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Des amis bien encombrants

par Abed Charef

Ali Haddad n'est pas indispensable au pouvoir. Mais être dans la proximité du pouvoir est indispensable à la survie du patron du FCE.

Le cycle Ali Haddad a-t-il trop duré ? Si on se fie aux rapports que le président Abdelaziz Bouteflika entretient avec son entourage, la chose paraît évidente. Le patron du FCE se trouve dans la proximité du cercle présidentiel depuis plus d'une décennie. Autant dire une éternité. Comment a-t-il duré aussi longtemps, alors que sa présence n'est pas indispensable au chef de l'Etat ?

Le président Bouteflika a une méthode bien à lui pour gérer les hommes qui ont accepté de se mettre à son service ou qui ont eu l'illusion de nouer avec lui une alliance. Il les met en compétition, leur montrant qu'ils sont interchangeables. En aucun cas, il ne tolère un égal. Quand cela se présente, comme ce fut le cas avec le général Toufik Mediène, il manœuvre, organise un travail de sape, et il patiente jusqu'à ce que le fruit soit mûr.

Pour les autres, ceux qu'il considère comme n'ayant pas le même rang que lui, Bouteflika les attire, les flatte, en tire ce qu'il peut, avant de les éjecter s'il juge qu'ils ne sont plus utiles. Il peut même les rappeler s'il l'estime nécessaire, mais dans ce cas, les jeux sont faits : il sait à l'avance à quoi s'en tenir.

Interchangeables

Durant son premier mandat, le président Bouteflika avait traité avec feu Mohamed Lamari, le général Larbi Belkheïr et le général Toufik Mediène. Les deux premiers ont duré un mandat. Son directeur de campagne de 1999, devenu ensuite secrétaire général de la présidence puis Premier ministre, Ali Benflis, a duré encore moins longtemps. Moins d'un mandat. Mais ces hommes ont tous contribué, chacun à sa manière, à préparer le terrain au second mandat de M. Bouteflika. Mohamed Lamari a dit, dans les coulisses, qu'il s'opposerait au maintien du président Bouteflika ; Larbi Belkheïr est resté discret, mais il n'en pensait pas moins ; Benflis s'est carrément porté candidat contre lui. Ils ont pourtant tous joué la même partition: ils ont donné au président Bouteflika le minimum de crédibilité dont il avait besoin.

Entretemps, Abdelaziz Belkhadem avait remplacé Ali Benflis dans la proximité de Bouteflika, et le général Gaïd Salah avait remplacé Mohamed Lamari. A une différence près pour Gaïd Salah : il avait été auparavant poussé vers la sortie, et il devait sa résurrection au président Bouteflika. Il était donc apte au combat, en vue de la nouvelle bataille que préparait le chef de l'Etat: se débarrasser du général Mediène. Dans la foulée, Ammar Saadani, auparavant tombé en disgrâce, était rappelé pour éliminer Belkhadem, de la même manière que Belkhadem avait contribué à éliminer Benflis. C'est donc la même mécanique qui se met en place, de manière cyclique, donnant l'illusion d'une bataille politique, alors qu'il s'agissait d'une machine qui tournait à vide.

Cycles longs et cycles courts

Quelle est la durée de vie moyenne de tous ces seconds couteaux? Si on exclut les deux poids lourds, Toufik Mediène et Gaïd Salah, qui ont survécu trois mandats chacun, les autres ont en moyenne tenu un mandat. Certains, comme Ouyahia et Saadani, ont connu une traversée du désert, plus ou moins longue, mais ils ont bien compris qu'ils n'étaient pas indispensables, et ont accepté de jouer un rôle différent dans chaque cycle.

Quant à Ali Haddad, il s'est rapproché du cercle présidentiel durant le second mandat, pour en devenir un des hommes qui comptent durant le troisième. Il s'est alors imposé à la tête du FCE, pour apparaître comme l'un des grands financiers de la campagne du quatrième mandat.

Ceci n'est pourtant qu'une illusion. Ali Haddad n'est d'aucune utilité pour le président Bouteflika. Celui-ci sait qu'en Algérie, quand on est au pouvoir, l'argent n'est pas un problème. Ce que M. Ali Haddad peut apporter comme finances n'est que de la petite monnaie, comparé à ce qui est peut-être mobilisé: sur les seuls contrats avec l'italien ENI, Farid Bedjaoui aurait perçu près de deux cents millions de dollars. Que faire de l'argent de Ali Haddad quand le ministre du Commerce reconnaît que l'exportation illicite de devises frôle les vingt milliards de dollars ?

Hégémonie

Ali Haddad n'est donc pas indispensable au président Bouteflika. Si c'était le cas, il était plus profitable au pouvoir de garder dans sa proximité Issaad Rebrab, qui a une surface financière plus étoffée et une image bien meilleure. A l'inverse, vivre à proximité du pouvoir est indispensable à Ali Haddad, qui n'a pas encore l'assise nécessaire pour voler de ses propres ailes. Il reste trop dépendant de la commande publique et des privilèges qu'elle offre. Et comme M. Haddad a dépassé la durée normale du cycle de vie auquel il devait s'attendre, il est mûr pour décrocher.

Pourquoi, dans des conditions aussi défavorables, a-t-il choisi de tenter le diable lors du forum africain sur l'investissement? Maladresse et amateurisme n'expliquent pas tout. Il y a peut-être une nouveauté dans le système politique algérien : il n'y a plus d'arbitre. Car en situation normale, l'arbitre n'a pas besoin d'intervenir pour trancher. Chacun connaît ses limites, et chacun sait qu'il y a un prix à payer en cas de dépassement. Ali Haddad n'a pas respecté cette règle.

Ce qui se passe depuis quelques moins donne le sentiment que l'arbitre n'est plus écouté, qu'il n'a plus les moyens d'imposer son autorité, ou que des joueurs ne s'estiment plus concernés par les sanctions qu'il pourrait prononcer. Dans le système politique algérien, cela a une signification : un nouveau clan est en passe d'imposer son hégémonie aux autres clans. Avec ou sans Bouteflika ?

La réponse n'a évidemment aucun intérêt. Car quelle qu'elle soit, elle ne changerait rien à la vie politique du pays. Il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler que rien n'a changé après le limogeage de Betchine, Benbaïbèche, Larbi Belkheïr, Belkhadem, Chakib Khelil, Toufik Mediène et tant d'autres.