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Quand l'incurie mite de généreuses volontés politiques

par Farouk Zahi

« On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices, mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu. » (La Rochefoucauld)

Autant que la mémoire puisse remonter dans le temps et ce depuis le recouvrement de la souveraineté nationale, les politiques publiques ont, de tout temps, tendu vers l'amélioration des conditions de vie pour un bien être social équilibré. Malheureusement, la vision optimaliste n'a pas, toujours, tenu compte des instruments à actionner pour leur concrétisation pratique sur le terrain, notamment la ressource humaine principal levier de la dynamique escomptée. Il en a été ainsi lors de la mise en application de la défunte Révolution agraire, du Système national de santé, de l'Ecole fondamentale ou plus récemment de celui du Renouveau agricole. Que dire encore du Dispositif du filet social crée au lendemain des restrictions imposées par le Fonds monétaire international (FMI) et qui fut dévoyé en devenant une véritable saignée à l'économie nationale titubante par l'usage du faux et la malversation à grande échelle. Qu'est-il advenu de ces cohortes de jeunes en tenue orange qui émargent sur le budget de l'Agence de développement social (ADS) et dont la prétention était de rendre à l'Algérie sa blancheur d'antan ? A l'international, ces programmes d'essence généreuse ont suscité une certaine admiration et parfois même une émulation heureuse.

Et c'est souvent, le petit détail, somme toute, anodin qui constituera le grain de sable qui fera grincer la machine. Il nous souvient de ces anecdotes ubuesques à en rire ou kafkaïennes à en pleurer. Un petit agriculteur des Hauts Plateaux qui voulait s'essayer à l'apiculture au milieu des années 2000, vivra une mésaventure qu'il n'est pas prêt d'oublier pour y avoir laissé des plumes. Après consultation des services techniques de la Subdivision de l'agriculture, il se dirige à Bougara (anciennement Rovigo), place forte agricole de la Mitidja, pour prospecter le marché de l'abeille. Concluant le marché avec un apiculteur connu, il revient avec sa cargaison de ruches. Heureux de son acquisition, il ne pensait pas, un seul instant, que la belle aventure allait se transformer en cauchemar. Installées dans sa petite ferme à une dizaine de kilomètres du lieu de sa résidence, les ruches attendront longtemps la visite des services techniques pour la délivrance du certificat de conformité pour que la banque agricole débloque la subvention financière destinée à couvrir l'acquisition.

De report en report, on informe après, près de trois mois d'attente, l'intéressé de l'organisation d'une visite imminente pour la réception technique des ruches. Elle ne se fera pas sur le site d'élevage même, mais au domicile urbain de l'agriculteur. La raison invoquée ? La contrainte du jeûne de Ramadan, faisait qu'on ne pouvait faire la réception du produit que le soir autour d'un plateau garni de confiserie et autre z'labia.

L'embarquement des ruches eut lieu avant la rupture du jeûne pour les besoins de la visite technique qui se déroulera dans?le salon de l'hôte soumis à contrôle. Et comme la durée entre la livraison et le contrôle du produit a trainé excessivement, la mortalité du cheptel était de l'ordre de près de 40 %, ce qui obligea l'acquéreur à payer la différence de sa propre poche. Alors, se pose la question et, à juste raison, pour quel motif alors ces errements ? Il ne faut point être grand devin pour préfigurer de l'intention à peine voilée de concussion. Portée à la connaissance du responsable hiérarchique territorial de l'institution incriminée, la démarche a laissé celui-ci de marbre avec des signes évidents d'agacement.

Nous ne quitterons pas le secteur sans narrer cette autre incurie pratiquée au grand jour, par une medecin-vétérinaire de la même circonscription administrative. La dame qui ne quitte pas son foyer, procède au contrôle du produit halieutique à partir de son balcon. Le poissonnier qui se présente au bas de l'immeuble en marquant sa présence par un puissant et répété coup d'avertisseur sonore, reçoit un couffin attaché à une longue corde dans laquelle il versera la dime en poisson, suite à quoi, il recevra par le même moyen son certificat sanitaire. Et chacun des acteurs de ce simulacre s'en ira avec le sentiment du devoir accompli.

Sur un autre registre, celui de la gouvernance, il nous revient à l'esprit cette autre fourberie, savamment, montée par le gestionnaire d'une grosse structure publique dans le Sud du pays. Redevable d'impayés de plus de 10.000.000 DA, soit un peu plus d'un milliard de centimes, pour consommation d'eau destinée à l'établissement, celui-ci était sous la menace d'une coupure sans préavis. Pour avoir le cœur net, le responsable territorial fit le déplacement jusqu'au réservoir jumelé d'une capacité de 300 m3. Il ne comprenait toujours pas pour quelle raison, le puits foncé et équipé sous les auspices de la wilaya pour un cout de 4.000.000 DA n'est toujours pas exploité ; chose qui aurait épargné à l'établissement des dépenses qu'on aurait judicieusement destinées à d'autres postes. La gabegie ne s'arrêtait pas à cette débauche dans la consommation de l'eau seulement, mais dans l'intention délibérée de renflouer les caisses de l'Entreprise chargée de la gestion de cette même eau. L'objet du délit était constitué de la défectuosité des robinets d'arrêt dont les flotteurs ne fonctionnaient plus depuis plusieurs années. Leur remplacement aurait couté à peine 40.000 DA. Ceci voulait dire, que les volumes d'eau reçus étaient comptabilisés par le volucompteur et reversés dans le réseau d'assainissement par le trop plein. Ainsi, la boucle de l?incurie était bouclée. L'entreprise prestataire, incapable de recouvrer toutes ses redevances auprès des foyers, équilibrait son budget par des créances factices détenues sur cet établissement public. Un autre fait de même nature, mais plutôt burlesque par son coté philanthropique. Cette fois ci l'établissement public dont il s'agit est situé dans le nord du pays. Mis en service à la fin des années soixante, il dispose d'un grand réservoir d'eau construit sur une butte distante de quelques centaines de mètres. Avec le temps, le bâti privé vint remplir l'espace anciennement nu.

Le comptage du volume consommé se faisait juste à la sortie de la conduite alimentant la structure publique. Tout le nouveau bâti, sur le trajet, se raccorda à cette conduite, pourtant privée et c'est l'établissement public desservi qui payait la consommation collective. L'entreprise chargée du recouvrement de ses créances, le faisait doublement au désavantage de l'abonné public propriétaire du dit réservoir. Ces exemples illustratifs, ne constituent probablement pas l'exception, il faut les frapper d'un multiplicateur à deux chiffres au moins pour mesurer, à sa juste valeur, cette perdition que rien ne semble juguler.

Par contre, d'autres intervenants, contre toute logique, se dissimulent derrière une réglementation rigide allant à contre courant de la logique la plus élémentaire. Un équipement de réfrigération (chambre froide) et n'ayant jamais servi, était démonté et remonté dans une structure nouvelle dont la fiche technique prévoyait un tel outil d'une valeur de 2.000.000 DA. A son achèvement, l'opération n'aura couté que 1/40 ème du cout prévisionnel de l'équipement. Le contrôle à priori, rejeta l'engagement de dépense en arguant que le dit équipement doit être neuf et qu'aucune marge de manœuvre n'est tolérée. Nous sommes loin, très loin même de la bonne gouvernance.

Il nous faut reconnaitre, à la décharge de ces gestionnaires ou plutôt ces dépensiers, que leur évaluation se faisait à l'aune de la consommation des crédits mis à leur disposition. L'équilibre budgétaire, cette règle d'or, a été, peu à peu, abandonné au profit d'une frénésie dépensière à la limite du dispendieux. La première entorse portée à l'orthodoxie budgétaire s'est faite au milieu des années 80' par le toilettage de la nomenclature des plans de développement qu'ils soient centralisés ou délocalisés. C'est ainsi que dans la précipitation, des projets considérés comme vitaux pour certaines collectivités locales, furent annulés ou dans le meilleur des cas ajournés.

Certains, en un exemplaire unique, furent supprimés en dépit du sous équipement chronique du lieu bénéficiaire, alors que d'autres, en plusieurs exemplaires, furent maintenus dans des lieux relativement prospères. L'institution chargée de l'arbitrage laissa faire comme s'il s'agissait d'une routinière tâche bureaucratique. Concomitamment, on opérait à l'assainissement des créances détenues sur l'opérateur public et là, la gabegie donna libre cours à tous les dépassements. Il ne suffisait, parfois, que d'un simple document qui n'était pas forcément une pièce comptable, pour se faire payer une prestation. La non gestion pour ne pas utiliser de termes excessifs, emmenait, le plus souvent, les pouvoirs publics à déplafonner les budgets pour l'effacement de dettes contractées hors budget ce qui confortait le gestionnaire dans son errance managériale de plus en plus tolérée. Il s'est trouvé des responsables, de haut rang parfois, qui intimaient à leurs collaborateurs l'ordre d'engager des dépenses, pas toujours opportunes, juste pour ne pas laisser de crédits qui iraient, en fin d'exercice dans les caisses du Trésor public. Cette approche, véritable curée s'il en était, renseigne du peu de crédit accordé à la chose publique dans l'intérêt, bien compris, de la communauté nationale. L'ouverture démocratique consécutive à Octobre 88 et les turbulences sanglantes qui s'en suivirent, eurent pour conséquences directes ou indirectes une sorte de désobéissance administrative, à peine voilée, pour que certaines chapelles politiques dictent leur volonté à leurs ouailles fonctionnaires pour créer des climats malsains par leur comportement négatifs ou du moins contreproductifs. Ces postures participaient d'intentions manœuvrières à l'effet de susciter le plus de mécontentements au sein d'une population donnée. Ces arènes malveillantes s'organisaient lors des répartitions budgétaires annuelles ou lors des arbitrages du défunt Département à la planification. La messe y était prononcée ex.cathedra !

Et pour ne pas quitter la paroisse, il nous vient en mémoire cet autre exercice pratique d'esprit de clocher, prégnant jusqu'à ce jour. Un ancien membre du gouvernement avait pour habitude de tenir des réunions marathoniennes en des heures indues. Il lui arrivait d'en clôturer les débats à des heures exagérément tardives. Cette tactique, avait pour double but et d'harasser les cadres administratifs et d'évacuer la salle des élus locaux qui, impatients lui laisseraient le champ libre pour les propositions qu'il serait amené à faire. C'est ainsi que lors de l?exécution du programme d'habitat en construction industrialisé du début des années 80', il proposait, lors d'une de ses réunions, le transfert d'un millier de logements non lancés sur les 5.000 programmés pour cette wilaya des Hauts Plateaux vers une wilaya voisine, une sorte de prêt disait-il. Aucun des membres de l'exécutif, encore moins son chef, ne pouvait exprimer un quelconque avis. Le fait du prince est indiscutable. Et voilà que du fond de la salle plongé dans la pénombre, la voix du seul élu suivant encore les débats, s'élève pour balayer courtoisement la proposition ministérielle. Il lui dira en substance : « Monsieur le ministre, vous êtes le bienvenu dans la capitale du mouton qui vous souhaite un agréable séjour. Quant aux voisins auxquels vous voulez destiner les 1000 logements, moi?je leur souhaite mieux. Ils ont la chance de vous avoir à la tête de ce département, donc ils méritent mieux que le fabriqué. Nous aurons besoin du double de notre programme pour pouvoir satisfaire à la demande exprimée. Merci de votre bienveillante attention ! ». Cet élu qui n'est plus de ce monde, n'avait pour chapelle politique, que ceux qui ont placé leur confiance en lui, ces électeurs. Paix à son âme !