Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Hasta siempre comandante !

par Abdelhak Et Yacine Benelhadj (1)

Patria o muerte !

La Havane. Vendredi 25 novembre, 22h29. Fidel au pouvoir pendant un demi-siècle et en une semi-retraite depuis 10 ans, s'éteint à l'âge de 90 ans. Aucun changement prévisible n'est attendu à Cuba aux lendemains des obsèques de « Leader Maximo ».

Tout avait déjà été préparé : Fidel intervient par à-coups, mais tout le monde sait, lui en premier, qu'il est institutionnellement mort depuis 2006.

L'affaire cubaine aurait dû rester une banale histoire de décolonisation. En effet, contrairement à la plupart des pays d'Asie et d'Afrique, à l'exception de quelques uns (l'Egypte en 1922), les pays d'Amérique du Sud ont acquis leur indépendance pour la plupart d'entre eux au XIXème siècle : l'Argentine (1816), le Chili (1818), Brésil (1822), la Colombie (1823)? l'île va être happée à la fin des années 1950 par un conflit mondial qui dépasse largement les limites de l'histoire et de la géographie de ce minuscule pays (110 000 km², 11 millions d'habitants).

Longtemps Cuba ne fut qu'une proie, théâtre de nombreuses guerres entre l'Espagne et les Etats-Unis. En 1868 plusieurs bateaux américains débarquent à Cuba avec des armes et des volontaires, dont de nombreux vétérans de la guerre de Sécession sur lesquels les Espagnols remportent une victoire sanglante. En 1898, l'intervention américaine sera plus heureuse. Les Etats-Unis occupent l'île qui ne déclarera son indépendance très relative qu'en 1902. L'amendement Platt (sénateur US) place Cuba sous protection constitutionnelle et économique américaines. La base de Guantanamo (ainsi que celle de Bahía Honda) hébergent une flotte américaine.

Un traité en 1903 établi entre les deux pays régit les conditions du « bail » de location de cette parcelle de 120 km2 à l'extrémité sud-est de l'île, sans limite de temps, et au prix dérisoire de «deux mille dollars en monnaie d'or des Etats-Unis ». La somme a été portée à 4 085 dollars en 1934. C'est le montant du chèque versé chaque année depuis par les Etats-Unis pour la base navale. Mais F. Castro a mis un point d'honneur à ne jamais l'encaisser, sauf une fois, par erreur.

Il en est de l'indépendance formelle, comme la démocratie représentative et le spectacle de ses grandes messes électorales. L'Espagne et le Portugal partis, la place est immédiatement occupée par les Etats-Unis.

Des entreprises américaines reprennent à leur compte l'exploitation des richesses du continent dans des conditions sociales qui provoqueront de régulières révoltes auxquelles répondent d'impitoyables répressions.[2]

La décolonisation coïncide avec la recolonisation (ou la néo-colonisation si l'on préfère). Le 2 décembre 1823, le président américain républicain James Monroe énonce les principes de la nouvelle politique étrangère américaine, formant une doctrine qui portera son nom pour tout le XIXème et le XXème siècle :

? l'Amérique du Nord et du Sud ne sont plus ouvertes à la colonisation ;

? toute intervention européenne dans les affaires du continent sera perçue comme une menace pour la sécurité et la paix ;

? en contrepartie, les États-Unis n'interviendront jamais dans les affaires européennes.

Ce dernier principe sera évidemment une promesse de Gascon. D'abord avec Théodore Roosevelt au tout début du XXème siècle, le lointain cousin républicain du démocrate Franklin, ensuite avec le président W. Wilson qui très vite élargira virtuellement à toute la planète l'espace de sécurité américaine [3]. Dès 1917 avec la participation des armées américaines, dirigées par le Général Pershing, au cours de la 1ère Guerre Mondiale, Washington est clair : la Doctrine Monroe est universalisée et ne souffrira aucune frontière.

 C'est pourquoi les peuples d'Amérique du Sud comprennent très vite qu'ils n'ont en fait que changé d'oppresseurs. Avec collaboration active des bourgeoisies locales et des castes militaires dont de nombreux officiers ont été formés à West Point. C'est aussi pourquoi l'histoire de l'Amérique Latine est une succession de coups d'Etat. La Bolivie détient en cela un record mondial : 160 coups d'État depuis l'indépendance en 1825.

Fidel Castro communiste ?

On ne comprendra rien à la révolution cubaine si l'on ne la tient pas d'abord pour une libération nationale. Le 21 avril 2006, une journaliste suisse, Silvia Cattori, interrogeait Ahmed Ben Bella qui a eu des relations étroites et même fusionnelles avec Cuba et ses dirigeants. La réponse qu'il lui avait apportée, F. Castro aurait pu la faire sienne (arabité et islam mis à part) :

Question : Êtes-vous marxiste ?

Réponse de Ben Bella : Je ne suis pas marxiste, mais je me situe résolument à gauche. Je suis arabe musulman, orienté très à gauche dans mon action, dans mes convictions. C'est pourquoi, même si je ne partage pas la doctrine marxiste, je me suis toujours trouvé aux côtés de tous les mouvements de gauche dans le monde et des pays socialistes qui, comme Cuba, la Chine, l'URSS, ont mené le combat anticolonialiste et anti-impérialiste. C'est avec eux que nous avons constitué un front de libération et apporté notre appui logistique aux armées populaires pour aider leurs pays à sortir du colonialisme et instaurer un régime intérieur national. C'était la phase de liquidation du colonialisme.[4]

Débandade à la Baie des cochons

Ordinairement, Washington compte sur les castes militaires indigènes pour organiser les coups d'Etat et pronunciamientos lorsque les circonstances l'exigent. Mais lorsqu'un pays renverse les dirigeants qu'elle a installés pour lui (et surtout pour elle), l'Amérique intervient directement ou par le biais de troupes supplétives pour y « remettre bon ordre ». Et c'est ainsi que Batista arrive au pouvoir en 1952 à Cuba et exécute 20 000 opposants. Les exemples ne manquent pas tout au long du XIXème siècle, en Amérique Latine et dans le monde. Ces interventions se multiplient au cours du XXème siècle. La guerre au Viêt-Nam terminée en débâcle fin-avril 1975 a fait près de 4 millions de victimes. Le 11 septembre? 1973, le général Pinochet a été chargé de liquider la démocratie au Chili. En octobre 1983 R. Reagan ordonne l'invasion de Grenade et met fin au « gouvernement révolutionnaire du peuple », régime « d'orientation » communiste en place à la Grenade depuis 1979. La fin de la « Guerre Froide » n'a pas mis fin aux guerres et aux interventions militaires américaines dans le monde, bien au contraire : Selon les contextes, GI's et bombardements ici, drones furtifs là, de la subversion discrète ailleurs.[5]

Lupanar flottant pour riches américains qui y passent leurs vacances hivernales au moment où le Nord-est et le Middle-west tremblent sous le frimas, Cuba possède un climat amène et une position géographique avantageuse pour le contrôle de la mer des Antilles et du Canal de Panama. Dans les années 1930, l'hôtel Nacional est le quartier général de Lucky Luciano et Meyer Lansky où l'establishment cubain, hommes d'affaires, politiciens et généraux, côtoient les américains fortunés et influents, des stars du cinéma. Les mafias installées à la Havane sont les mêmes qui ont financé les campagnes de H. Hoover et F. Roosevelt. Joseph Kennedy (ambassadeur US à Londres pendant la guerre) a eu aussi recours à leur concours pour l'élection de son fils John. La production agricole (sucre et tabac surtout) et sa commercialisation bénéficient aux riches familles cubaines et aux transnationales américaines.

Le 1er janvier 1959 - des révolutionnaires cubains renversent le dictateur Fulgencio Batista garant des intérêts américains. Fidel Castro et ses troupes s'emparent du pouvoir à La Havane, remettant ainsi en cause l'hégémonie de Washington sur le continent américain. Il n'est pas question de tolérer qu'un régime subversif vienne narguer la première puissance mondiale à 150 km de ses côtes. Deux décisions vont déterminer Washington à intervenir à Cuba.

Le 03 janvier 1961 - Répondant à l'interdiction d'acheter des produits agricoles cubains vitaux pour l'économie de l'île, La Havane nationalise les entreprises appartenant à des Américains, dont l'omnipotente bananière United Fruit Co qui va tout faire pour « corriger » les Cubains qui ont osé la chasser de l'île. Les Etats-Unis rompent aussitôt leurs relations diplomatiques. Et cela durera 54 ans.

Le 16 avril 1961 - Fidel Castro déclare que sa révolution est socialiste. Un comble !

Le lendemain[6], 1.400 exilés anti-castristes (800 vétérans encore vivants qui crient à la traîtrise de Obama) appuyés par la CIA débarquent sur les plages de la baie des Cochons, à 250 km de La Havane, pour tenter de renverser le régime de Fidel Castro. Les combats font une centaine de morts dans chaque camp, et un millier d'anticastristes sont faits prisonniers. Un fiasco qui va avoir de graves conséquences et laisser des traces.

La crise d'Octobre 1962.

10 jours au bord du gouffre

On sait l'enjeu que représente l'île pour les Américains. On sait aussi que les Cubains savaient que leurs puissants voisins ne supporteraient pas et leur indépendance et encore moins la déroute de la Baie des cochons.

Qu'en est-il des soviétiques ?

Pendant des décennies, la « crise des missiles » a été présentée comme un épisode géré de main de maître par le président américain John F. Kennedy. Hollywood a été mobilisée pour que dans le « monde libre » l'issue de la crise soit tenue pour une humiliation des soviétiques qui ont cédé devant le courage entêté, l'intelligence et la force de la Maison Blanche. Et en matière de manipulation Kennedy et l'industrie cinématographique américaine savent y faire. Les archives déclassifiées bien après les événements décrivent une réalité bien différente.[7]

La crise des missiles s'est ouverte à Cuba. Cependant, vient de loin, à la fois dans l'espace et dans le temps. Elle ne représente qu'un théâtre de confrontation, parmi d'autres, entre Américains et Soviétiques.

Le président Eisenhower avait décidé de déployer des missiles en Turquie et en Italie menaçant directement le territoire soviétique. Ce sera à J. F. Kennedy, qui lui a succédé le 20 janvier 1961, d'assumer la pleine responsabilité du déploiement de 15 missiles Jupiter en Turquie et 30 autres en Italie.

Les deux conditions posées par l'URSS seront acceptées par les Etats-Unis en contrepartie du retrait par les Russes de leurs 50 000 soldats, trente-six missiles nucléaires SS-4 et deux SS-5 (ancêtres des SS20) ainsi que des quatre sous-marins dotées de torpilles dont on ne saura qu'elles étaient à ogives nucléaires que bien plus tard, en 2001 (Opérations Anadyr et Kamas).

A savoir, les Américains retireront de Turquie et d'Italie leurs missiles au cours de l'année 1963. Et surtout s'engageront à renoncer à toute agression militaire contre Cuba. Les missiles US seront retirés très discrètement et les Soviétiques tout aussi discrètement n'en feront pas publiquement état. A toute chose malheur est bon, un téléphone rouge fut inauguré pour une meilleure gestion des crises entre les deux pays.

Pour le cas où? Kennedy dépêche le 21 octobre dans le plus grand secret à Paris Dean Acheson (ancien secrétaire d'Etat de H. Truman et concepteur de la stratégie du Containment) et Sherman Kent (N°3 de la CIA) pour informer le Général de Gaulle et recueillir son soutien dans la crise, quitte à céder sur l'opposition à la bombe française. Les émissaires américains ont été très surpris par le soutien sans réserve du Général. Et surtout sans exiger la moindre contrepartie. Cet épisode devrait donner à réfléchir à tous ceux qui brandissent C. De Gaulle en exemple d'anti-américanisme primaire.[8]

Est-ce à dire que Washington n'a pas été tenté de donner un coup de canif à l'accord ? Des documents déclassifiés par les Archives nationales de la sécurité le 1er octobre 2014, 116 pages au total informent du contraire. En 1976, Henry Kissinger, alors secrétaire d'Etat américain, y a « sérieusement » songé dans conversation entre lui et le président américain de l'époque, Gerald Ford, avec une franchise toute américaine:

- « Je pense que nous allons devoir écraser Castro », lance Kissinger à Ford

- « Je suis d'accord », répond Ford.

« Si nous décidons d'utiliser notre puissance militaire, cela doit réussir. Il ne doit pas y avoir de demi-mesure », ajoute Kissinger, pensant à la Baie des cochons, qualifiant le président Fidel Castro d'« avorton ».

Des auteurs ont avancé l'hypothèse d'un lien causatif entre la crise de Cuba et l'assassinat de J. Kennedy à Dallas le 22 novembre 1963, un peu plus d'une année après la crise cubaine. Certes, tout le monde sait le soutien que la mafia a apporté à la famille Kennedy. D'autre part, la mafia cubaine de Miami n'a jamais pardonné à Kennedy son abandon de Cuba et son renoncement à soutenir sérieusement l'attaque de la Baie des Cochons. Mais le président américain avait tant d'ennemis qu'il serait bien imprudent de se fourvoyer dans les hypothèses sans données vérifiables.

Un exemple qui intéresserait des adeptes de la théorie du complot : Kennedy n'était pas chaud pour accroître l'engagement américain au Viêt-Nam. Or, la première décision de son vice-président qui lui a immédiatement succédé a été au contraire de l'accentuer. Et l'on connaît le poids du lobby militaro-industriel?

Depuis, Cuba exporte vers l'URSS cigares et sucre à des cours supérieurs aux prix mondiaux et achète de l'énergie à un prix inférieur à celui pratiqué sur le marché de Rotterdam. Cuba a pu sans menace existentielle continué son soutien aux mouvements de libération dans le monde : Vietnam, Angola, Mozambique, Afrique du sud?

On aurait tort de croire que tous les Américains étaient des anti-castristes. F. Castro y avait une image de guerrier intellectuel romantique que la propagande US avait du mal à maltraiter. Les combats pour la liberté en Amérique Latine inspiraient les artistes et les cinéastes.[9]

Fidel Castro a tenu tête à 11 présidents américains et survécu à (au moins) 5 tentatives d'assassinat. On aurait tort de croire que pendant la crise d'octobre, les Cubains sont restés passifs devant leur sort qui se jouait dans la confrontation entre les « Deux Grands ».

Entre-temps, le monde a changé de barbus. Et les barbus ont changé de camp.

Cuba en 1991. La misère économique du « communisme » cubain

Dès qu'il s'agit de « communisme » ou de « socialisme », les arguments brandis par ceux qui n'en partagent pas le choix sont presque toujours les mêmes. Economie d'indigence, technologies obsolètes, libertés limitées, individualisme étouffé?

Les images viennent en appui aux clichés.        Les voitures cubaines rouillées des années cinquante. Les locomotives au charbon de l'ex-RDA. Les biens d'équipement ménager primitifs des ménages russes d'avant 1991. Les réfugiés qui quittent en nombre ces paradis du socialisme?

Sir W. Churchill, anticommuniste raffiné, Nobel de littérature 1953, avait des mots d'esprit assassins, quand il évoquait les sociétés de l'autre côte du « Rideau de fer ». Goûtons et sourions à quelques uns de ses traits :

- En Angleterre, tout est permis, sauf ce qui est interdit. En Allemagne, tout est interdit, sauf ce qui est permis. En France, tout est permis, même ce qui est interdit. En U.R.S.S., tout est interdit, même ce qui est permis.

- Sous le capitalisme, les gens ont davantage de voitures. Sous le communisme, ils ont davantage de parkings.

- Le vice inhérent au capitalisme consiste en une répartition inégale des richesses. La vertu inhérente au socialisme consiste en une égale répartition de la misère.

Pourquoi donc les journalistes occidentaux ne vont plus dans ces pays maintenant ouverts à l'économie de marché et au jeu de la démocratie, pour y admirer la joie de vivre, la modernité et l'épanouissement des libertés ?

Hors contexte et hors sol, les démocrates de salon qui regardent l'île de Cuba à la jumelle, sortent les antiennes : grande misère, dictature, régime totalitarisme, libertés muselées?

Il faut garder à l'esprit des données élémentaires que le bavardage journalistique et les partis pris idéologiques ont tendance à estomper : Cuba, c'est un pays 90 fois plus petit et 30 fois moins peuplé que les Etats Unis, avec un PIB 250 fois plus faible.

La fin de l'URSS a porté un coup très dur à l'économie cubaine. Cuba s'est retrouvée sans aides et toujours sous un embargo abominable exercé sur elle par la première puissance militaire et économique mondiale.

Après la fin de l'Union Soviétique, ce n'était pas l'alcoolique Boris Eltsine à la tête d'un Empire qui se délabrait qui serait venu la secourir. Cependant, l'URSS a disparu en 1991. Fidel et le régime cubain est toujours là.

Ceux qui condamnent ce pays pauvre et son régime auraient sans doute voulu y trouver un niveau de vie similaire à celui de l'Europe ou des Etats-Unis.

Pourquoi ne pas se souvenir de la misère noire et de l'injustice que la population cubaine avait endurée sous Batista ?

Pourquoi ne pas faire des comparaisons plus pertinentes ? Par exemple, confronter le niveau social et économique de Cuba avec ceux des pays voisins, du Honduras, du Salvador, de Haïti, de Saint-Domingue ou encore du Guatemala.

Pourquoi ne pas évoquer le cas grec ou espagnol (l'ancienne puissance coloniale sud-américaine, aujourd'hui membre d'une Union prospère que beaucoup songent à quitter) où des ONG dénoncent ce jeudi 24 novembre l'état des millions de victimes de « misère énergétique » étranglées financièrement par les factures d'électricité (AFP, le J. 24/11/2016, 16:13). « Pour beaucoup de familles, l'eau, l'électricité ou le gaz sont des biens de luxe », explique Tere Bermudez, porte-parole à Barcelone de Caritas. « On se douche une fois par semaine, le vendredi, pour que les enfants soient propres le week-end » « Si moi, je dois avoir faim ou me retrouver sans lumière, ça va, mais les enfants... », dit-il.[10]

Les critiques ne manquent pas à propos des conditions de détention à Cuba. Mais on fait l'impasse sur les condamnations régulières par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme) des traitements que la France inflige à ses prisonniers.

C'est facile de pointer la pauvreté dans un pays du tiers-monde et refuser de voir les conditions de vie misérables dans les barriadas de Lima, les favelas de Rio les rues de Barcelone et même dans celles de New-York, de Philadelphie, de Detroit ou de Washington.

Pourquoi ignorer la dégradation catastrophique du niveau de vie dans les anciens pays communistes (la Roumanie ou la Bulgarie par exemple) qui appartiennent désormais au camp de la « liberté » otanisée, là où prolifèrent les mafias, la prostitution internationalisée, la corruption, le déclassement social, la fuite des compétences et surtout un creusement préoccupant des inégalités? En insistant sur l'indocilité des Ukrainiens du Donbass et l'immixtion supposée de la Russie dans les affaires intérieures ukrainiennes, on passe sous silence les graves atteintes au droit et aux personnes des œuvres d'un gouvernement de Kiev arrivé au pouvoir par un coup d'Etat.

La santé et l'éducation sont totalement gratuites à Cuba.

Il y a 50 000 médecins cubains en « missions » dans 66 pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine Au cours de la dernière décennie, Cuba a envoyé 30.000 médecins dans les quartiers pauvres du Venezuela, en échange de pétrole bon marché. Une pression très forte (on devine d'où elle provenait) avait été exercée sur la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, pour qu'elle renonce en juillet 2013 aux 6.000 médecins cubains médecins cubains qui devaient venir pallier aux déficiences de la santé brésilienne.

L'île possède un médecin généraliste pour 151 habitants à Cuba contre 1 pour 299, la moitié en France. Avec une espérance de vie moyenne de 79 ans, soit 11 ans de plus que la moyenne mondiale, Cuba arrive au deuxième rang en Amérique latine, derrière Porto Rico, selon un rapport de la CIA. Equivalent à celui des? Etats-Unis.

Ce pays consacre 12,6% de son PIB à l'éducation (2013). La meilleure éducation offerte en Amérique selon l'UNESCO. La Bolivie (6,4%) suit derrière, loin devant les États-Unis (5,6%), le Brésil (4,4%), ou le Chili (3,5%) qui ont fait le pari par ailleurs d'une éducation privatisée. Elle est aussi loin devant la plupart des pays européens : les vertueux pays du nord comme la Suède (7,4%) ou la Norvège (7,7%). La France, elle, n'affecte que 5,9% de son PIB à l'éducation.

En 1959, un enfant de 5 à 13 ans sur deux n'était pas scolarisé. Le taux d'analphabétisme était de 25%. Aujourd'hui, tous les enfants sont scolarisés jusqu'à 16 ans et le taux d'analphabétisme est résiduel, autour de 1 à 2%.

Sous Batista, Cuba ne comptait que trois universités publiques, 15 000 étudiants et 1 000 professeurs. Aujourd'hui, le pays compte 261 000 étudiants dans 67 établissements supérieurs, et 77 000 enseignants. (Le Grand Soir, 26 mars 2013)

Malgré ces performances, Cuba vit un embargo très sévère qui s'est accentué au fil du temps.

En 1992, sous l'administration Bush Sr., le Congrès des Etats-Unis a adopté la loi Torricelli qui donne aux sanctions contre Cuba un caractère extraterritorial, contraire à la législation internationale qui interdit à toute loi nationale de s'appliquer au-delà des frontières du pays. La loi Torricelli s'applique pour tous les pays du monde. Ainsi, toute entreprise qui commerce avec Cuba ne peut continuer de le faire avec les Etats-Unis.

En 1996, B. Clinton vote la loi Helms-Burton qui ajoute à l'extraterritorialité de la loi de 1992 un caractère rétroactif, ce qui est tout aussi contraire au droit international.

En 2004, sous Bush Jr. Washington créé la « Commission d'assistance à une Cuba libre » qui restreint les déplacements entre les Etats-Unis et Cuba.

Cuba produit 65% des médicaments consommés par ses habitants, mais doit encore importer ceux concernant le diabète, le VIH-sida ou le cancer. Par exemple, pour une chimiothérapie au Témozolomide, le traitement est exclusivement produit par un laboratoire américain. Et pour se procurer des médicaments sous licence aux Etats-Unis, le ministère cubain de la Santé est contraint de contourner l'embargo en passant par un pays tiers, ce qui fait grimper les prix... et les délais.

Observons que les règles auxquelles Cuba est ainsi soumises sont les mêmes au nom desquelles la BNP Paribas a été condamnée en mai 2015 à payer une amende de 8.9Mds?.

La BNP n'est pas une banque américaine et les activités qui lui sont reprochées ne se sont pas déroulées aux Etats-Unis. La justice US avait reproché à la banque le fait d'avoir contourné l'embargo US sur l'Iran, Cuba et le Soudan en utilisant des dollars pour les transactions qu'elle a assurées. Ces dollars sont compensables in fine aux Etats-Unis dans la mesure où ils sont gagés sur le PIB de ce pays, ultime contrepartie de la monnaie US en circulation. Arguments simples mais efficaces.

D'autres banques avant elle avaient subi un châtiment semblable, pour le même motif : En 2012, la britannique Standard Chartered et la néerlandaise ING.

Sur la base d'un jugement rendu à New York, en 2014, des « fonds vautours » US ont obtenu le remboursement très substantiel d'une dette achetée à vil prix sur le marché « gris ». Le recours du gouvernement argentin au tribunal international de la Haye n'a été jugé pertinent ni par Washington, ni par les agences de notation. Buenos-aires a payé, après avoir changé de gouvernement.

Cet embargo est régulièrement dénoncé par l'ONU. Mais les Américains n'en ont cure.

En octobre 2011, pour la 20e année consécutive, l'Assemblée générale de l'ONU a condamné l'embargo américain contre Cuba, avec les voix de 186 pays pour, 2 contre (Etats-Unis et Israël) et trois abstentions des trois petites nations du Pacifique : Iles Marshall, Micronésie et Palau.

En octobre 2013, l'Assemblée générale des Nations-Unis adopte pour la 22e fois une résolution demandant la levée de l'embargo commercial américain contre Cuba. Le texte a été voté par 188 pays sur les 193 que compte l'organisation. Les Etats-Unis et Israël comme avant ont voté contre. Palau, la Micronésie et les îles Marshall, se sont à nouveau abstenues.

Surprise en octobre 2016. Après la décision d'Obama en 2014 et sa visite à la Havane, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté mercredi à la quasi-unanimité de ses 193 membres une résolution réclamant la levée de l'embargo américain imposé à Cuba depuis 1962. Cette résolution annuelle a été adoptée par 191 voix. Les Etats-Unis et Israël, qui avaient toujours voté contre, se sont pour la première fois abstenus.

L'aide que lui prodiguent la Russie, le Venezuela, l'Iran ou l'Algérie est handicapée par la chute brutale et importante du prix des hydrocarbures initiée par les Etats-Unis avec la collaboration fidèle et prévenante des pétromonarchies.

Paris, capitale de l'anti-castrisme

Dans les années 60, les intellectuels et artistes français, de Jean-Paul Sartre à Gérard Philipe, se pressent à la Havane, fascinés par la révolution cubaine. En pleine guerre froide, Gérard Philipe est l'un des premiers à serrer la main de Fidel Castro en 1959, quelques mois après son installation à Cuba. L'acteur mort très jeune fut « le premier ami de la révolution à Paris », selon l'ancien directeur de l'institut cubain du cinéma, Alfredo Guevara. (AFP, le 10/05/2015, 23:34).

Cette époque n'est plus.

Tous les supplétifs hexagonaux de l'atlantisme, de l'anticommunisme primaire et du sionisme ont été forts marris lorsque dans le plus grand secret et dans leur dos, B. Obama a décidé de rétablir les relations de son pays avec la Havane. Ce n'était pas la première fois : B. Obama a procédé de la même (mauvaise) manière, dans ses négociation avec l'Iran ou lorsqu'il a abandonné le projet d'attaque de Damas au cours de l'été 2013.

A Paris, comme à Miami là où les anticastristes pullulent on a crié à la trahison. [11],

Pendant que l'Amérique Latine bolivarienne fabriquait des Fidel et des Guevara et, plus tard des Hugo Chavez, la France fabriquait des Aussaresses, des Torquemada de la gégène mis au service des Etats-Unis pour lutter contre la libération des peuples du continent contre la tutelle nord-américaine.[12]

Pris dans des querelles domestiques, des haines inextinguibles ont été entretenues jusqu'à aujourd'hui, J.-P. Sartre, objet d'une sévère animosité, a focalisé une part de ces passions, mis en opposition avec un bric-à-brac d'intellectuels « libéraux » : Aron, Camus, Foucault, une théorie de « néo-philosophes » et de « Reporters sans frontières »[13]?

Il fallait débarrasser la France des deux principaux acteurs de la Libération : le gaullisme et le communisme. Et en profiter pour alléger les bonnes consciences des bienfaits de l'œuvre coloniale des deux ou trois derniers siècles.

Aujourd'hui, cette tâche est bientôt complètement accomplie.

R. Debray l'a bien synthétisé dans « Mai 68, une contre-révolution réussie »[14].

F. Hollande haut sur ses ergots déclare : « Je ve ux, à l'occasion de la disparition de Fidel Castro, encore insister pour que l'embargo qui pénalise Cuba puisse être définitivement levé ». Que ne l'ait il exigé et réalisé pour ses entreprises (sous strict contrôle US, la BNP l'a chèrement payé d'une pénalité de plus de 9 Mds?) depuis longtemps ?

Il a fallu attendre que Obama donne son feu vert pour que l'opportuniste président français saute dans un avion pour la Havane, VRP pour le compte de nombreuses entreprises hexagonales inquiète de l'ouverture de l'île à la concurrence nord-américaine qui est pour une part à l'origine du revirement de la Maison Blanche.[15]

Et qu'enfin, le 12 avril 2014 pour que Laurent Fabius ait eu droit à un entretien d'une heure trente avec le président cubain Raoul Castro. Il était le premier chef de la diplomatie française à se rendre à Cuba? 31 ans après Claude Cheysson.

Pourquoi la France a-t-elle attendu que B. Obama l'autorise pour que le président français se déplace à Cuba en 2015 ?

Quand donc la France va-t-elle se soucier de sa souveraineté à l'égard de son grand et très pesant « allié » ?

Aux obsèques de F. Castro, B. Obama a refusé de se rendre. On le comprend. Fidel qui discerne le froid pragmatique qui se cache derrière le sémillant et souriant président démocrate américain, a refusé de le recevoir lors de sa visite en mars dernier. Le président « socialiste » F. Hollande et son premier ministre se sont abstenus à leur tour de se rendre à la Havane. Ce n'est pas grave. Personne ne s'apercevra de l'absence de la France et de ses dirigeants.

L'Algérie et Cuba. Une même cause non alignée vers l'indépendance nationale

L'Algérie a accédé à indépendance peu avant la crise de Cuba. Les deux pays ont cheminé ensemble sur une voie similaire, celle du non-alignement. Pour son indépendance nationale l'Algérie, moins exposée que Cuba ou la Palestine, s'est rapprochée de l'URSS et continue à ce jour d'équiper ses forces armées d'équipements achetés à la Russie de Poutine. Plus par nécessité et intérêts bien compris que par conviction idéologique.

Le socialisme algérien a vécu le temps d'un « redressement » et, très vite, très tôt, les moyens l'ont emporté sur les fins.

Ni la France, ni les Etats-Unis ne lui ont vraiment laissé le choix.

Ernesto Guevara effectua sa première visite en Algérie en juillet 1963. Il en effectua une autre en février 1965 à l'occasion de la tenue du Séminaire économique de solidarité afro-asiatique. Il prononça un discours le 24 février.

C'est à Alger que Guevara a été vu la dernière fois vivant, avant son assassinat en Bolivie le 09 octobre 1967.

Incidemment, grâce à lui, des centaines de Sahraouis sont partis à Cuba afin d'y recevoir une formation comme cadres politiques, d'autres comme étudiants et même des enfants pour faire leur scolarité sur l'île de la Jeunesse. Discrètement, l'Algérie est restée aux côtés de Cuba.

Après la révolution, le tourisme insulaire

Les révolutions ne durent que le temps incandescent de la confrontation. Les époques de larmes, de sang et de fer. Les âmes se serrent les unes contres les autres. Le dévouement et la solidarité sont des valeurs partagées par-delà les lois et les traités.

Lorsque vient la paix, les commémorations dégénèrent en rituels dénotés, le sens s'effiloche, au pied des monuments le troisième âge se réunit autour de ses souvenirs. Les compétitions juvéniles rassemblent les forces vives et amnésiques des nations et les préparent aux holocaustes suivants. Processus d'une affligeante banalité.

Des braises, il n'en reste que les cendres. La qualité des débats politiques de ces derniers mois renseigne les Algériens sur ce qu'ils ont hérité de l'histoire de leur libération.

L'entêtement des Etats-Unis à domestiquer un petit peuple jaloux de sa dignité a engendré à Cuba une révolution perpétuelle.

Les journalistes occidentaux sont scandalisés et en même temps fascinés par les nombreuses processions d'hommes, de femmes et d'enfants sincèrement endeuillés, qui se pressent pendant des heures devant un portrait et une urne. Pour se rassurer, comme en mars 1953, lors des funérailles de Staline, ils ont mis cette ferveur sur le compte d'une occurrence du syndrome de Stockholm.

On aura compris que le pire destin qui guette cette île serait de voir son puissant voisin devenir intelligent, lever son blocus, ouvrir les portes aux millions de touristes armés de leurs appareils photos et de leurs dollars pour acheter des breloques aux effigies de Fidel et du Che et batifoler dans l'eau translucide de la mer des Caraïbes.[16]

Que restera-t-il alors des souvenirs de Los Barbudos? Après Cuba de Batista ?

Note :

[1] Yacine, en compagnie de deux historiens, a parcouru pendant trois semaines l'île de Cuba au cours de l'été 2015.

[2] Voir « Actas de Marusia » film mexicain réalisé par le Chilien Miguel Littin, sorti en 1976. L'action se déroule dans le nord du Chili en mars 1925. Plus de cinq cents mineurs en grève ont été exécutés et leur village rasé.

[3] Cf. Son discours du 08 janvier 1918 devant le Congrès. Après T. Roosevelt en 1906, Wilson sera gratifié en 1920 d'un Nobel de la paix. J. Carter en 2002, puis B. Obama en 2009 seront à leur tout nobélisés. Jamais pays aussi belliciste (coupable d'un génocide des populations natives, le seul à avoir utilisé la bombe atomique contre des populations civiles) n'a été aussi consacré au service de la paix.

[4] En dehors des caricatures, peu d'ennemis du marxisme en connaissent les principes. Le pire est qu'autant de ses partisans n'ont jamais lu Marx. En sorte que les débats et les controverses relèvent plus des anathèmes que d'échanges rigoureux qui contribuent - par-delà les oppositions d'idées et d'intérêts - à la connaissance et au choix informé des citoyens. Comment peut-il en être autrement en une époque productiviste où le savoir dégénère en protocoles et où un journaliste vous tend un micro et vous somme : « Vous avez 30 secondes pour exposer la théorie de la relativité générale. »

[5] Lire : « Les enfants cachés du général Pinochet » de Maurice Lemoine. Don Quichotte éditions, 2015, 701 p.

[6] 24h n'auraient sûrement pas suffi pour monter une telle opération, préparée à l'évidence de longue date, attendant le bon prétexte.

[7] « Treize jours » ((Thirteen Days) réalisé par Roger Donaldson, sorti en 2000. Avec K. Costner dans le rôle Kenneth O'Donnell assistant spécial de Kennedy.

« 13 jours. La crise des missiles de Cuba » de Robert Kennedy, 1968, trad. franç. Grasset 2001, 162 p. Ce livre a été est tiré des notes du frère du président Kennedy, alors Attorney General (ministre de la justice des Etats-Unis), prises heure par heure tout au long de la crise. Le livre est préfacé par A. Schlesinger Jr, conseiller du président. Il est complété par des documents reprenant les échanges entre le Kennedy et Khrouchtchev au cours de ces 13 jours.

« Le jour où la Terre s'arrêta. 1962, la crise des missiles de Cuba », documentaire de Sylvain Desmille (F. 2015), 55 mn.

[8] Lire (pp. 73- 83) : 280 p. « L'Amérique contre de Gaulle, histoire secrète, 1961-1969 » Vincent Jauvert, Seuil,

[9] « Under fire » de Roger Spottiswoode en 1983. Avec dans les principaux rôles, Nick Nolte, Joanna Cassidy, Gene Hackman, Ed Harris et Jean-Louis Trintignant.

[10] Cf. « Miracle espagnol et cauchemar européen » A. Benelhadj, Le Quotidien d'Oran, S. 21 janvier 2012.

[11] En ces forums où s'épanouit la liberté, on ne dit pas « Fidel » (réservé à ses amis ou à ses partisans), mais « Castro » dont il est plus aisé de dériver « anticastriste ».

[12] Lire avec l'attention qu'ils méritent les deux livres confession du Général Paul Aussaresses :

- « Services spéciaux. Algérie 1955-1957 ». Perrin, 2001, 197 p. Mais c'est surtout le second qu'il précise sa contribution à la lutte contre-révolutionnaire sud-américaine.

- « Je n'ai pas tout dit. Ultimes révélations au service de la France. Entretiens avec J.-C. Deniau. » Ed. du Rocher, 296 p. Deux chapitres intéressent ici : (chap.5 « Au secours des Américains contre la guérilla » pp.115-139, chap.6 « Professeur Aussaresses. Le camp d'entraînement des dictateurs » pp.141-176.)

[13] L'un des fondateurs de cette organisation, chantre et protecteur de la liberté d'expression à l'échelle mondiale, est aujourd'hui maire de Béziers, soutenu par le Front National et parfois plus extrêmement à droite encore que lui?

[14] Essai paru en 1978 et réédité 30 ans après, en 2008 aux Editions des Mille et une nuits.145 p.

[15] Au lendemain de l'annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre Cubains et Américains, le 18 décembre 2014, le titre du numéro un mondial de la croisière, l'américain Carnival Corporation, a gagné 3,46%, celle de Norwegian Cruise Line Holdings 4,67%, tandis que le numéro deux mondial, l'américano-norvégien Royal Caribbean Cruises Ltd, bondissait de 6,62%.

[16] La Havane a été contrainte d'adopter des mesures dans ce sens. 20% de l'économie cubaine est privée. Des terres sont concédées à des agriculteurs privés en usufruit. Cuba a aboli le permis de sortie pour voyage à l'étranger en octobre 2012.