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La réinvention du gouvernement en Algérie : l'impératif de la mesure des performances dans le secteur public

par Kamel Garoui*

« Ce qui se mesure se réalise? Si vous ne mesurez pas les résultats, vous ne pouvez pas distinguer le succès de l'échec? Si vous ne pouvez pas reconnaître le succès, vous ne pouvez pas le récompenser? Si vous ne pouvez pas reconnaître l'échec, vous ne pouvez pas le corriger.» D. Osborne and T. Gaebler.

Aujourd'hui, à travers le monde, les organisations publiques subissent d'énormes pressions pour accroître la qualité de leurs services, ainsi que l'efficience et l'efficacité d'utilisation de leurs ressources propres. La quête de la haute performance, dans le secteur public, n'a rien de nouveau, et les efforts pour mesurer les sorties (outputs) des agences publiques, en vue d'évaluer leur efficacité ou leur impacts sur la société, a, toujours été un objectif primordial des responsables politiques et des fonctionnaires, pour l'amélioration des performances du gouvernement. Ces mesures visent, d'une part l'amélioration de la qualité du service public, et d'autre part à rendre les organisations publiques, plus responsables et plus redevables.

Dans notre pays - ou la bonne gouvernance commence à devenir une préoccupation majeure, suite à la chute du prix du pétrole, depuis 2014 - prédomine toujours une culture de mesure des performances du secteur public, axée sur « qu'est- ce que le gouvernement a fait ?», comme par exemple : l'argent dépensé, le kilométrage de routes pavées, le nombre d'écoles ou d'hôpitaux construits, les équipements modernes mis à la disposition d'écoles ou d'hôpitaux. De telles mesures, qui se concentrent sur les moyens et non pas sur les fins, nous renseignent sur combien le gouvernement a été occupé, et non pas sur combien il a, effectivement, réalisé. Bien sûr le gouvernement doit mesurer les dépenses (entrées) et qu'est-ce qu'il a fait (sorties). Mais quand l'accent est trop mis sur les « entrées » et les « sorties », et non pas sur l'efficacité ou l'impact sur la société, le résultat est que le secteur public perd de vue l'objet même de son existence ! Il paraîtra, toujours, très occupé, mais il accomplira, en fait très peu de choses pour la société. À titre d'exemple, considérons la construction de plusieurs écoles (ou hôpitaux), dans une wilaya quelconque. Dans cet exemple, l'accent ne devrait pas porter, seulement, sur les réalisations, en termes de nombre d'écoles (ou hôpitaux) construites, d'équipements installés, ou d'argent dépensé. Il devrait, plutôt, porter sur les bénéfices sociaux, comme, par exemple, l'accroissement du niveau d'instruction, la création d'un meilleur marché du travail, l'élévation des conditions de vie du citoyen, etc.

Pour ne parler que du secteur de la Santé et comme rapporté par la presse, les récentes déclarations de M. Abdelmalek Boudiaf, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, lors de la Journée mondiale de lutte contre le cancer, sont caractéristiques à cet égard. Je le cite : «? Mon département a pris les mesures nécessaires permettant de mettre fin à la pénurie des médicaments utilisés dans le traitement du cancer, d'améliorer rapidement l'offre en matière d'oncologie et de radiothérapie? l'amélioration de la prise en charge, en matière d'oncologie médicale qui est aujourd'hui, disponible dans les 48 wilayas du pays de manière à assurer des soins de proximité avec des ressources thérapeutiques modernes?Une amélioration réalisée après la relance, en 2013, des chantiers de réalisation des Centres anti-cancer, à l'arrêt, depuis plusieurs années, à Annaba, Batna, Sétif, Tlemcen, Sidi-Bel-Abbès et Tizi-Ouzou? L'Etat consent d'importants moyens financiers pour la lutte contre le cancer, pour preuve, le prix d'un seul accélérateur est de l'ordre de six millions d'euros?. L'Algérie dispose d'équipements ultramodernes qui n'existent pas dans certains pays même européens?. l'Algérie est le seul pays de la région africaine et arabe à disposer d'un réseau national des registres du cancer avec 38 registres opérationnels qui couvrent 82% de la population générale?la prochaine mise en place de l'Institut du cancer permettra, à l'Algérie, de se hisser au niveau des meilleurs standards internationaux ». C'est dire que c'est incompréhensible que l'un des départements ministériels - parmi les plus dynamiques et les plus entrepreneurials - glorifie ses accomplissements, principalement en termes de devises dépensées, d'équipements acquis et d'installations réalisées en, lieu et place d'argumentaires et de chiffres axés sur les bienfaits du système national de santé, et démontrant une amélioration concrète de la santé de nos populations, notamment des plus démunies. C'est dire aussi, sachant que les autres institutions épousent, pour la plupart, le même travers, que le creusement d'année en année, du déficit de la balance de payement (différence entre les devises reçues de l'étranger et les payements en devises à des opérateurs étrangers), estimé à 32 milliards de dollars US, en 2016, n'est pas le fait du hasard.

Depuis la chute brutale du prix du pétrole, en 2014, la mesure des performances prend un nouvel élan dans notre pays, dès lors que la réputation du gouvernement décline ; depuis, les pressions budgétaires se sont intensifiées, l'insistance sur l'importance du managérialisme a augmenté et l'intervention tous azimuts de l'Etat est quelque peu remise en cause. Qui plus est, à l'instar des pays en développement, le déficit dans notre pays en termes de capacités institutionnelles (faiblesse en régulation, faiblesse de la responsabilité ou redevabilité publique, inefficience administrative, ressource humaine peu qualifiée, etc.) peut être compensé par la mise en place d'un système national de mesure des performances, au profit des organisations publiques.

La mesure des performances des agences publiques devrait devenir la priorité d'un agenda de reforme de la gouvernance publique, en Algérie. Cet agenda visera l'introduction du nouveau management public (NPM pour New Public Management) dans nos administrations, permettant, ainsi, une plus grande flexibilité dans les activités du gouvernement ; l'introduction de méthodes modernes de redevabilité ou de responsabilité ; la dévolution, la décentralisation et la privatisation ; et une plus grande attention aux demandes, convenances et chois des publics. Du point de vue du NPM, le modèle traditionnel d'administration publique est peu performant, parce qu'il lui manque un standard de performance, orienté sur les résultats et les accomplissements. Manager en termes de résultats exige, des organisations publiques, de se départir de la culture administrative centrée sur la conformité servile, la non-prise de risques, et des procédures et règles rigides, pour embrasser un management plus efficient et plus efficace.

La mission de mesure des performances des activités dans le secteur public, constitue, aujourd'hui, une mission fondamentale du gouvernement. Elle vise à rationaliser ses activités, à gagner, en rendement et en efficacité, à améliorer la transparence et la redevabilité ou responsabilité, à accroître la confiance du public, et à aider à la réorientation de son rôle et de ses fonctions.

Le NPM, un aperçu.

On définit le NPM (pour New Public Management) comme « une approche en administration publique qui se sert des pratiques compétitives du marché ainsi que des connaissances et de l'expérience acquises, dans le domaine du management des affaires, en vue d'améliorer l'efficience, l'efficacité et les performances générales du service public, dans les bureaucraties modernes ». Il soutient que rendre les gouvernements performants, exige qu'ils opèrent comme les entreprises privées.

Le NPM s'appuie sur deux constatations : 1/ Les organisations du secteur public, à travers le monde, sont démodées et ont besoin de réformes, 2/ L'existence d'un corps de connaissances et de techniques éprouvées dans le domaine du management pour guider le processus de réformes. Il est motivé par plusieurs facteurs : l'hostilité du public, vis-à-vis, des services de mauvaise qualité fournis par l'Administration, les dépenses exagérées de l'Etat, avec en plus, un manque d'efficacité, les impératifs de la mondialisation et les scandales générés par la corruption.

Il puise dans deux grands concepts, le « marché » et le « management ». Le « marché » signifie la compétition qui pousse les entreprises privées à produire, continuellement, de meilleurs produits ou services, sinon elles ne survivront pas parce que d'autres entreprises le feront à leur place. Le « management » est une manière de faire, basée sur des connaissances scientifiques pour aborder les problèmes des organisations modernes avec optimisation des ressources. Aussi, dans l'optique du managérialisme les politiciens doivent s'astreindre à poser les objectifs généraux aux agences du secteur public, et il appartient aux managers de s'occuper de leur implémentation effective.

Les ambitions du NPM ont trait à des orientations précises : la réduction de la taille et de l'importance du gouvernent - central et collectivité locales, le managérialisme, la débureaucratisation, la décentralisation, et la privatisation. Il prône : l'introduction des fonctions générales du management (planification, organisation, contrôle et évaluation) dans le fonctionnement des gouvernements ; de donner plus de pouvoir aux managers ; une orientation favorable à l'emploi des critères d'efficacité économique et de mesures des performances, et la privatisation de parties des services gouvernementaux.

C'est le sociologue allemand Max Weber qui a, le plus, traité des bureaucraties. Il a décrit, avec force détails, aux années vingt du siècle dernier, les caractéristiques idéales de fonctionnement des gouvernements, en les résumant à :

L'existence d'une séparation claire entre les rôles des leaders politiques (qui sont, normalement, élus) et ceux des fonctionnaires (qui sont, normalement, nommés).

L'administration devrait être pérenne (continue) et prévisible, opérant sur la base de règles écrites non ambiguës.

Les fonctionnaires sont recrutés sur la base de leurs compétences, et doivent être continuellement formés pour prendre en charge, correctement, leurs missions et obligations.

L'organisation doit refléter une division fonctionnelle de ses activités, avec un arrangement hiérarchique des personnels et des tâches.

Les ressources utilisées doivent appartenir à l'organisation, elles ne doivent pas appartenir à des organisations tierces ou à des individus.

La principale source de motivation doit être le sens du devoir accompli et l'intérêt général.

Aujourd'hui, à travers le monde, et en Algérie, le modèle de Weber est revisité et des questions commencent à se poser quant au nouveau mode de fonctionnement des administrations - comment doivent-elles, désormais, accomplir leurs missions ? Leur fonctionnement devrait se caractériser par :

Les managers ont une autonomie maximum (vis-à-vis des politiciens) pour la gestion de leurs organisations.

La définition de standards explicites de mesure des performances.

Un plus grand suivi des résultats. L'accent est mis sur les résultats, et non sur les procédures ou les entrées.

Une division en unités (autour de produits) du secteur public.

Une incitation à la compétition dans le secteur public.

L'import dans le secteur public du style de management du secteur privé.

Une plus grande discipline et une parcimonie dans la dépense publique.

Dès 1992, Osborne et Gaebler, dans leur célèbre livre ?Reinventing Government : How the entrepreneurial spirit is transforming the public sector', définir les principes présidant à la modernisation des gouvernements. Pour eux, l'administration publique contemporaine est lente, inefficiente et dépensière, en conséquence, elle doit être réformée par une « Perestroïka ». Pour cela, ils proposèrent les dix principes de fonctionnement d'un gouvernement entrepreneurial. Ce dernier doit :

Agir comme catalyseur des secteurs publics.

Restituer, aux citoyens-usagers, le pouvoir de contrôle sur l'administration.

Etre guidé par sa mission.

Agir en fonction des objectifs fixés, et donc des résultats obtenus.

Etre guidé par les besoins des publics, et non pas par ceux de la bureaucratie.

Prévenir les problèmes, et non pas les subir.

Gagner de l'argent, et non pas seulement dépenser.

Décentraliser la prise de décision et favoriser la gestion participative.

Donner la priorité aux mécanismes de marché.

Promouvoir la concurrence entre les services et unités.

La mesure des performances, le quoi et le pourquoi.

Actuellement, s'agissant de la gouvernance (management) publique, notre gouvernement éprouve un besoin pressant de réformes profondes. En effet, se trouvant confronté à des défis socio-économiques majeurs - émigration clandestine, accroissement du chômage et des inégalités, accroissement du crime et de l'atteinte à l'ordre public, impact des nouvelles technologies, etc. - il rencontre, beaucoup, de difficultés à les résoudre avec les méthodes traditionnelles.

Par ailleurs, face aux résistances quant à l'augmentation des taxes et à une dépense publique, fortement, enracinée inflexible, la solution au problème du déficit budgétaire semble lointaine. Qui plus est, l'augmentation de la dépense du gouvernement, face aux demandes publiques est aujourd'hui, inappropriée, sinon impossible.

Aussi bien, tant pour des raisons pragmatiques qu'idéologiques, la réforme du gouvernement, en Algérie, semble, aujourd'hui, inévitable. Cette réforme vise à réduire le gaspillage, dans le gouvernement, à améliorer son efficience et son efficacité, à accroître sa flexibilité et sa réactivité managériales, à améliorer sa transparence et sa redevabilité ou responsabilité, et enfin, à mettre le citoyen au centre de ses préoccupations.

Dans cette perspective, l'idéologie, les théories et les principes sont, manifestement, insuffisants pour venir à bout des résistances politiques et bureaucratiques, ou pour fournir des justifications plausibles, permettant un changement des règles de gestion, un assouplissement des structures organisationnelles, et une transformation de rôle dans l'Administration publique. Pour ce faire, la mesure des performances constitue le principal levier pour signifier et rassurer que nos responsables, agissent avec compétitivité, efficience et efficacité. Ainsi, notre gouvernement devrait redoubler d'efforts, pour concevoir et implémenter un « nouveau modèle de redevabilité ou de responsabilité, axé sur les résultats » qui mesure l'impact réel de ses activités sur la société. Le modèle devrait pousser ou motiver les fonctionnaires, à regarder les projets et activités publics du point de vue des citoyens.

La mesure des performances - définie comme étant le processus de quantification de l'efficience et de l'efficacité des actions passées, au moyen de l'acquisition, la collation, le tri, l'analyse, l'interprétation et la dissémination d'informations appropriées - offre beaucoup d'avantages : elle constitue un outil de contrôle efficace et aisé des responsables sur leurs organisations, fournit des informations de contrôle claires de performance ,aux parties prenantes, améliore la prise de décisions, encourage la délégation et bannit le micro-management, clarifie et concentre sur des objectifs stratégiques de long terme, délimite la responsabilité, et enfin, permet une utilisation rationnelle des ressources.

De ce point de vue, la réforme du gouvernement devrait viser globalement, la dévolution (délégation de larges fonctions et services aux échelons inférieurs du gouvernement), la décentralisation managériale, la privatisation, la transparence, et la satisfaction des publics ? toutes ces actions dépendent, à l'évidence, de la mesure des performances et de l'évaluation des politiques et programmes.

La mesure des performances et une évaluation quantitative ou qualitative systématique, dans le temps, portant sur ce que fait une organisation ainsi que sur la performance et les effets de ses activités. Elle peut porter sur des entités aussi diverses que : les entrées (ex. argent, personnels, matériels, installations, informations, etc.), la charge de travail (ex. missions d'inspection réalisées, etc.), les sorties (ex. services fournis, nombre d'enfants vaccinés, kilométrage de route pavée, nombre d'écoles ou d'hôpitaux construits, tonnes de déchets ramassés, etc.), les résultats (ex. maladies prévenues, pourcentage de taxes collectées, etc.), la productivité (ex. nombre d'inspections par personne, etc.), les coûts (ex. moyenne des coûts de construction d'un kilomètre d'autoroute, de l'éducation/formation d'un enfant), la satisfaction des citoyens (ex. nombre de plaintes reçues), la réactivité de service (exemple temps de réponse de la police, durée d'attente pour un service).

D'un point de vue plus pratique ou opérationnel, il serait judicieux de se servir des quatre types de mesure des performances ci-après :

Mesure des entrées : indique les ressources allouées à un programme ou organisation, tels que les fonds alloués, les équipements, les installations, etc.

Mesure des sorties : Renseigne sur l'implémentation des programmes du gouvernement, tels que les services fournis, les hôpitaux ou écoles construits, kilométrage de route pavée, etc.

Mesure de l'efficience : Indique l'efficience quant à, la transformation des entrées en sorties. tels que le coût par lit d'hôpital, le coût du kilomètre de route pavée, le coût d'un diplômé universitaire, etc.

Mesure des résultats : indique l'état de la société dans le domaine dans lequel le gouvernement veut apporter des changements. Tels que une population en bonne santé, une population instruite et cultivée, un environnement urbain sûr ou sans danger, etc.

Les politiques et programmes du secteur public sont les « instruments » de réalisation d'objectifs sociaux. Un système viable de mesure de performances devrait pister, non seulement, les instruments, mais aussi leur impact sur la société. Aussi, les organisations publiques devraient, non seulement, développer des indicateurs de mesure des ressources utilisées (entrées ou inputs) et des activités achevées (sorties ou outputs), mais aussi des indicateurs informant sur l'état du monde, en dehors de l'organisation, i.e. les résultats ou les bénéfices sociaux. La concentration sur les résultats rappelle, en permanence, pourquoi un programme existe - imaginons la construction d'une route que très peu d'automobilistes empruntent, ou une campagne de vaccination d'enfants, dépassant les objectifs de sortie en nombre d'enfants vaccinés, mais ayant peu d'impact sur la maladie visée !

L'efficience représente la relation entre les entrées et les sorties. Elle vise l'emploi du minimum d'entrées pour concrétiser une sortie donnée, ou obtenir le maximum de sorties pour un niveau d'entrée donné. L'efficacité, quant à elle, décrit la réussite d'un programme en se concentrant sur ses résultats ou son impact et ses effets sur la société.

Un système de mesure des performances implique une relation entre les entrées, les processus, les sorties et les résultats. Il doit être guidé par la question : sommes-nous en train de faire les choses bien et sommes-nous en train de faire les bonnes choses ? C'est un instrument d'une puissance extraordinaire parce que les employés d'une organisation quelconque adaptent et façonnent leur comportement aux standards avec lesquels les performances sont évaluées. Quand les sorties et les résultats sont difficiles à saisir ? ce qui est souvent le cas dans le secteur public ? un système de mesure des performances instille un sens et une direction. Mais il faut faire attention ! Si un tel système est mal choisi, il oriente les organisations publiques sur des voies qui n'ont rien à voir avec leurs objectifs sociaux réels. Prenons le cas du système de Santé, en Algérie. Comment mesurer ses performances ? La bonne santé générale des citoyens ? La distribution géographique des installations de santé et du personnel médical ? Le temps d'attente dans les urgences ? Le temps d'attente pour un RDV avec un médecin ? La fréquence des erreurs médicales ? Chacune de ces mesures reflète un aspect de ce qu'attendent les populations du système.

En guise de conclusion, le comment de la mesure des performances.

Contrairement au secteur privé, l'activité de mesure des performances, dans secteur public, est complexe. Dans le secteur privé les entreprises existent, tout simplement, pour vendre des produits et services, avec profit financier et création de richesse, pour les propriétaires. Le secteur public est différent car il existe pour la mission noble et complexe d'élévation du niveau de vie des citoyens. De plus, l'existence dans le secteur public, d'une multitude de parties prenantes ou d'intervenants, avec des exigences différentes, et souvent en conflit, débouche sur des objectifs obscurs.

Par le biais des mesures de leurs performances les organisations publiques améliorent leur management opérationnel et leur productivité. Ces mesures sont utilisées aussi, pour améliorer la qualité du service public, par l'identification et l'adaptation aux besoins changeants des publics ; comparer, dans le temps, les performances, entre organisations et avec les standards ; suivre et contrôler les politiques et programmes. Pour faire simple, la mesure des performances d'une organisation cherche à comprendre la relation entre les entrées et les bénéfices socio-économiques en sortie.

Un système de mesure des performances permet aux managers des organisations et aux autres parties prenantes, de traquer ou pister, à intervalles de temps réguliers, les mesures de performance, choisies en vue d'évaluer les performances. Il comporte trois parties : le recueil et le traitement des informations, l'analyse et, finalement, la prise de décision et l'action.

Pour ce qui est de notre pays, il serait judicieux de confiner pour un début, la mesure des performances aux collectivités locales (wilayas et communes) et aux agences et entreprises publiques. A ce titre, le leadership national, au niveau des départements ministériels, serait responsable de la conception, la clarification et la communication du cadre stratégique ? incluant la mission des collectivités locales et des agences et entreprises publiques, leurs stratégies, et leurs objectifs stratégiques - au sein duquel le système de mesure des performances sera utilisé. La procédure générale exige, de chaque département ministériel, de développer, en collaboration avec toutes les parties intéressées ou affectées par leurs activités, un plan stratégique contenant les spécifications des missions propres aux collectivités locales et organisations publiques, couvrant : les activités majeures de ces dernières, leurs objectifs stratégiques, les résultats attendus derrière ces objectifs, les ressources et processus nécessaires à la réalisation de ces objectifs, les principaux facteurs pouvant prévenir ou gêner l'atteinte des objectifs, et enfin des indicateurs de performance pour juger de l'avancement vers les objectifs tracés.

Prenons le cas des collectivités locales, et supposons que le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, leur développe comme vision : « une culture de management des collectivités locales de classe internationale, mettant l'accent sur la centralité du citoyen et des acteurs économiques, ainsi que sur la redevabilité sur les résultats », et comme objectifs stratégiques : 1/ Renforcement et formation des employés des administrations, leur inculquer l'esprit d'innovation, de créativité, et de prise de risques raisonnables ; 2/ Implication des citoyens et des autres parties prenantes (employés, agences publiques, acteurs économiques, etc.), et amélioration des services offerts ; 3/ Automatisation et réingénierie des processus de travail ; 4/ Rentabilisation des atouts et ressources ; 5/ Diminution des coûts des moyens & ressources, de l'énergie (électricité, gaz, etc.) et d'utilisation des espaces ; 6/ Amélioration de la gestion des déchets industriels, commerciaux et ménagers ; 7/ Embellissement des milieux urbains ; 8/ Réhabilitation du bâti historique ; et enfin, 9/ Recours aux partenariats public-privé pour la fourniture des services.

A titre d'exemple, on peut imaginer pour l'objectif 1, des indicateurs de performances tels que : le nombre de cadres ayant complété, avec succès, leur formation en management, le pourcentage d'employés ayant le plus haut diplôme, dans leur domaine, le nombre de plaintes des citoyens, etc. Pour l'objectif 2, des indicateurs de performances pourraient être : le pourcentage de citoyens très satisfaits des services offerts, le pourcentage de factures payées par la collectivité locale aux opérateurs économiques au bout de 30 jours, etc.

Les bienfaits de la mesure des performances pour une organisation quelconque seraient démultipliés quand on lui joint un autre outil de management, à savoir le benchmarking. Cet outil se base sur la mesure des performances de l'organisation, la comparaison de ces performances avec ceux d'autres organisations, reconnues très performantes, l'analyse des causes des différences ,en termes de performances, et enfin, l'implémentation d'actions de management en vue d'élever les performances de l'organisation au niveau de celles des organisations performantes, objet du benchmarking. Selon Peter Drucker, le benchmarking est fondé sur le fait que « tout ce que fait une organisation quelconque, une autre organisation peut le faire, aussi bien». Par exemple, nombre d'entreprises, à travers le monde, et notamment dans les ex. pays socialistes, se servirent avec succès du benchmarking pour muter de l'état d'opérateurs à capital public à celui de sociétés axées sur le marché des capitaux.

Pour finir, n'oublions pas de souligner que le plan stratégique devrait, normalement, couvrir une période minimum de cinq années, avec mises à jour, à chaque fois que c'est nécessaire et au minimum à chaque trois années. Les départements ministériels doivent, aussi, présenter leurs plans à l'APN, pour débat.

Bibliographie :

Andy Adcroft and Robert Willis, The (un)intended outcome of performance measurement in the public sector.

Gerald E. Caiden and Naomi J. Caiden, Mesuring performance in the public sector programs, Public administration and business policy ? Vol. II.

Teddy Jurnali and A.K. Siti-Nabiha, Performance management system for local government : The Indonesian experience, Global Business Review, June 2015.

Diana Marieta Mihaiu, Measuring performance in the public sector : Between necessity and difficulty.

Diana Marieta Mihaiu, Alin Opreana and Marlan Pompiliu Cristescu, Efficiency, effectiveness an performance of the public sector, Romanian journal of economic forecasting, 4/2010.

Mark Schacter, Means? Ends? Indicators : performance Measurement in the public sector, Institut of governance, Policy brief No. 3, Apri 1999.

Adrew Sulle, The use of performance measurement information in the Tanzanian public sector : The case of National housing corporation, International journal of management sciences and business research, 2014, Vol-3, Issue 7.

*Ancien cadre du ministère de la Défense nationale et de l'ex. ministère de la Prospective et des Statistiques. Actuellement Manager exécutif de « Intelligence & Prospective », et consultant-formateur en management.