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PASSÉ RECOMPOSÉ

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

J'étais Français-musulman. Intinéraire d'un soldat de l'ALN. Mémoires de Mokhtar Mokhtefi. Editions Barzakh, Alger 2016, 342 pages, 900 dinars.



Voilà donc un livre qui ne va beaucoup plaire aux anciens des Transmissions (et du Malg). Un livre écrit (en tout cas proposé à un éditeur algérien, quelque temps à peine avant le décès de l'auteur) par un combattant de la première heure.

Bachelier, il rejoint le maquis en passant au Maroc.Tout un parcours dans les Transmissions de l'ALN ; d'abord au Maroc pour une formation accélérée, en compagnie d'autres jeunes de son âge, dans la plus grande mais aussi la plus oppressante des clandestinités. Guerre révolutionnaire oblige ! Encore fallait-il qu'elle soit très bien expliquée aux jeunes recrues, ce qui a entraîné bien des désillusions, bien des colères retenues et bien des inimitiés... On le sent bien à la lecture de bien des passages du livre qui raconte beaucoup plus le parcours (presque trop ) personnel de l'auteur que l'Histoire collective d'un pan important de la guerre de Libération. D'où un ouvrage très riche en anecdotes...avec une restitution assez réaliste de scènes vécues au village natal, à l?école, puis au lycée et lors de la formation (au Maroc ), puis au maquis (une véritable grande aventure que celle des Transmissions, qui a, peut-être, avec la formation de 959 techniciens, changé le cours des choses car cela a permis de tisser une Toile communicationnelle concurrençant et parfois dominant le réseau colonial d'informations). Puis en Tunisie. Avec, aussi, la description des relations interpersonnelles (des «portraits psychologiques» assez rapides ) avec un grand nombre de personnes, dont certaines étaient et/ou sont devenues, par la suite des «personnalités»... avec, souvent, des heurts, des incompréhensions et des jugements, à mon sens assez superficiels et subjectifs (exemple : à l'endroit de Ferhat Abbas). Ainsi, quelques «révélations» : Kaid Ahmed ?retiré par l'Etat-major ? est remplacé par Amar Benmostefa Benaouda, dans la délégation menant les négociations d'Evian (un choix de Boussouf nous précise l'auteur !)/ La rencontre avec le sous-lieutenat Abdelghani (Benahmed Mohamed)... «le premier combattant de l'ALN que je vois en cravate»/ L'épisode Ali Mellah et le pourquoi des choses...

L'Auteur : Né à Berrouaghia, il rejoint l'ALN (Wilaya 5) en 1957. A l?Indépendance, il poursuit ses études universitaires, en sociologie et en économie, à Alger et à Paris. Il occupe plusieurs postes, en Algérie, puis rejoint la France où il publie des albums, sur l'Afrique du Nord et le monde arabe, destinés aux jeunes. En 1994, il s'installe à New York avec son épouse, Elaine Klein, une journaliste cinéaste (et peintre) Début 2015, il confie son manuscrit à l'éditeur. Il décède en avril de la même année.

Extraits : «Il existe un tel climat de crainte et de méfiance dans le corps des transmissions qu'on peut s'attendre à tout : de la médisance jusqu'à la délation...Ce comportement est dû à un choc commun : l'événement qui s'est passé pendant le premier stage des opérateurs, en août 1956, lorsqu'ils ont été forcés de participer, de manière collective, à l'exécution par strangulation de deux jeunes patriotes ayant essayé de déserter. Non seulement cet événement a traumatisé ceux présents mais il a contaminé les rapports entre les membres de ce corps de l'armée pour la durée » (p 303), «Malgré ses déconvenues, Boussouf reste l'homme dont le bilan est exceptionnel... Par contre, comment passer sous silence le climat de suspicion qu'il entretenait, son emploi de la force et son goût du complot ? C'était un homme qui n'hésitait pas à aller jusqu'au bout de ses convictions et de ses projets, même les plus terrifiants, dont l'assassinat, en particulier, de Abane Ramdane. Après 60 ans de l'histoire du pays, il est temps de regarder les hommes en face.» (p 333).

Avis : Trop long, trop de détails, peu d'analyses, mais un livre ? écrit à la première personne - qui tient en haleine, et passionnant surtout pour tous ceux qui veulent connaître l'Histoire racontée dans ses «détails» par un combattant qui n'a pas sa langue «dans sa poche». Un journaliste l'a écrit avant moi (M.C Lachichi, Liberté ) : «Des passages croustillants que, probablement, certains voudront mettre en doute. Mais en vain !», c'est déjà écrit

Citations : «La Révolution utilise toutes les compétences, comme un torrent, elle charrie tout sur son passage» (p 205), «L'ignorance au bout du fusil nous réserve des lendemains amers» ( p 336)



Algérie. Lignes de vie d'un peuple. Essai de Thierry Perret. Chihab Editions, Alger 2016 (Editions HD Ateliers Henry Dougier, Paris, 2016, sous un autre titre, «Les Algériens si méconnus»), 204 pages, 800 dinars.



«Les Algériens, c'est vrai, sont compliqués. C'est justement ce qui les rend passionnants !». On ne le savait... plus, ou si on le devinait, on en doutait fortement, mais l'auteur, un Français devenu, peu à peu, un vrai Algérien (j'ai ouïe dire qu'il avait, quelque part, une ou plusieurs racines bien de chez nous) nous le démontre grâce aux techniques maîtrisées du journalisme par un écrivain visant le large public, à son sens aiguisé, à de la fine observation et... à son air sympa .

A travers une trentaine de rencontres, d'entretiens, de lectures et de visites, il nous livre non seulement son sentiment sur le pays, sur ses habitants et sur leur vie (sans s'y ingérer) mais, aussi, une analyse réaliste de situations, en apparence compliquées ou inexplicables, mais simples pour peu qu'il y ait un petit effort d'empathie et d'ouverture d'esprit .

On a, donc, successivement, passé au «confessionnal» ou au scanner, Nacer Djabi, le sociologue, qui explique pourquoi les Algériens «ne se connaissent pas» ; Adlène Meddi, le journaliste et écrivain qui revient sur l' «état de sidération» né de la «décennie noire» ; Amira Bouraoui (du mouvement «Barakat») et Mustapha Benfodil qui évoquent une Algérie «bourrée de références mais qui ne sait pas les classer» et des «mouvements sociaux non expressifs» : Abdelkrim Boudra (de Nabni) qui tente de «désintoxiquer la rente» ; Daho Djerbal qui décortique le phénomène de «focalisation exclusive sur la guerre de Libération» ; Sabah Ferdi en perpétuelle «révolte contre la dégradation du patrimoine matériel culturel et historique de la période antique» ; Belkacem Babaci, qui veut sauver une «Casbah d'Alger en péril» ; Azzedine Guerfi, le Chaoui marathonien collectionneur des défis, militant du patrimoine mais aussi éditeur avec les Editions Chihab ; Henri Teissier, celui qui a côtoyé la socité algérienne depuis déjà soixante-dix ans ; Said Bouterfa et les manuscrits sauvés des sables ; Wassila Tamzali, la «femme en colère» ; Samir Toumi et son «cri» mais aussi le temps du «réenchantement» ; Faika Medjahed et la psychanalyse... «marginalisée» ; Mohamed Saïb Musette, le plus Algérien des mauriciens, avec une explication originale (mais, à mon sens, la plus vraie) de la religiosité ; Mourad Ouadahi et Jil Fm ; Slim Othmani, l'entrepreneur fan de réussite entrepreneuriale et de golf ; El Kadi Ihsane, le trotskyste devenu un éditeur web d'avant-garde mais luttant toujours contre l'hyper économie rentière ; Mouloud Salhi, le «fou» d' associations d'Akbou ; Ameziane Ferhani, un véritable personnage de B.D et plume aiguisée de la presse et de l'écriture ; Hajar Bali l'écrivaine ; Dalila Nadjam l'éditrice qui a créé Dalimen ; Nawel Louerrad la dessinatrice rebelle tranquille ; Chafik Hamidi, dit El Panchow ; Mourad Krinah et Nadira Laggoune des Beaux Arts ; Karim Moussaoui le cinéaste ; Noureddine Saoudi, le virtuose du ?oud et géologue ; Meriem et Fellah, architectes... Ouf !

«Ils sont intelligents, brillants, entreprenants... On n'y fait pas attention, tout de suite, mais leur nombre finit par retenir l'attention»... du regard extérieur... surtout celui de Thierry Perret... un grand compréhensif... qui sait de qui et de quoi il parle. Et comment !

L'Auteur : Journaliste spécialiste de l'Afrique, il a été attaché culturel français, en Algérie (de 2010 à 2014). Plusieurs ouvrages publiés dont l'un sur l'Afrique et l'autre sur le Mali.

Extraits : «De nombreux doutes -le fameux «désenchantement» - caractérisent l'opinion des Algériens sur leur pays. Ils semblent souvent sceptiques sur son avenir, croient peu aux capacités de changement de leur société, cultivent un certain pessimisme sur sa destinée, et s'exercent avec talent à l'art de l'autoflagellation» (p 12), «En vérité, en Algérie, plusieurs sociétés cohabitent, les repères semblent constamment mouvants, et c'est dans l'équilibre à trouver entre toutes ses composantes que le pays pourra trouver son chemin. Cette hétérogénéité, seuls les Algériens en vérité semblent ne pas y croire» (p 20), «La colonisation, vue à travers le prisme exclusif de ses exactions et de la répression, c'est un rituel identitaire qui est aussi de manière subliminale un message envoyé à la France, amie et toujours coupable» (p 112).

Mélange heureux de reportage, d'enquêtes et d'entretiens . Se lit d'un seul trait.

Citations : «Les jeunes voulaient se débarasser de l'Etat FLN, mais ils ont été pris, comme on le disait à l'époque, entre deux forces : soit le voleur (l'Etat, les élites), soit le tueur (l'islamisme). Ils ont, finalement, pensé : on accepte mieux le voleur que le tueur» ( p 31) , «Le conservatisme religieux est une nécessité politique. Il protège une logique rentière où les femmes ne doivent pas avoir un rôle majeur» (Fatma Oussedik, p 106),



Aux pieds de ma mère. Roman de Suzanne El Kenz. Editions Frantz Fanon, Tizi-Ouzou, 2016 (Editions de l'Aube, France, 2013), 204 pages, 157 dinars.



Une autobiographie romancée ? La continuation du premier ouvrage de l'auteure, «La maison du Neguev» ? Très certainement. Car il y a un fil conducteur lié à l'exil, lié au pays perdu (pour toujours ?) et retrouvé occupé... la Palestine mère. Lié à un peuple que l'on ne reconnaît presque plus, car éparpillé, chacun vivant un quotidien à sa manière, absorbé par le pays d'accueil. Ne restent plus bien visibles que des boutiques «palestiniennes» vendant des produits de l'économie de marché «made in China»... et le «keffieh» ce fameux foulard, alors signe de ralliement universellement connu (représentant l'être debout brandisant sa révolte) dont, maintenant, on se recouvre le visage pour mieux s'endormir... et/ou pour ne plus voir la «réalité».

Le grand drame, c'est qu'il a plusieurs exils cumulés tuant l'humain «à petit feu» .

D'abord, l'exil de la terre-mère. L'auteure nous le raconte à travers sa rencontre, lors d'une visite au cimetière algérois où est enterrée sa maman, d'un escargot sur la tombe... L'exilé palestinien est comme cet escargot allant d'un endroit à un autre en se traînant, avec pour seul abri sa fragile coquille et pouvant être écrasé par n'importe quel passant. Elle nous le raconte aussi à travers un voyage «touristique» effectué dans son pays natal, en compagnie de ses deux enfants. Il y a aussi l'exil intérieur. Car, le temps étant compté, il y a toujours un moment de sa vie où l'on s'interroge sur soi, et sur les autres, tous les autres. Des couches «d'étrangèreté», très lourdes à porter. N'y a-t-il de solution que dans la «fuite en avant» ? D'exil en exils ?

L'Auteure : Née à Ghaza, dix années après la «Naqba». Vivant entre Nantes où elle enseigne la langue arabe, d'origine palestinienne ayant grandi et étudié en Algérie où ses parents y étaient réfugiés, obligée elle-même (ainsi que son époux, le sociologue Ali El Kenz) de s'exiler en Tunisie puis en France (durant la décennie rouge), elle a déjà publié «La maison du Neguev» (Apic, 2019). Un livre superbement écrit, avec le cœur, avec les tripes, avec les larmes au fond des yeux. Un livre douloureux mais beau. Le livre avait, d'ailleurs, obtenu le prix Yambo-Ouologuem.

Extraits : «Dieu, grand Allah, sacré Dieu, aidez-nous à avoir un pays, un Etat, et mettez à sa tête tous les salauds que vous voulez et qui existent comme partout ailleurs» (p 26), «Le Mur ! Oui, il est là cette fois-ci, intégralement achevé. Quelle œuvre ! Bravo les Israéliens, grands colonisateurs bâtisseurs ! Il coupe le souffle, il coupe les âmes, il coupe les regards, il coupe les vies, il coupe mon pays... Il fait écran à toute perpective . Aucune perspective : rien que du béton, agressif, insolent, méchant, blessant, violent..» (p 58), «Mon pays est occupé et nous sommes occupés à résister et à nous battre - à faire la guerre si tu veux. Mais si seulement on savait la faire ! Cela fait des années qu'on se prend des claques, et même quand on a voulu faire la paix, ce fut un échec» (p 87) «Pour nous, la machine s'est arrêtée un jour. Les vieux n'ont jamais compris pourquoi, les tout jeunes non plus. Et nous sommes restés avec nos fichues explications marxistes, historiques et autres élucubrations intellectuelles qui, qu'elles qu'en furent la justesse ou la perspicacité, n'ont point éclairé nos chemins ni nous ont donné la quiétude» (p 125).

Avis : Une tristesse qui fend le cœur tant la déchirure décrite est grande. Le roman décrit aussi une «certaine vie» algéroise !

Citation : «Quand elles (les femmes) font des analyses pertinentes, les hommes de l'entourage les écoutent peu, d'une oreille distraite et vont jusqu'à reprendre ce qu'elles disent mais à leur propre compte, comme si elles n'avaient rien dit : c'est du vol pur et simple !» (p 50),

PS : Fatiha Bourouina est une journaliste de talent qui ne baisse jamais les bras. Correspondante d'organes de presse étrangers (arabes), ayant même éprouvé, un certain moment, bien des difficultés pour obtenir son accréditation, titulaire d'un master en Communication (à l'Ensjsi), déjà auteure de plusieurs essais (dont un à Anep éditions), elle vient de publier un ouvrage de 166 pages sur «Les correspondants de presse : étrangers ou graine d'espions ?» (traduction approximative) aux Editions Dar Sarah. Tout un historique détaillé (basé sur une observation de terrain minutieuse et sur une analyse universitaire rigoureuse ) qui traite de la question depuis l'indépendance. Toute la problématique d'une relation bien souvent heurtée et tumultueuse (tout particulièrement durant la décennie rouge) de l'Administration (ou les institutions) chargée(s) des accréditations et du suivi des activités avec les journalistes, qui, depuis l'ouverture médiatique de 1990, sont,pour la plupart, des Algériens .