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Scènes ordinaires dans un pays de folie douce

par Moncef Wafi

Scène ordinaire dans une rue d'une grande ville algérienne, Oran pour ne pas la citer : une déséquilibrée mentale déversant un flot d'insanités à la ronde sans que cela n'interpelle ou ne choque une population passive par mimétisme. Les faits divers sordides, sanglants liés à des personnes mentalement atteintes sont illustratifs à plus d'un titre d'une situation certes compliquée mais qui aurait pu être traitée en amont. Le dossier de la folie ne peut être dissocié d'un climat général enfanté par des années de gestion erratique et d'incompétence managériale, à commencer par les hauts responsables du secteur eux-mêmes.

Les discours lénifiants des ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Santé ont fini par anesthésier toute volonté d'entreprendre, passant plus de temps à défaire ce que le prédécesseur a fait qu'à véritablement essayer de construire du durable. De la fameuse disponibilité des médicaments aux structures de prise en charge des malades mentaux, on nous aura menti sur toute la ligne et les résultats sont là, sous tous les yeux des Algériens. Des scènes de tous les jours, d'une rare violence, des agressions, des infanticides émaillent le sol jonché de drames de ces gens. On évoque la dépression généralisée à cause des difficultés socioprofessionnelles ou un sort jeté par un proche envieux.

La faute à un pays qui n'a pas su prendre en charge ses malades mentaux, lâchés en pleine nature, parqués de nuit dans des camions puis débarqués, hors territoire wilayal, comme une cargaison d'animaux en furie. Des fantômes, à poil, errant dans les rues des villes, des épaves humaines échouées lamentablement sur les trottoirs de la République faute d'une prise en charge adéquate. Des milliards de dinars, comme toujours, ont été annoncés pour un programme national de santé mentale et au final des zombies déambulant libres, mettant parfois la vie des gens en danger. Rien n'a été fait ou si peu, insuffisance de structures spécialisées, déficit en lits d'urgence dans les hôpitaux psychiatriques, ruptures de stock fréquentes en médicaments psychotropes dans les services spécialisés et suspicion accrue autour des pharmacies, le décor n'appelle à aucun optimisme de façade dans un pays où le peuple continue d'être schizophrène sous l'autorité d'un pouvoir autiste.