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Démonétiser les billets de 1000 et 2000 dinars

par Mourad Benachenhou

La Loi des Finances est le document législatif fondamental qui décrit de manière détaillée les ressources financières- essentiellement fiscales- que l'Etat s'autorise à mobiliser en vue de couvrir les dépenses qu'il doit effectuer, du fait de ses responsabilités exercées au nom du Peuple qu'il gouverne.

La Loi des Finances : Un document politique fondamental

Ce texte législatif n'est pas un simple document comptable, une sorte de prévision de recettes et de dépenses, dont l'objectif unique serait de garantir la transparence dans l'origine et l'utilisation des ressources publiques. Il ne s'agit pas également de veiller, à travers cette compilation comptable, à la sacro-sainte règle d'équilibre entre recettes et dépenses, à laquelle doit obéir tout bon gestionnaire, qu'il soit public ou privé.

La Loi des Finances est loin d'être seulement un outil de saine gestion des finances publiques, si indispensables pour la continuité de l'Etat, et pour le maintien de la paix et de la stabilité dans le pays. C'est d'abord et avant tout un document politique, qui reflète non seulement l'unité et la pérennité de l'Etat, mais également les orientations sociales et politiques des gouvernants, et leurs engagements envers la communauté nationale dont ils ont la responsabilité. La nature des dépenses publiques prévues dans ce document, leur mode de financement et d'exécution ne sont pas uniformément définis sur la base de normes de nature essentiellement financière ou comptable, et fixées une fois pour toutes. Les conditions politiques du moment, tout comme les circonstances sociales et économiques présentes au moment de la préparation de ce document, trouvent leur reflet dans son élaboration comme dans son contenu. De même, n'en sont pas absentes les considérations d'intérêts propres à telles ou telles fractions de la population dont le pouvoir en place veut s'attirer l'appui, ou consolider l'alliance qui le lie avec lui.

Il n'y a pas de loi des finances neutre, absolue et éternelle dans son contenu que dans la structure de ses aspects strictement comptables d'enregistrement des projections des recettes et dépenses publiques.

Des commentaires tournant autour des aspects comptables de la Loi des Finances

Cependant, trop souvent, les commentaires qui tournent autour de la loi des finances mettent l'accent sur ce dernier aspect. On se demande avant tout comment l'Etat, face à une conjoncture économique difficile, caractérisée par une baisse sensible de ses recettes fiscales pétrolières, peut combler le déficit budgétaire dicté par les impératifs d'engagements sociaux permanents ou de dépenses d'infrastructure s'étalant sur plusieurs années fiscales, et trop importantes pour être simplement annulées.

En analyse finale, l'Etat, par la structure des recettes et des dépenses prévues dans la loi des finances, révèle es orientations politico-sociales : va-t-il continuer à mener une politique déterminée en matière de protection des couches les plus démunies de la population ? Va-t-il favoriser la classe des nouveaux riches qui vivent de la rente pétrolière distribuée à travers les canaux des marchés publics , et les exonérations fiscales, qui, selon les autorités officielles, s'élèveraient à 450 milliards de dinars par an ? Va-t-il faire porter par le contribuable les pertes énormes, estimées officiellement à prés de 800.000.000.000 de dinars, liées à des politiques de privatisations plus ou moins mal conduites ? Va-t-il chercher à distribuer de manière équitable entre les différentes couches sociales la charge supplémentaire d'impôts dictée par la perte de plus de cinquante pour cent des recettes fiscales en provenance du secteur des hydrocarbures ? Ce sont des questions auxquels a déjà répondu la Loi des Finances pour 2017, actuellement en discussion avancée au niveau de la seconde Chambre législative.

Une loi des finances socialement engagée

Il n'est pas question, dans ce bref écrit, de tenter de proposer une analyse fouillée d'un document particulièrement complexe, tout en soulignant que le projet social, qui est le fondement et la seule raison du maintien, du système politique actuel, est pris en charge, que ce soit le soutien aux prix des produits de première nécessité, ou l'aide au logement social, les dépenses de santé universelle, ou la scolarisation obligatoire et gratuite, comme la gratuité de l'enseignement supérieur.

Donc, à première vue, on ne peut pas reprocher à ce projet de Loi des Finances de signaler la fin de l'Etat social que promet le nom officiel de notre pays. Mais, à y regarder de plus près, on constate que la technique de couverture fiscale entrainée par la moins-value des divers impôt pétroliers, repose essentiellement sur la fiscalité indirecte, qui, par définition, est inégalitaire, car elle frappe plus les petites bourses, et les personnes à revenu, fixe, salariés du secteur public comme du secteur privé, que les groupes à revenus élevés et exerçant des métiers leurs permettant de répercuter ce type d'impôts sur leurs clients.

Les impôts indirects, des impôts régressifs par nature

Comme le savent tous les experts fiscaux, l'impôt sur la consommation qu'il se présente sous forme de taxe à la valeur ajoutée ou de taxes ad valorem spécifiques à telle ou telle matière fiscale, est régressif, c'est-à-dire que son poids est inversement proportionnel au revenu du sujet fiscal. Plus le revenu est bas, plus le poids de la ponction fiscale est lourd, et, inversement, plus le revenu est élevé, plus ce poids est léger. On ne peut pas dire que ce type d'impôts soit particulièrement équitable, puisqu'on aboutit au paradoxe que plus le contribuable est pauvre, plus lourd sera le montant de son revenu qu'il devra utiliser pour se libérer de cet impôt auquel il est difficile d'échapper, par définition.

Donc, les plus riches, qui ont déjà la base de revenu leur permettant de s'acquitter de ce type d'impôts sans trop en souffrir, ont, de plus, la possibilité de le répercuter sur les contribuables les plus pauvres, en intégrant l'augmentation prévue par la Loi des Finances, sur le prix du bien ou service qu'ils vendent. Ainsi les plus pauvres se trouveront doublement pénalisés, par la charge d'un impôt indirect plus élevée, et par un prix des produits imposés plus haut.

Le soutien des prix et les impôts indirects bénéficient aux plus riches

On pourrait être tenté de mettre en avant le maintien du système de soutien des prix des produits de base ou de l'accès au logement, qui, d'après des calculs tant du FMI que des autorités publiques, représenteraient 13,5 pour cent de la création annuelle de richesses, telle que reflétée par l'agrégat : Produit National Brut.

L'argument de la compensation de cette augmentation de la charge fiscale indirecte, qui pèse sur les personnes à faible revenu, par les dépenses sociales consenties à son profit dans la Loi des Finances, apparaitrait comme frappé de bon sens. Le problème est que par le mode d'administration de ces subventions , ceux qui en bénéficient le plus, puisque tout le monde y a accès quelque soit son niveau de revenu, sont les couches les plus aisées. Un encadré du dernier rapport du FMI, dans le cadre de la consultation prévue par l'article IV de sa charte, démontre le caractère régressif de ces subventions, qui profitent plus à ceux qui sont capables de consommer plus des produits définis comme de première nécessité. De plus, et ceci est rarement, si ce n'est jamais mentionné par ceux qui le critiquent, et en font la source de tous les maux budgétaires et financiers du pays, ces subventions constituent une aide aux salaires, dont profitent d'abord et avant tout , les employeurs, aide qui vient s'ajouter tant aux exonérations fiscales dont ces derniers bénéficient, comme « investisseurs »(voir le site de l'Agence Nationale de Développement de l'Investissement pour plus de détails), sans compter les dissimulations d'actifs et de revenus, dans lesquelles beaucoup de ces nouveaux riches sont passés maitres.

Ces subventions permettent- et on pourrait même écrire : encouragent- les employeurs privés à réduite au maximum les salaires qu'ils donnent, quand ceux-ci sont déclarés (et les difficultés des caisses d'assurance sociale à faire payer les contributions patronales sont là pour le prouver). Ils ajoutent, virtuellement, si ce n'est dans leur raisonnement, ces subventions aux salaires qu'ils versent et que les employés acceptent car ils sont assurés de pouvoir se payer le pain, le lait, le sucre, le logement, les soins, l'éducation pris en charge par un état particulièrement généreux.

Donc, en analyse finale, ce sont les plus riches qui tirent encore plus de bénéfices des aides sociales de l'état, doublement, parce qu'eux-mêmes et leurs enfants en profitent, et parcequ'ils peuvent maintenir au minimum les salaires qu'ils distribuent sans que leurs salariés réagissent. Ainsi l'Etat garantit aux plus riches la paix sociale et l'accroissement de leur richesse, sous le couvert de l'aide aux couches les plus pauvres de la population. Et par la structure de la fiscalité qu'elle prévoit, cette nouvelle Loi des Finances accable le pauvre et enrichit le riche, et donc, alourdit la charge fiscale des plus démunis, auxquels elle fait rembourser une partie du soutien des prix qui sont supposés leurs bénéficier, et allège la charge fiscale des plus riches, sans leurs demander en contrepartie une contribution supplémentaire pour financer les dépenses publiques.

Des efforts d'austérité exigés des salariés et non Imposés aux plus riches

Dans le contexte de difficultés budgétaires temporaires ou permanentes, d'autres pays ont frappé d'impôts exceptionnels les classes les plus riches (on pense à l'impôt sur les richesses en France, ou la conribution exceptionnelle imposée par feu Hassan II pour la construction de la mosquée de Casablanca.

Nos riches reçoivent, au contraire, un double cadeau de la part de l'Etat, ce qui est le comble du paradoxe fiscal, ou de l'impéritie budgétaire, à moins que ce soit motivé par des fins politiques cachées. On va même jusqu'à laisser entendre qu'on va exiger des hauts fonctionnaires de l'Etat d'abandonner « volontairement » dix pour cent de leur budget, probablement sous la forme de l'infâme circulaire anti constitutionnelle de « Ouyahia » en 1996, qui a créé un impôt supplémentaire transformé ensuite en prêt. Et on n'exigera rien de ces nouveaux riches, qui doivent leur richesse non à leur génie des affaires, mais à leur capacité de dériver en leur faveur, du fait de leur proximité des centres de décision, une bonne partie de la rente pétrolière.

L'échec de l'émission d'obligations à effet fiscal libératoire

L'Etat a tendu la perche à ces nouveaux riches en leur demandant d'acheter des obligations bancaires en contre partie du payement d'une ponction de 7 pour cent sur les avoirs mobilisés ainsi. On connait les suites désastreuses de cette tentative de récupérer une partie de la masse monétaire amassée et maintenue hors circuit par ces ploutocrates cosmopolites. Croire que leur conscience morale va leurs donner des remords et qu'ils adopteront sans pressions une attitude plus citoyenne à l'égard de leurs obligations fiscales, constitue une vue de l'esprit que dément la structure de l'économie algérienne après prés de dix huit ans de libéralisation économique, qui a transformé le pays en vaste emporium de camelote en provenance de tous les coins du monde (y compris bien sûr Israël !) et dont les animateurs ont maintenant des ambitions « africaines. »

En conclusion : La seule solution restante : La démonétisation des grosses coupures

Une seule solution, certes radicale et périlleuses reste pour forcer ces nababs à remettre en circulation les liquidités qu'ils détiennent dans leurs coffres forts et leurs matelats, et qui contribuent à une inflation de plus en plus difficile à maitriser, avec les augmentations nouvelles des prix que déclanchera la mise en œuvre de la loi des finances 2017, et à alimenter la spéculation foncière et immobilière, comme le marché parallèle des devises et à permettre à certaines officines étrangères de ramasser des dinars à bon prix en prévision d'actions clandestines contre notre pays.

Cette solution est la démonétisation des billets de 1000 et 2000 Dinars Algériens , qui constituent le gros de la fameuse chkara, le moyen le plus répandu de transport de «la saleté du monde, » selon l'expression populaire . A rappeler que l'on estime à l'équivalent de 32 millards de dollars le montant des sommes liquides hors circuit bancaire

L'emprunt obligataire n'a pas marché. Les chances que ces chkaristes aient « peur de Dieu » et se soumettent, comme tout un chacun à leurs oblgations fiscales et jouent le jeu de la transparence dans leurs relations avec un Etat qui a été particulièrement généreux avec eux et a même cru qu'ils sauveraient notre économie, il ne reste plus que cette solution, si désespérée soit-elle.

En la mettant en œuvre, l'Etat pourra en même temps évaluer sa légitimité et le patriotisme de ces chkaristes qui se présentent en sauveurs de la République, et qui ne demandent en contre-partie qu'une seule « petite » chose : que l'Etat les rende encore plus riches en leurs abandonnant au dinar symbolique tout le patrimoine public !