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La Casbah et Santiago de Cuba, de fervents hommages

par Farouk Zahi *

Qu'ont-ils donc de commun, ces deux personnalités exceptionnelles, l'une du monde politique et l'autre du monde lyrique national qu'ont été Fidel Castro « El Comandante » et Amar Ezzahi, « El Meqnine » (char donneret) de la Casbah ? Une brûlante actualité les a faits découvrir ou redécouvrir à des milliers de fans, d'admirateurs, de fidèles, d'inconditionnels et pourquoi pas de rivaux déclarés ou tapis dans l'ombre. Jeunes, vieux, femmes et enfants pleuraient à chaudes larmes au passage de leurs cortèges funèbres sobres et dignes. Hommes de conviction, ils ont tous deux, défendu crânement leur idéal humaniste chacun à son échelle.

En dépit de sa disparition, le Barbudo de la Sierra Maestra qui a bravé pendant plusieurs décennies le pays de l'Oncle Sam en usant plus de dix présidents, suscite encore des inimités déclarées ou savamment enrobées de vernis diplomatique du monde occidental. N'étaient présents à ses funérailles officielles qu'Alexis Tsipras, Premier ministre grec et Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie française. Par sa présence, le jeune homme d'Etat hellénique se démarque ostensiblement de cette : « Europe en décomposition » selon ses propres termes, faisant ainsi un pied de nez à ceux là mêmes qui ont tenté d'affamer son peuple. Courageuse, Ségolène Royale emboitant le pas à son président de la République et ex compagnon François Hollande qui osera cet aveu tardif, mais méritoire : « Cuba a subi un blocus injuste ! » appuiera sur le trait avec cette inattendue déclaration de la part de dirigeants français généralement alignés sur les USA : « Grace à Fidel Castro, les Cubains ont récupéré leur territoire, leur vie, leur destin. Ils se sont inspirés de la Révolution française sans pour autant connaitre la terreur qu'il y a eue pendant la Révolution française ». Il y aura, évidemment et comme toujours, des contempteurs pour s'offusquer d'une telle déclaration en France et en Floride où de séditieux intellectuels cubains font dans la résistance dorée.

En matière de droits de l'Homme, les USA et les pays affidés sont mal placés dans le registre, eux qui trainent les casseroles d'Abou Ghrib et Guantanamo pour ne citer que ces deux exemples. En boycottant le deuil national cubain, les dirigeants européens, ne font que confirmer leur inféodation à la politique américaine pro sioniste qui les fait tous ameuter pour les obsèques d'un criminel de guerre éthnocidaire dénommé Shimon Pérès.

En dépit de toutes les tentatives de déstabilisation politique et de suppression physique du « El Lider Maximo », ce petit pays insulaire a su démontrer et dans les faits sa perception des droits de l'homme dans le vivre-ensemble apaisé de deux communautés que tout prédestinait à être antagonistes de par, et la couleur de la peau et l'origine ethnico-culturelle, dans un système éducatif égalitaire et performant, un système de santé qui fait l'admiration des nations. Faute de ressources naturelles rentières, l'ile de la Liberté mettait en avant la ressource humaine qu'elle exporte, notamment ses médecins et son savoir faire dans les biotechnologies médicales vers l'Afrique dont l'Algérie et l'Amérique Latine. Les indicateurs sanitaires obtenus, rivalisent avec les pays les plus avancés de la planète et les surclassent parfois.

Les médias-mensonges occidentaux, n'ont pas hésité lors de la couverture des funérailles du président défunt, d'aller fouiner pour débusquer quelques scoops morbides tels ce jeune chômeur qui dit attendre son heure pour quitter ce « foutu » pays ou cette jeune femme médecin qui dit que son salaire ne dépasse pas l'équivalent de 20 USD. En matière de bide informationnel, on ne fait pas mieux.

Ce monument de l'histoire, à cheval sur deux siècles, a vécu simplement auprès de son peuple qui le lui rend bien en s'amassant sur le parcours du sobre cortège funèbre tout au long du millier de kilomètres qui sépare La Havane de Santiago de Cuba, berceau du leader charismatique qu'aura été Fidel Alejandro Castro Ruz. Dans la symbolique, cet ultime parcours aura été le cheminement inverse de la révolution cubaine qui avait pris son départ de Santiago de Cuba là où sera inhumé le défunt président. Une fin de parcours flamboyante et c'est le moins qu'on puisse en dire. Simple dans sa mort comme dans sa vie, l'urne funéraire contenant ses cendres était posée sur un simple tombereau tracté par une prosaïque jeep militaire. La garde d'honneur en tenue d'apparat, ne comptait pas plus qu'un quatuor d'éléments. Para siempre Hombre ! En guise de testament, il ne laissera que cette recommandation qui fera l'objet d'un texte de loi où il sera interdit à quiconque de baptiser en son nom une rue ou d'élever une statue en hommage à sa personne. Ainsi, les pourfendeurs du culte de la personnalité en auront pour leur compte. Presque simultanément et à plus de 8.000 kms à vol d'oiseau, Alger, autre sanctuaire révolutionnaire, inhumait son « Meqnine » (chardonneret) Amar Ait Zai et dont le nom de scène lui fut suggéré par le célèbre compositeur Kamel Hamadi. Né près d'Ain El Hammam en Kabylie en 1941 ; âgé à peine de 6 ans, le petit Amar s'installera avec sa famille à Bab-El-Oued, le mythique quartier populaire d'Alger. A l'époque, la Casbah pulsait sous le charme des fêtes familiales animées par El Hadj M'Hamed El Anka, Cheikh M'Rizek, Khelifa Belkacem, Cheikh Mekraza, Cheikh Menaour et bien d'autres aussi talentueux qu'autodidactes. Les chœurs féminins de Meriem Fekkai El Biskria et de Fadléla Dziria, ne sont pas en reste. Le jeune prodigue fourbira ses vraies armes dès sa rencontre, en 1963, avec Cheikh Lahlou et Mohamed Brahimi dit cheikh Kebaili. Son premier auditoire sera constitué de Boudjema El Ankis et cheikh Mékraza lors d'un interlude d'une fête familiale qu'animaient les deux stars de l'époque. La surprise pour El Ankis fut grande, la voix de son jeune alter égo était de la même tonalité que la sienne jusqu'à s'y méprendre. A partir, de ce jour, une nouvelle étoile brillera de milles feux dans le firmament fermé de la chanson citadine algéroise.

Sa rencontre, en 1968, avec Mahboub Bati, le maitre du renouveau chaabi par la chansonnette, le consacrera durablement avec deux titres de son premier microsillon : Djahalt Koul Sahab (prémonitoire de sa réclusion) et Ya el Adraâ. Cette dernière sera reprise, plus tard, par Lili Boniche et Enrico Macias. Faite d'interruptions et de reprises, sa carrière artistique se fera en dents de scie échappant ainsi, à tous les chausse-trappes du monde du spectacle. Son quatrième et ultime concert, en 1987, à la Salle Ibn Khaldoun mettra un terme définitif à ses productions scéniques. Il est fort probable que les émeutes d'Octobre 88 et les dérapages qui s'en suivirent dont son quartier en fut le principal théâtre, l'ont conforté dans sa conviction intime de se retirer de la scène publique et précipité sa décision. Son entourage immédiat du vieux quartier de la Rampe Louni Arezki (ex Rampe Valée), se souviendra toujours, de cet immense artiste qui a consacré, sa vie durant, à compatir aux malheurs des autres. Il distribuait ses revenus presque à la volée aux gens qui en avaient le plus besoin. Vivant simplement, il se contentait de peu. Pieux, sa vie évolua peu à peu vers un purisme ascétique où la khalwa soufie devint son crédo. Sa musique ira dans ce sens jusqu'au terme de sa vie. Refusant l'éblouissement des feux de la rampe, il déclinera toute invite à la popularité artistique, on dit même qu'il n'a jamais répondu à une demande d'entrevue introduite par la diva Ouarda him self. Assis sur un carton à même le trottoir de son quartier, il recevait, par contre, Cat Stenvens après sa conversion à l'Islam rapportent les chroniques du voisinage. En occultant le nom du chahid Louni Arezki, certains journaux arabophones couvrant les obsèques du défunt, donnaient ingénument au quartier son ancienne appellation coloniale par sa transcription en « Ranfalée ».(1) Unanimes, tous ses pairs reconnaissent en lui la maitrise jusqu'à la perfection de son art et sa totale disponibilité au service des plus humbles. Très affecté, Réda Domaz parlera quant à lui, de la disparition « d'un précepteur et d'un interlocuteur courtois en soulignant la dimension de cette perte pour la culture algérienne d'un artiste dont le silence et la discrétion valaient plus que tous les discours ». Le consensus général fait autour de cette personnalité d'exception qui force l'admiration et le respect, nous amène à dire pour notre part : Si El Hadj M'hamed El Anka a été sacré « Cardinal » du chaabi, Amar Ezzahi ne peut être que son « Muphti ».

Amimar, affecteux surnom donné par ses intimes, déclinait toutes sortes de gratifications, quelles soient publiques où privées. A l'instar de Diogène qui disait à Alexandre le Grand lui proposant ses faveurs : « Ecarte toi de mon soleil ! », Amimar, demeurait digne et altier. Acceptant, probablement, à contre cœur son transfert médical à l'étranger décidé par les pouvoirs publics, le chantre des pauvres et des laissés pour compte, utilisa une clé secrète pour s'y soustraire en tirant sa révérence. Sacré Amimar ! De mémoire d'Algérois, en ce jeudi 1er décembre 2016, à part les obsèques des chefs d'Etat, aucun autre cortège funèbre n'a vu une foule aussi compacte s'étirer sur une aussi longue distance qui sépare Darbouz Louni des hauteurs d'El Kettar. Venus de toutes les régions du pays et d'Outre Méditerranée, des hommes politiques, des mélomanes, des admirateurs ont fait le déplacement pour rendre un hommage appuyé à ce digne fils du peuple. Une anti-idole de la trempe de Dylan ou de Moustaki, ne meurt jamais quand elle est portée dans les cœurs. Castro et Ezzahi, si éloignés et si différents réussissent après leur mort à fédérer des hommes et des femmes de divers statuts et horizons et que rien ne prédestinait à être évoqués dans un hommage unanime, sont cette catégorie d'hommes qui ne fait prévaloir aucun ascendant d'opulence ou de puissance matérielle. Seule, l'affection respectueuse que leur vouent les petites gens les inscrira dans l'immortalité si ce n'est déjà fait. A méditer !

(1) Sylvain-Charles Valée, né le 17 décembre 1773 à Brienne-le-Château (Aube) et mort le 15 août 1846 à Paris1, est un général français du Premier Empire, anobli par Napoléon, gouverneur général d'Algérie de 1837 à 1840.(Wikipédia)