventions, comme vous le faites, non plus. Vous le savez. Vous-mêmes, vous en êtes convaincu, et vous le répétez régulièrement, mais vous n'arrivez pas à trouver les solutions les plus efficientes pour mettre en place d'autres formules. Pourquoi ? Parce que comme M. Sellal, comme M. Bouchouareb, vous raisonnez dans une matrice qui n'est pas la bonne.

Votre hantise, c'est les déficits. C'est parfaitement dans votre rôle. Mais vous êtes dans le même piège : vous êtes enfermés dans une pensée qui maintient l'économie algérienne comme une chose à part, autonome, sans lien avec ce qui se passe dans le monde. Quand le gouvernement parle ciment, automobile, acier, pomme de terre, il parle d'une île qui s'appellerait l'Algérie, qui assurerait son autosuffisance pour ces produits, et comblerait le reste par l'excédent d'hydrocarbures. C'est une absurdité. C'est une Corée du Nord améliorée, celle dont rêvait Belaïd Abdessalam. Mais ce n'est pas un projet économique.

Vitalité

Les économies modernes sont des champs complexes, si imbriquées entre elles qu'un défaut dans une batterie d'un Samsung S7 provoque une hausse du dollar et une baisse du prix du baril. C'est dans cette complexité qu'il faut s'investir : mettre en place les conditions nécessaires pour que les opérateurs algériens puissent s'intégrer dans ces économies transversales et se faire une place.

Dans l'absolu, importer deux milliards de dollars de céréales n'est ni grave ni bon signe. C'est grave si les exportations hors hydrocarbures se situent au-dessous de deux milliards de dollars, comme c'est le cas aujourd'hui. Ce serait un bon signe si, à côté, le pays exportait 500 millions de dollars de smartphones, autant de contenu internet, et des quantités équivalentes d'oranges, de tomate, de composants industriels et de pièces électroniques ou automobiles.

En ce sens, l'objectif de l'économie algérienne n'est pas de ramener les importations à 35 milliards de dollars, comme le préconise M. Sellal, mais de porter les exportations à 150 milliards. Dans cette hypothèse, les importations pourront dépasser les 100 milliards de dollars, mais ce sera un signe de grande vitalité, pas un signe d'inquiétude.