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Attention danger !

par Abdelhamid Boughaba *

Quand les abus sont accueillis par la soumission, la puissance usurpatrice les érige en lois... (Maximes).

Pourquoi faut-il se taire et arborer un profil bas quand le danger frappe à la porte, sous le fallacieux prétexte usé jusqu'à la corde qui culpabilise toute lucidité, l'accusant, excusez du peu, de tentative de déstabilisation ou de collaboration active avec l'ennemi. Foutaise! Doit-on donc toujours faire l'objet de réprobations dès lors qu'on exprime un ressenti sur les travers qui impactent la société algérienne et pousse le pays vers cet inconnu que des soubresauts périodiques annonciateurs de dangers imminents pour l'intégrité de son territoire et la cohésion de son peuple ?         

Ce n'est pas toujours évident, mais n'empêche qu'on éprouve à chaque fois d'énormes difficultés à évoquer le pays par le biais de ses travers et de ses dérives, même lorsque la vérité s'impose et qu'il n'est plus possible de cacher le soleil avec un tamis. Il arrive alors qu'un jour des citoyens décident d'écraser leur retenue souvent mal ajustée à la réalité du jour pour se lancer sans filets de protection vers l'élan salvateur et jeter un pavé dans la marre afin de faire avancer le schmilblick. Et comme il n'y a rien à perdre à travers cette approche, il est d'évidence que tout le monde trouvera bien des choses à gagner, sauf les prédateurs invétérés, toujours à l'affût des dividendes et de l'argent facile, comme de bien entendu.

De l'exemple qui peut être considéré comme futile à des faits éminemment condamnables, le citoyen lambda s'est résigné par les temps qui courent à tout avaler, tout subir, tout ingérer, intégrer et ranger au fond de ses souvenirs ou de sa lâcheté, c'est selon ; les reflexes de révolte et de rébellion qui ont eu raison dans un passé récent de l'une des plus grandes puissances coloniale de l'histoire se perdent dans les arcanes de la démission pour les uns, de l'épuisement pour d'autres. Ce peuple si fiers encore hier, se drape aujourd'hui dans une indifférence pusillanime pour se donner bonne conscience et poursuivre sa traversée du présent en prenant part à l'orgie nationale qui dévore son sous sol, assèche ses réserves et s'empresse à dispenser les richesses communes dans le dérisoire, l'éphémère et l'instantané.

Aussi puérile que soit la démarche, elle a le mérite d'inviter à la méditation sur l'exemple qui relève de l'ordinaire anecdotique certes, mais qui aide à poser le problème dans toute l'épaisseur de ses incohérences: comment peut-on admettre qu'en Algérie en ce 21ème siècle, dit siècle de l'algorithmie et de l'économie numérique, sur n'importe quel marché du pays, au vu et au su de la puissance publique, la clientèle accepte le dictat des marchands qui se servent de grosses pierres ou au mieux pour « les plus branchés », les plus moderne d'entre eux, de boites de concentré de tomate ou de petits pois comme unité de mesure « étalonnée » au musée de l'absurde, sans risques et sans que le chaland ose esquisser le moindre geste de refus, la moindre désapprobation, la moindre révolte ? C'est autant dire toute l'abdication d'un peuple historiquement rebelle face au désordre, à l'irrationnel environnant et subi.

Avec un tel sentiment de résignation, enfoui aux fins fonds d'une crainte non fondée, il est plus que certain que le futur du pays soit soumis à toutes les hypothèques possibles. Ensuite, lorsqu'on écoute ou on observe ces grandes gueules qui arborent fièrement leurs ventres de goinfres et de grands buveurs de bière, affalées sur leurs séants, caressant une moustache drue, face à l'œil d'une caméra bien conciliante et des journaleux familiers et aux ordres, prodiguer des leçons de civisme, d'honnêteté et de patriotisme, la bouche dégoulinant de pétrodollars souillés et puants, usant d'un verbe haut et suffisant, puissants marqueurs du manque d'urbanité et de l'absence d'éducation et d'honnêteté, le citoyen de base reçoit en plein visage la violence d'un tableau reflétant fidèlement la triste réalité du pays dont il a rêvé et qu'il croyait être aussi beau qu'un poème.

Il a suffit pourtant que le prix du baril chute sur le marché international pour qu'un vent de panique général s'empare de la gouvernance, des puissants et des fauves dominants. Comment affronter ce défi tout en sauvegardant le confort convenu par la privatisation des ors de la République, du patrimoine national et du bien commun? Calculs risqués pour résoudre une équation aux multiples inconnus même si la tentation de défendre les prés carrés dont on s'estime génétiquement dépositaires reste vivace. Avec une progéniture tarée, suffisante et dispendieuse, des épouses outrageusement maquillées, exubérantes, adeptes des weekends de course et des périodes de soldes outre Méditerranée, des compagnes enfarinées qui dissertent sur l'aspect de leur occidentalisation d'apparat et des maîtresses affamées, cupides, ogresses insatiables prêtes à tout pour obtenir n'importe quoi, les ombres qui décident sont pris aux pièges de la déconnexion du réel convaincu qu'ils sont, que tout est à portée de leurs voix, que tout leur est dû. Devant tant de sollicitations insensées de leurs proches et d'une cour servile mais très au fait de ses intérêts, un trou sans fond se creuse alors même que l'intendance ne suit plus du fait que les recettes se réduisent comme une peau de chagrin, rendant le chemin tortueux, parsemé d'embuches et miné par les révoltes populaires en suspens.

Il faudrait bien du génie pour imaginer des solutions inédites à même de conserver le statu quo et le confort qu'il prodigue. Programme ardu pour des cervelles perforées, balayées par les vents contraires, adeptes de la paresse intellectuelle, de l'esprit jouissif et surtout de la trique dès lors qu'elles estiment que leur bien-être est en danger, remis en cause par une chienlit qu'on supporte à son corps défendant et qui fut longtemps tenue en laisse par son tube digestif.

Quel malheur a donc pu s'abattre sur ce pays si grand, si beau, si envié qu'une poignée de bêtes errantes, sauvages et affamées, émergeant du fond de l'imposture, du mensonge et de l'entrisme à monopolisé sans partage en confisquant les clefs de la République, considérant 40 millions de leurs concitoyens comme quantité négligeable, un simple faire-valoir ? Une telle attitude ne présage rien de bon parce que quelque soient les assurances contractées pour conforter les positions sociales mal acquises, elle ne pourra jamais contenir la colère de la rue et résister aux déferlantes populaires. Les jacqueries périodiques qui secouent ça et là la nation ne constituent qu'une mise en bouche, susceptible de générer des cataclysmes autrement plus destructeurs, à brève ou longue échéance.

La fragilisation de la cohésion du peuple, qui en guise de réponse à cet état de fait se met à exhumer les particularismes régionaux, à dépoussiérer les zaouïas et les confréries, à promouvoir des pratiques religieuses exogènes, à se replier sur son douar d'origine ou sur ses liens de sang pour grappiller tout juste une ouverture vers l'ascension sociale, est un indicateur puissant d'un mal-être général, suivi avec une grande attention par tous ceux qui ont organisé il n'y a pas si longtemps la tragédie « des printemps arabes » et qui aujourd'hui, campent sur les frontières du pays, en le scrutant du haut du firmament, enregistrant et analysant tout ce qui s'y passe.

Il est de notoriété publique qu'il est susurré à l'oreille des gendarmes du monde par les stratèges de la véritable déstabilisation des nations, de la recomposition du monde arabe et les fouteurs de guerres qu'un pays aussi grand et aux potentialités si immenses doit rester sous surveillance renforcée et dès que possible, le heurter, le fractionner, dans tout les cas de figure ferrer ses élites et maîtriser son gouvernail. Cela arrangerait aussi bien les rois fainéants du monde arabe, ces nonagénaires enturbannés, adeptes invétérés de la teinte du poil et du cheveu, du viagra et du sialis et qui excellent dans les plaisirs du vin et de la chair, que Benyamin Netanyahou et le roitelet chérifien, cette multinationale du crime et du kif qui se shoote à la cortisone et à bien d'autre chose encore.

C'est cette démarche suicidaire dictée par la cupidité, l'ignorance et la rustrerie d'un personnel glissé dans la gouvernance qui, depuis belle lurette a perdu le contact avec le sol, marchant sans avoir les pieds sur terre tout en tirant la tête vers le soleil et qui a laissé s'installer dans les tréfonds du citoyen la réalité du sentiment de mépris et de rejet. La promotion des frustrations et la mise sous l'éteignoir de ce qui est considéré comme populace n'ont jamais ouvert l'horizon du progrès ou de la modernité à une nation, bien au contraire elles ont toujours été source de catastrophes, de guerres civiles et de partitions. Les fuites en avant et les œillères ne peuvent en aucun cas constituer une manière de gestion moderne quelque soit la puissance de l'appareil répressif du moment sur lequel reposent les pouvoirs en place. Et partant, quelle gloire peut-on tirer d'un étouffoir interne qui ne veut pas dire son nom ? Quelle gloire peut-on avoir à gouverner un peuple appauvri, soumis, sans âme ni valeurs communes, éclaté et dont toutes les forces vives et utiles n'ont d'yeux que pour les rives nord de la méditerranée qu'ils prennent d'assaut au risque de leurs vies dès que l'occasion se présente et que le beau temps et la belle saison s'installent, poursuivis par la police de la mer de ce coté ci et pourchassés par la guardia ou les carabinéri à l'approche de la rive nord. Ensuite que peut soutenir un responsable quelconque devant ses homologues européens lorsque ceux-ci abordent la question de ces « boat people » surchargés jusqu'à la nausée d'une jeunesse désillusionnée qui chaque jour que Dieu fait va défier la Méditerranée, tous les dangers de la mer et de la clandestinité à la recherche d'une terre d'accueil plus clémente, porteuse du sentiment que son propre pays l'étouffe, la dépossède et la rejette ? Quel comportement peuvent-ils avoir les hauts responsables d'un pays dans le concert des nations devant leurs homologues pour démêler l'alpha de l'oméga du problème et répondre à la question : pourquoi des pays aussi riches engendrent autant d'injustice, de pauvreté et de désespérance ? Les uns comme les autres n'ont aucun pays de rechange, c'est pourquoi le bon sens voudrait qu'ils remettent ensemble le bleu de chauffe et partir à la reconquête de la raison qui a ses exigences et dont le point cardinal est que tous les citoyens doivent être égaux en droit et en devoir sur la terre de leurs ancêtre, sans distinction de sang, de rang ou de région. Ensuite il devient urgent de purger les arcanes du pouvoir de tous les parasites, les phacochères et les prédateurs, ceux qui descendent directement et très vite de la lignée du crocodile et qui arborent une grande gueule, des dents acérés, un appétit vorace, mais qui ne disposent que de petites mains et exposent à longueur de vie leurs ventres repus à la générosité d'un don du ciel, le soleil.

Au risque de disparaitre définitivement, il est impérieux d'admettre que le temps des Pachas et des Bachaghas est révolu à jamais dans ce pays qui a souffert du colon plus d'un siècle durant mais qui n'a jamais ou presque subi le pouvoir corrupteur et humiliant du makhzen comme cela est toujours d'actualité chez le voisin de gauche. Vouloir s'en inspirer pour imposer une hiérarchie sociale sans culture de classe ni profondeur historique à un peuple qui a traversé les siècles les armes à la main et la fierté en bandoulière est hautement corrosif voire suicidaire. C'est aussi mal connaitre ce pays en l'abordant avec un regard suranné, des analyses paternalistes et une approche coloniale. Il ne faut surtout pas croire que la jouissance et la puissance du présent peuvent conférer une protection ad vitam aeternam. Les réveils sont toujours douloureux pour les uns, comme pour les autres, parce que ce n'est pas le petit peuple, qui dans la tourmente, aura le plus à perdre.

(*) Universitaire à la retraite - Bordeaux