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Retour du Soudan

par Halim Benattallah

Je reviens d'un séjour de plongée sous-marine en mer rouge, au Soudan. La mer y est d'une beauté exceptionnelle, la faune et la flore sont d'une telle richesse que le commandant Cousteau en avait fait le sujet de ses recherches dans son film «Pré-continent 2».

A l'inverse de ce          que subissent les fonds sous-marins égyptiens de Sharm el Sheik, la mer au Soudan est encore préservée des ravages du tourisme de masse. Ma curiosité me poussait également à aller découvrir les pyramides des 'pharaons noires' de Méroe, si peu connues du grand public. Enfin, il me semblait intéressant de découvrir un pays vivant encore sous un embargo décidé par les Américains et appliqué par la " communauté internationale ".

Après avoir épuisé la documentation disponible sur internet et autres sources, je décide de prendre contact avec notre ambassade à Khartoum afin de recueillir des précisions sur l'état des moyens de transports locaux jusqu'aux sites archéologiques d'importance.

Qu'elle n'est pas ma surprise de constater que le site web de l'ambassade se limite à une maigre demi-page dépourvue de contenu: le numéro de téléphone n'est pas actif, le nom de l'ambassadeur est encore celui du prédécesseur, l'adresse e-mail est erronée. Mon courrier reste lettre morte. J'essaie de joindre l'ambassadeur et lui demande quelque conseil sur les distances, l'état des routes, les moyens de transport, l'obtention du visa.

Lorsque finalement je parviens à le joindre, c'est pour m'entendre dire qu'il n'est pas en mesure de pouvoir m'éclairer. Il m'avoue sans ambages n'être jamais sorti de Khartoum et ne pas avoir l'intention de visiter le pays. Il ajoute ne pas savoir où se trouvent les pyramides et ne pas connaître l'état de la route entre Khartoum et Port Soudan. Il me déconseille cependant de faire cette route et m'avertit de la vétusté des lignes intérieures, affectées par l'embargo. Sur le plan sécuritaire, son conseil est encore plus laconique : il ne peut rien me dire. Il clôture en m'exhortant à porter mes intentions de séjour vers l'Egypte, où il était en poste précédemment. " Bonne chance ! " s'exclame-t-il.

L'objectif de mon entretien se bornait à vouloir obtenir des informations pratiques et précises qu'un diplomate digne de ce nom devrait être en mesure de pouvoir partager.

Je ne me laisse pas décourager et poursuis mes préparatifs. Le site web de l'ambassade américaine à Khartoum fourmille quant à lui d'informations. Je suis surpris de constater que le voyage au Soudan n'est pas déconseillé. Les Soudanais sont présentés comme accueillants et affables. Un parallèle avec les recommandations aux voyageurs appliquées à notre pays me sautent aux yeux : comment se fait-il que l'Algérie soit encore et toujours présentée comme " exposé à la menace terroriste dans une très large portion de ses territoires et les déplacements déconseillés dans le reste du pays, sauf pour raison impérative " (sic Ministère des Affaires étrangères français, par exemple) ?Quelle est donc la raison qui fait classer notre pays dans la catégorie des pays peu sûrs alors que la sécurité prévaut à travers tout le pays?

En fonction des informations obtenues, je modifie mon programme et m'envole du Caire directement vers Port Soudan. Mon séjour est trop court pour me forger une idée précise du pays mais là encore, les premières impressions font surgir les comparaisons avec l'Algérie: malgré de potentiels rentrées de devises importantes, le tourisme au Soudan n'est pas encouragé. Les ressources sont inexploitées, le coût prohibitif du visa (115 dollars) et la taxe touristique de 185 euros découragent le visiteur assez téméraire pour défier les préjugés frappant en général ce genre de destination «alternative». Un parti pris gouvernemental privilégiant un tourisme dit «islamique» réduit l'effort touristique à une peau de chagrin et enferme plus avant le pays dans l'isolement. A l'évidence, ces consignes sont suivies de quelques résultats concrets: des affiches placardées à l'entrée de la ville antique de Suwakin située à une centaine de kilomètres de Port Soudan indiquent que «les fêtes de Noël et nouvel an sont des fête de mécréants : min tachabata bi kaoumin fahoua minhoum - Ijtanibou el mouchrikin fi aiadihim fa inna essakhta tanzal alaikoum?» Ces recommandations n'empêcheront pas les Soudanais de célébrer la fête du nouvel an avec force tintamarre et feux d'artifices, bravant le rigorisme des voisins saoudiens à quelques coudées de mer, juste «en face».

Mon voyage, instructif par ailleurs, ne m'a certes pas permis d'explorer en profondeur un pays qui mérite d'y consacrer bien plus de temps que je n'en n'avais, mais mes observations auraient pu compléter le tableau quelque peu succin qu'en avait notre Ambassadeur. Par exemple, j'aurais pu lui apprendre que la route qu'il me déconseillait si vivement est une artère essentielle du pays, le trafic y est dense et les dangers de circulation pas plus importants qu'ailleurs. J'aurais pu lui rapporter qu'au travers de mes échanges avec la population, je n'ai rencontré que des éloges et de l'admiration pour l'Algérie et son peuple. A l'évidence, l'expérience d'un compatriote ne lui était d'aucun intérêt.

J'en retire, à mon grand déplaisir, une constatation plus large et bien plus triste pour notre pays. N'est-ce pas l'obligation la plus impérative pour un ambassadeur de se tenir au courant de l'évolution et de la situation du pays dans lequel il a été nommé pour en informer son propre gouvernement ? La connaissance intime du pays par l'Ambassadeur détermine la qualité de la relation diplomatique entre les deux Etats. Un Ambassadeur qui renonce à connaître l'Etat du pays et ne s'y aventure pas, est-il en mesure de convenablement éclairer son pays ?

Plus triste encore lorsque l'on songe que ce cas de figure précis n'est pas un cas isolé. Comment peut-on espérer rehausser l'image et l'influence de notre pays si nous n'avons pas aux avant-postes de nos représentations diplomatiques des professionnels engagés?