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Les lendemains d'émeutes ne sont jamais heureux, ni humainement ni politiquement !

par Cherif Ali

Dans leur rhétorique anti-contestation, les pouvoirs publics algériens ont tendance à oublier de nommer les véritables ennemis de l'Algérie : le chômage, la mal-vie, et leur corollaire la hogra !

Eléments d'analyse évidents, mais malheureusement superbement ignorés par le premier ministre Abdelmalek Sellal qui, réagissant aux dernières émeutes, a déclaré en marge d'un hommage rendu aux artistes au Palais de la culture : « il y a une tentative de déstabiliser le pays! Ils pensent que l'Algérie peut être manipulée par n'importe qui. Ils pensent que nous sommes des moutons. Ils pensent au Printemps Arabe.

Nous, on ne connait pas le Printemps Arabe, et il ne nous connait pas ». Et dans l'euphorie de sa déclaration, Sellal a remercié tous les jeunes qui ont riposté, selon lui, de manière forte sur les réseaux sociaux aux appels de protestation, « appels anonymes » émanant de « certaines parties » chargées d'une mission pour déstabiliser le pays. En son temps, et tout comme le premier ministre, Daho Ould Kablia alors qu'il était aux affaires comme ministre de l'intérieur et des collectivités locales, est arrivé à la même conclusion en 2011, quand le pays était confronté aux émeutes dites « de l'huile et du sucre ». Il a, sans hésitation aucune, insisté d'emblée, sur la « thèse de la manipulation » pointant ainsi du doigt « les cercles politiques et aussi les cercles économiques » qui sont touchés dans leurs intérêts dans ces histoires de commerce, de libéralisation, de resserrage de verrous ». Et, en tant que ministre chargé du maintien de l'ordre public, il n'a pas hésité à dénoncer, dans la foulée, la « tentative de récupération » qui a échoué en parlant du sort réservé à Ali Belhadj à Bab-El-Oued qui a échappé de justesse à un passage à tabac en règle !

En 2017, l'histoire semble se répéter, avec l'apparition en filigrane, du même Ali Belhadj qui, a en croire ce qui a été rapporté par le quotidien arabophone El Khabar ce mardi, lui-même repris par un site électronique, « aurait fait l'objet d'une instruction signée par le président Bouteflika-transmise par Ahmed Ouyahia-, demandant aux chefs de la police et de la gendarmerie nationales de mettre fin à ses activités et de lui interdire de quitter le territoire de la wilaya d'Alger ». En 2011, Daho Ould Kablia n'est pas allé aussi par quatre chemins pour épingler, indirectement, la démarche de son premier ministre d'alors, Ahmed Ouyahia, qui voulait s'en prendre au secteur de l'informel accusant ses barons d'être à la source des difficultés économiques du pays. Se démarquant de la politique du gouvernement, le vieux et néanmoins courageux « malgache » s'est positionné en affirmant : « personnellement, j'ai toujours avancé l'idée qu'on ne peut engager que les batailles qu'on est sûr de gagner ! » en faisant valoir que de fait, la bataille de l'informel, cheval de bataille d'Ahmed Ouyahia, doit faire l'objet d'une stratégie du moyen et long terme, parce que, a-t-il conclu, si l'on prend l'exemple de certains pays comme l'Italie, l'informel peut constituer une forme de croissance et participer à la création d'emplois. En 2017, l'émeute a pris naissance, concomitamment à une grève des commerçants contestant l'entrée en vigueur de la loi de finances. Personne ne sait, en définitive, qui est à l'initiative de ce mouvement social, dont le mot d'ordre anonyme a été relayé sur les réseaux sociaux.

En 2011, un conseil des ministres « historique» tenu le 3 février tirait les leçons des manifestations analysées par le président Bouteflika comme étant « sans aucun doute l'expression d'inquiétudes et d'impatiences chez nos compatriotes », battant ainsi en brèche, toutes les analyses de Daho Ould Kablia et consorts qui imputaient toutes les tares du pays à « la main étrangère». Avec des promesses de réformes politiques et de levée de l'état d'urgence, Abdelaziz Bouteflika, envoyait aussi un message d'apaisement en direction des classes populaires et des classes moyennes.

Parmi la panoplie déployée, on relevait des aides au logement, l'extension de subventions à d'autres produits de base et des hausses salariales avec des rappels rétroactifs qui, pour cette dernière mesure, ont généré un boom de la consommation aux cours des années 2012 et 2013. En 2017, la chute du prix du baril de pétrole a ajouté au pessimisme ambiant. Crise économique : l'Etat providence n'est plus ! Pour le gouvernement, c'est la corde raide : s'attaquer, par exemple, aux subventions sans avoir l'assurance que le « ciblage » sera efficace pourrait remettre en cause le contrat « implicite » qui maintient les classes populaires loin de la politique. L'adoption de la loi de finances 2017 qui amorce ce virage vers l'austérité a montré à quel point le consensus entre le pouvoir et une partie de la société est fragile.

Les nombreux lanceurs d'alertes ont averti de l'imminence d'une explosion sociale. Le gouvernement a fait la sourde oreille. Pire, il n'a rien voulu dire de la réalité économique et financière du pays. Aujourd'hui, l'heure est au bilan après les trois jours d'émeutes qui ont touché, début janvier les wilayas de Béjaïa, Bouira et Boumerdès. Pourtant, ce ne sont pas les manifestations urbaines les plus graves que le pays ait connues depuis ces dernières années, mais elles sont les premières à avoir fait l'objet d'une diffusion et d'un suivi en temps réel et de grande ampleur sur les réseaux sociaux. Dans un pays où le reflexe est, en général, de donner tort au pouvoir, les émeutiers ont, pourtant rapidement perdu la bataille de l'image comme le rappelait quelqu'un. Et aussi le soutien de la population en général qui a condamné la violence des manifestants. Et aussi le dictat des lobbies. Les lendemains d'émeutes ne sont jamais heureux, ni humainement, ni politiquement !

L'un des obstacles majeurs au traitement politique des malaises sociaux selon les experts, pourrait bien résider dans le fait que ceux-ci, et ceux qui les portent en l'occurrence les émeutiers pour ce qui est des événements de Béjaïa, tendent à avoir une existence visible seulement à partir du moment où les médias en parlent ; c'est- à-dire lorsqu'ils sont reconnus comme tels par la presse. Toutefois, il reste qu'il serait naïf de s'arrêter à ce constat.

Les malaises ne sont pas également tous médiatiques et ceux qui le sont subissent inévitablement un certain nombre de déformations dès qu'ils sont traités par les médias. Sans doute, les journalistes n'inventent-ils pas, de toutes pièces les problèmes dont ils parlent. Ils peuvent même penser, non sans raison, qu'ils contribuent à les faire connaitre et à les faire entrer, comme on dit dans le « débat public ». Première question toute simple : les médias doivent ils parler de ces émeutes ?

Devoir sacré d'information, droit absolu du public d'être tenu au courant de ce qui se passe dans son pays : ces leitmotivs se comprennent fort bien, mais en diffusant les images d'autobus et de trains en flammes, les journalistes tomberaient dans le piège posé par les casseurs ; or, quel sentiment plus grisant, pour un casseur, que de voir ses méfaits évoqués au JT ! Deuxième question : ces émeutes, sont-elles politiques ?

Elles le sont dans la mesure où elles ont vocation à influencer sur le cours des choses ; elles ne le sont pas si, par politique, on entend velléité d'accession au pouvoir. Par la force. Troisième question : le traitement journalistique de ces émeutes, est-il politique ? Si le traitement est partial et inspiré par des éléments de langage propres à des formations politiques, affiliées à l'opposition ou au pouvoir, la réponse est évidente. Quatrième question : les réponses apportées par le discours politique sont-elles adaptées ? La réponse tombe, implacable : non ! Croit-on, une seule seconde, qu'en écoutant le premier ministre ou même les chefs de partis de l'opposition appelant à l'apaisement, les brûleurs de pneus se diront, soudainement calmés, nous sommes allés trop loin, arrêtons tout et rentrons chez nous ?

Il faut se rendre à l'évidence, ni les discours agressifs des uns « ce sont des voyous » ou paternalistes des autres « nous n'avons pas pu leur offrir des perspectives », ne changeront le cours des choses, la mal-vie ou encore la hogra qui ont poussé un grand nombre de manifestants, jeunes pour la plupart, à prendre possession de la rue et de manière violente. Cinquième question : la sémantique, tant journalistique que politique, est-elle adaptée aux événements? On parle de « jeunes émeutiers ». On n'ose pas parler « d'insurgés » (le mot est trop solennel) pas plus que « révolté » (le mot est trop noble), ou de « voyous » (le mot est trop péjoratif), ou plus encore, de « casseurs » (le mot est trop violent). On utilise parfois à tort et à travers le générique de « jeunes » pour qualifier les manifestants, ceux notamment qui sont sortis à Béjaïa, Bouira et Boumerdès, ce qui est parfaitement stupide, car de nombreux jeunes, à commencer par les enfants, n'ont rien à voir avec les catégories décrites. Si dès lors, des mots sujets à caution connaissent un retentissement par pur conformisme, on imagine que la manière globale de traiter les émeutes ne doit pas être en elle-même exempte d'un certain conformisme.

En 2011, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika l'a bien compris, lui qui n'a pas hésité à engager des réformes assimilables à un « je vous ai compris » à l'adresse des émeutiers d'alors. Et aussi des partisans du Printemps Arabe qui avaient dans leur mire l'Algérie ! En conclusion, il ne faut pas que ces événements du début de l'année 2017 prennent l'allure d'un drame pour s'autoriser à parler d'implosion, ou d'explosion populaire.

Ailleurs, de tels mouvements sont devenus communs. Du mouvement des Indignés en Espagne, à celui des Grecs contre l'austérité et la pauvreté, en passant par la France où de nombreux citoyens se soulèvent contre les injustices sociales ! Il faut aussi l'admettre, les agissements du recours à la violence, bien que condamnables, expriment parfois une conscience réelle des problèmes sociaux des Algériens. Cela n'enlève rien à ceux qui manifestent pour exprimer, pacifiquement, leur envie de justice sociale. Et aussi leur ras-le-bol de la mauvaise gouvernance