Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Réécrire notre histoire avant que les générations montantes sombrent dans l’oubli, ne se voient imposer par l’autre et à sa seule convenance, une toute autre histoire

par Djaffar Lamani *

A l’occasion de chacune des dates commémoratives marquantes du pays, le citoyen algérien ne peut faire l’économie d’une rétrospection : celle de revisiter une partie du passé, de lire la période présente tout en interrogeant, de notre côté comme de l’autre, l’avenir en ce qu’il nous réserve en enjeux, menaces et opportunités.

N’est-ce pas, que chez nous, les nouvelles générations, appelées à prendre le relais, n’ont trop souvent qu’une dangereuse méconnaissance de l’Histoire de leur pays et plus particulièrement celle de la lutte contre le colonisateur qui lui, plus que jamais, tout en se déguisant, tient toujours à se draper de la toge des principes des droits et de l’Homme.

Au point que certains en arrivent à se demander si vraiment le système colonial avait le caractère aussi abject et horrible que lui prêtent les survivants de générations qui l’ont vécu.

C’est ce qui nous interpelle, plus que jamais, pour parler de notre histoire, faits de violences que la puissance coloniale a fait subir au peuple algérien, pendant les 132 années et qui connut son paroxysme au cours des années 1954-1962.

Il n’y a pas de meilleure introduction, que celle de rappeler quelques points à ce sujet :

- Que d’abord et avant tout l’indépendance du pays n’a pas été donnée en cadeau par une quelconque âme bienfaitrice charitable, illuminée par la flamme éternelle des droits de l’Homme,
- Que la guerre de colonisation et d’extermination française la précédant, imposée aux Algériens, a commencé bien avant 1830,
- Et que enfin cette dernière ne s’est pas arrêtée, comme on peut le penser, lors du cessez-le-feu ou en « Juillet 1962 » ni d’ailleurs après, comme nous le verrons plus bas,
Pour cela il y a L’Histoire et ses dates.

1. La guerre de résistance : une vraie guerre de plus de cent ans avec une vraie Jeanne d’Arc :
 
La flamme de ce combat libérateur où nous avait précédé, l’Emir Abdelkader, Hadj Ahmed Bey, cheikh Boumaaza, Boubaghla, cheik Bouziane , lala Nsoumer, Bouchoucha ouled sidi cheikh, El Mokrani, cheikh El Haddad, Ahi Taghl, de Bouâmama , cheikh Amoud Ben El Mokhtar, les Aurès, les Touaregs,ne s’est jamais éteinte et n’a jamais été ininterrompue. C’est celle-là, la vraie guerre de cent ans : le dernier morceau de terre algérienne n’ayant été occupé par la France qu’en 1934, par le colonel Trinquet sous les ordres du général Giraud

L’ensemble des échauffourées de la France mises bout à bout, celles des différents rois et de Jeanne d’arc, contre les Anglais qui occupaient le territoire français, n’ont aucune commune mesure avec notre vraie guerre de résistance de cent ans...

Seules les images d’Épinal sont déformantes !

A Médéa, sous la tente des négociations de paix avec Fathma N’nsoumer qui venait de le battre à plat de couture, en Kabylie, le maréchal Randon a cru, de bon aloi, d’affubler cette combattante du nom de « de Jeanne d’Arc de la Kabylie ». Celle-ci n’en avait cure. Elle avait un nom celui de Lalla, sans jamais pour autant, avoir prétendu que dieu lui ait parlé.

2. Personne n’a jamais donné d’indépendance en cadeau à un quelconque pays
 
Quant à De Gaulle il n’a pas consenti à octroyer l’indépendance, il y a été amené, contraint et forcé. Pour détruire une telle idée saugrenue, il suffit de rappeler simplement que les tentatives de destruction du FLN/ALN ont justement atteint leur paroxysme à partir de 1958, avec l’ arrivée du Général au pouvoir.

Les opérations militaires qui ont été effectuées, ont été marquées par un gigantisme jamais égalé, ainsi que par leur nombre. Avec De Gaulle et en comparaison avec la période allant de1954 à janvier 1958, leur nombre a doublé de 1958 à 1960.

Elles furent grandioses, par leur ampleur et leur étendue dans l’espace et le temps: puisqu’elles n’ont pas cessé de couvrir intensément, d’Est en Ouest et du Nord au Sud , l’ensemble du territoire national. Les forces françaises écrasantes représentaient: 910.000 hommes, sans tenir du fait que tous les Européens étaient armés.

Nous remarquerons que ces forces ont augmenté de 50.000 militaires dès l’arrivée De Gaulle.

En effet, il y avait 480.000 militaires, selon Chaban-Delmas, le ministre de la Défense du gouvernement précédent, qui comparait cette force écrasante à celle dérisoire, de l’ALN. Triomphaliste il déclarait : « l’affaire est dans nos mains ».

Le Général est resté fidèle et conforme à la ligne et à la logique de la politique des gouvernements de gauche précédents tel qu’exprimé, en 1954, par le ministre de l’Intérieur Mitterrand. . Rappelons comment ce dernier avait réagi aux propositions formulées par le FLN en 1954, dans la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui ouvrait, très tôt, la porte à une solution de paix au problème algérien.

Cette proposition, faite en des termes, on ne peut plus modérés, qui est la suivante :
 
« Pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous FLN, avançons une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises, si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent, une fois pour toutes, aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes», fut accueilli avec la plus grande dérision.

La réponse du ministre de l’intérieur de l’époque, François Mitterrand, au mois de novembre 1954, a été la suivante : « la seule négociation, avec ces terroristes c’est la guerre ! ».

Ainsi la « gauche » comme la «droite » qui ont gouverné la France, se sont toujours rejoints, depuis, sur la question de l’Algérie : à savoir : «La France éternelle, s’étendrait de Dunkerque à Tamanrasset ».

Pour désarmer physiquement, politiquement et psychologiquement l’ALN, les Tergiversations, les Changements de cap du général comme les différents appels « paix des braves », «couteaux aux vestiaires » , « L’Algérie algérienne en association étroite avec la France » , l’offre empoisonnée de « cessez-le-feu d’abord et négociation ensuite») de De Gaulle, se succèdent et ne firent aucun effet sur la détermination des combattants algériens. .

Elles se succédaient dans un contexte de présence et d’occupation multi-insidieux du terrain :

- de l’OAS, dirigée par des officiers supérieurs de l’armée française,
- De la force locale, composée 80.000 appelés algériens de l’Armés française,
- Et enfin celle des Harkas, supplétifs de l’armée française dont le nombre se situait entre 180.000 et 220.000 hommes.

Ajoutons à cela et en parallèle : l’aide, à profusion, prodiguée par des officiers français au contre-maquis de l’Ouarsenis ainsi que les tentatives des services français de recréer les oppositions avec la création du FAAD, fille du MNA. Pour ne citer que cela.

Apres tout cela, De Gaulle finit par se résoudre à décréter un cessez-le-feu unilatéral.

Puis les Négociations, Accords d’Evian, Referendum, l’Indépendance s’en suivirent, non sans que De Gaulle eut à inciter, auparavant, tous les pays limitrophes, à l’Algérie, à venir réclamer, à l’occasion, une partie de ce territoire et non sans avoir dressé les cartes de partition du pays entre les Algériens et le colons; Ceux-ci devaient garder les terres les plus fertiles, et ce, sans mention des velléités de garder directement ou indirectement le Sahara - en raison du pétrole et gaz découverts. Dès mars 1962, à l’occasion de la signature des Accords d’Evian, l’intellectuel français, J.P Sartre avait écrit : «Personne n’ignore, aujourd’hui, que nous avons ruiné, affamé, massacré un peuple pour qu’il tombe à genoux ; il est resté debout. »

Est -à dire que les Algériens étaient au bout de leur peine ? Pas du tout ! Le terrain restait plus que miné.

3. Après l’échec des gigantesques opérations- labours de la mort, les semis gaulliens : de la division, la discorde et la guerre civile, sont plantés, en Algérie:

En effet et ce jusqu’au dernier moment, De Gaulle ne restant pas sans autres tentatives velléitaires, d’augmenter les probabilités de chaos et d’explosion d’une guerre civile du type « congolisation »,

- fait ouvrir, prématurément, en violation des Accords d’Evian, les frontières, bien avant le mois de juillet 1962, date pourtant bien arrêtée par ces accords signés par le GPRA et l’Etat français,

- abandonne sur la rive sud, les supplétifs et harka qui ont aidé la France à prolonger cette guerre contre leurs propres frères, semant, ainsi, déjà les germes de troubles potentiels d’instabilité que peut occasionner une telle force pour l’Algérie indépendante.

Et enfin, le dernier cadeau que fait la France, partie, en 1962, est celui d’avoir laissé - pour continuer à semer la mort, le chaos et la désolation à nos frontières - les champs de mines, plantés le long des fameux barrages Challe et Morrice, refusant d’en fournir les plans de leur enfouissement.

Si la France avait consenti à livrer ces plans concernant ces millions de mines, semées le long de ces barrages, à notre pays , celui-ci n’aurait-il pas fait l’économie de très nombreuses vies humaines à ajouter au million et demi de Chouhadas ?

Les tenant secrets, elle avait toujours refusé de les communiquer. Et notre pays ne les a obtenus qu’en 2007. Soit 45 ans, après l’Indépendance :

- Quand 90% de ces mines avaient déjà fait l’œuvre destructrice pour lesquelles, elles étaient destinées,

- Et quand l’idée de l’Union d’un Maghreb crapahutait et montrait des signes de non concrétisation. Car là aussi, se poursuit une autre histoire méritant d’être écrite par les habitants de ce Maghreb.

De Gaulle finit par partir, avec la conviction d’avoir sorti son pays du pétrin algérien, dans lequel la France s’est trouvée empêtrée et menacée de toutes sortes d’instabilités.

L’Algérie a recouvert son indépendance. Qu’en est-il, depuis, des relations entre les deux pays ?

4. Les relations entre l’Algérie et la France «ne peuvent être banalement normales, elles seront ou bonnes ou mauvaises»

Leur évolution difficile et ambiguë ne saurait être mieux décrite que par la partie algérienne faite en réponse à la déclaration du président français Giscard d Estaing qui, lors de sa visite officielle à Alger - visite envisagée et programmée, auparavant, par le gouvernement Pompidou - s’était prévalu d’être venu à Alger, pour « normaliser » les relations entre la France et l’Algérie. Ce à quoi, le président algérien réplique, sans ambages: » les relations entre la France et l’Algérie ne peuvent être normales ; elles sont soit bonnes soit mauvaises ».

Et depuis, la politique officielle de l’Hexagone continue à faire dans cette apparente ambiguïté, soufflant tantôt du chaud tantôt du froid. Sur le terrain et à travers les événements qui s’y forgent, des déclarations françaises, montrent évidement que cette politique reste constante et fidèle à ce qu’elle a toujours été.

5. En lieu et place d’apaisement : l’agacement, la conspiration et la fermentation

Le ton est donné par les déclarations de revanchards et anciens de l’OAS...

Haineuses et ouvertes comme celle du général Schmidt, devenu chef d’état major des armées françaises, qui rappelle et l’écrit à un de ses officiers subalternes, à l’occasion de tentatives de mobilisation et de regroupement des membres de l’armée aigris contre notre pays : «Nous continuons le combat, il faudra bien gagner cette nouvelle bataille d’Alger que l’on nous impose » ( écrit en nov. 2002 à l’ex-adjudant Raymond Cloarec) .

Venant d’un chef d’état major des armées françaises, tout le monde comprend que sans être ouvertement déclarée, la guerre à l’Algérie continue à lui être livrée ..

Et le cas du général tortionnaire ne saurait être considéré comme isolé. Pourtant le peuple algérien ne nourrirait aucune animosité envers la France si un bilan historique objectif est fait au sujet de cette période de colonisation. Malheureusement, il se trouve que cela n’agrée pas la France qui ayant bien compris l’attente des Algériens, a pas à pas, et depuis l’indépendance entrepris une œuvre de réécriture de cette histoire coloniale. Elle entend bien le faire à coups de lois, d’amnistie et de lois mémorielles avec des velléités de finir de nous imposer cette histoire.

Rappelons que dès son occupation d’Alger, la France a détruit l’administration, tous les documents officiels et parmi eux toutes les archives des institutions des domaines ainsi que les documents de l’état civil. Tout ce qui a était ou lien entre l’homme et sa terre, tout ce qui peut rattacher quelqu’un à quelque chose et tout ce qui rattachait quelqu’un à un autre. Même les cimetières ont été vidés des ossements qui avaient fait d’ailleurs l’objet d’embarquements sur des bateaux allant vers le port de Marseille : rentable commerce morbide.

Dans ce même ordre d’idées, rappelons que de nombreuses familles et tribus se retrouvaient, sous la nouvelle administration placée par le sublime libérateur et civilisateur : la France des droits de l’Homme, sans origine, sans nom ( Sans Nom Patronymique, le nom que certaines familles rainèrent depuis des décades s’écrivait en trois lettres S.N.P ). On les voulait sans rattachement , sans résidence , donc sans pays et dépouillés de tout. Et de là, Il n’y a pas loin à dire « que l’Algérie est un pays sans peuple », comme on tente de le faire au Moyen-Orient,

6. Le pays dit «dépositaire» des droits de l’Homme, ne pourrait s’accommoder d’un passé colonial aussi sombre, il entreprend de le falsifier en entendant bien re-coloniser l’histoire

Ainsi après avoir colonisé les terres, occupé les domaines, volé les trésors d’Alger, emprisonné les corps et esprits, déculturé la société, détruit tout lien avec notre identité et notre passé pendant plus d’un siècle, la France a résolument mis, aujourd’hui, en chantier son Entreprise pour coloniser l’histoire des 132 ans d’occupation.

Tout en faisant des lois par ses assemblées qui décidèrent, que son passage en Algérie a été une œuvre civilisatrice et non un colonialisme, la France blanchit, anoblit, promeut et met sur des piédestaux les criminels et tortionnaires qui se sont illustrés par leurs méfaits lors de la guerre d’Algérie, développant ainsi l’apologie d’auteurs de crimes sans nom. Il a été édifie et érigé des monuments. Il a été dressé des statues «aux anciens de la guerre d’Algérie», leurs héros: militaires, terroristes de l’OAS et anciens harkis qui ont égorgé les Algériennes, les Algériens et leurs enfants.

Ainsi des crimes dont ils n’ont jamais cessé, ni manqué de  se vanter, ouvertement, devinrent des actes de bravoure ;

Par ailleurs la France entend bien brouiller toutes les cartes temporelles post-colonisation, de façon à enlever aux dates importantes choisies par l’Algérie souveraine, commémorant ses dates-phare, ses évènements nationaux, toute leur valeur symbolique et patriotique, les banalisant en leur collant d’autres événements la concernant :

- Ainsi le 05 juillet nous a été choisi pour jour d’Indépendance pour faire oublier que c’est celui de leur débarquement à Sidi Ferruch : date à commémorer d’une pierre noire. On voulait nous amener, d’ailleurs à en faire la Journée de la jeunesse algérienne. Pas de fête d’Indépendance donc pas de période coloniale..

- Le 19 mars, jour réclamé par la majorité du peuple comme étant le vrai jour de la victoire, est également choisi par la France, pour ce qui la concerne, comme journée des harkis : moyen de faire l’amalgame entre le Moudjahid et le harki;

- Et puis la dernière en date celle de faire du 18 Fevrier (notre propre Journée du Chahid) une date française où il sera rendu hommage aux musulmans morts pour la France, à la mosquée de Paris..

- Enfin faire, autant que possible, des injonctions chez nous comme la manière de fêter le 50ème anniversaire de l’indépendance ou d’entonner notre propre hymne national sans troncature imposée de couplet (supprimer l’interpellation à la France «Ya firanca »

Pour nous représenter les dimensions et caractéristiques de cette œuvre civilisatrice, faisons parler une des personnes l’ayant initiée en Algérie : ce n’est autre que le général Rovigo

En écho à la déclaration de Sa Sainteté le Pape qui, en 1830, avait qualifié la prise d’Alger par la France d’effet civilisateur, celui-ci, le général, a donné le feu vert à ses soldats, les ordres qui devaient aller en le sens de cette intention civilisatrice :

« Comme on ne les civilisera pas (il s’agit des Algériens), il faut les refouler au loin. Comme des bêtes féroces qui abandonnent les lieux habités, il faut qu’ils reculent jusqu’au désert devant la marche progressive de nos établissements et qu’ils soient rejetés, pour toujours, dans les sables du désert»

Le pays auréolé «des principes des droits de l’Homme «ne pourrait s’accommoder d’un passé colonial aussi sombre..

La France doit se réconcilier, d’abord, avec elle-même et les valeurs dont elle entend demeurer dépositaire.

Mais comment la France le pourrait-elle? Quand, à côté des va- t-en guerre, il existait, parmi ses plus grands esprits : écrivains, humanistes et savants, certains qui ont appuyé, applaudi, encouragé des crimes insupportables, allant aux antipodes des valeurs mêmes de la révolution de 1789, dont l’un des grands leaders : Maximilien de Robespierre, les ayant prédécès, avait dit en 1792. « La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffisse à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois et constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ».

Commençons par M. Tocqueville «l’humaniste » le libéral, le démocrate, celui qui aurait selon ses défenseurs, lu et interpréter Le Coran, celui qui a écrit de « la démocratie en Amérique » , n’a-t-il pas légitimé, approuvé, défendu et encouragé les boucheries et les destructions de l’armée coloniale ?

Qualifiant, lui, cette guerre d’Afrique et ses méthodes (abjectes, injustes et inhumaines) de science, il la justifiait par le besoin de grandeur de la France, déclarant :
« Ne nous décourageons point sur l’avenir, dit-il, ne nous laissons pas arrêter par des sacrifices passagers lorsqu’un immense objet se découvre et que de persévérants efforts peuvent l’atteindre. »

Victor Hugo, le visionnaire, l’auteur des ‘Misérables’, n’a-t-il pas applaudi la conquête de l’Algérie ?

Maupassant révélait, déjà, l’ambiguïté dans laquelle de nombreux Français emprunts de patriotisme et d’universalisme, restaient solidaires des colons européens. Camus, plus proche de nous, par Sa non-réponse, se situait dans la même position. C’est M. Cuvier ce grand savant qui demandera à Polignac d’encourager les officiers de l’armée d’Afrique « à s’intéresser aux productions naturelles du pays et de procurer au jardin du roi, les animaux vivants qui lui font défaut. » C’est lui qui donna le coup d’envoi à la collecte des vestiges humains pour les Muséums français. C’est lui qui présida à l’ouverture de la chasse aux têtes algériennes dont on découvre, aujourd’hui, les crânes d’une bonne trentaine au MNHN. Parmi ceux-ci les têtes de grands résistants algériens renommés. Telle que celle, numérotée 5939, momifiée, d’Alhamadi lieutenant de Boubaghla. Celui-ci nous regarde toujours de son œil gauche qui resté ouvert, nous regarde faire l’histoire

7. Cette «France qui dit bien la voie Droite et chemine par les sentiers obliques»

Cette formule de Léopold Sédar Senghor, membre de l’Académie Française, ministre du gouvernement Debré, plus tard président du Sénégal, produit poli par la France qui ne pouvait mieux et autrement résumer le comportement de la France vis-à-vis de ses colonies et colonisés.

Donnons-nous, pour cette petite formule, une petite illustration développée par un ex-président de la république française. Celui-ci ayant fait passer sa loi sur le génocide arménien, et prétendant continuer de tendre la main à de l’amitié avec le peuple turc, déclarait, à ce sujet que la Turquie, l’auteur du génocide, ne sortira que plus grandi quand il aura reconnu son acte passé. Pourquoi Sarkozy n’a pas fait de même pour la France vis-à-vis des Algériens. Parce qu’il continue à voir les Algériens à travers les yeux du psychiatre français Dr Antoine Porot, dont les thèses racistes ont fait autorité jusqu’en 1970 et qui légiférait en la matière ainsi » les indigènes nord africains, dont le cortex cérébral est peu évolué est un être primitif dont la vie essentiellement végétative et instinctive, est surtout réglée par le diencéphale ….» (*). Parce qu’il est convaincu que c’est la France qui fait et fera l’histoire pour ses anciennes colonies et ses hâbleurs.

Et là se situe le vrai enjeu pour nous aujourd’hui. Il est explicité par l’écrivain Jean DRESCH , dans une préface faite à l’Algérie dans: « Passé et présent « ainsi :
« L’histoire coloniale est presque toujours à sens unique car c’est le propre d’un peuple colonisé de n’avoir plus d’histoire ou du moins d’historiens, hormis celle et ceux du colonisateur. Or le colonisateur ignore communément le colonisé, et volontiers le considère comme mineur, primitif, incapable, digne seulement d’une sollicitude bienveillante et paternaliste ».
(*) Extraits du manuel alphabétique de psychiatrie Dr Porot de l’élite de l’Université française dont les théories ont fait autorité jusqu’en 1970, remplacé à la tète de l’hôpital Joinville de Blida par le Dr Frantz Fanon

8. Toute la période coloniale et post-indépendance nous enseigne que ce qui compte, c’est ce que, nous faisons, nous Et non ce que les autres font ou feront pour nous ou contre nous

Toute la France colonialiste, en ce qu’elle avait de force et d’intelligence, n’est pas venu à bout du projet national des fils de La Toussaint – « des Nord- africains « qui ont montré qu’ils n’étaient ni hâbleurs, ni menteurs, ni voleurs, ni fainéants, ni débiles hystériques, ni sujets de surcroît, à des impulsions homicides imprévisibles – « (*). Ceux-ci ont su conduire le pays jusqu’à son indépendance. Ces tares: vol, violence, mensonge, homicides ( à grande échelle ), inventées par le Dr Porot ont été la panacée du colonialiste et de ses hordes , qui y ont mis toute leurs énergies et politiques pour perpétuer leur domination sur les colonies qu’ils ne voulaient voir ni évoluer ni s’émanciper ni se libérer de l’esclavagisme dans lequel elles ont été placées et maintenues .

Cette histoire dont on nous apprête les prémisses d’écriture ne nous imposera-t-elle pas de déboulonner les statues de nos héros? Nous imposer d’y placer en leurs lieu et place des Bugeaud et sa cohorte, ceux-la mêmes qui avaient, de leurs propres propos et écrits, reconnu avoir exterminé plus de la moitié de la population de ce pays, détruit et incendié ses villes et ses villages. Et avoir Inventé, très tôt, pour les Algériens les Guantánamo de la nouvelle Calédonie.

En effet si la colonisation était acceptée comme un bien fait pour l’Algérie «comme une œuvre civilisatrice », le « fellaga » n’aurait été qu’un terroriste qui se dressait contre les bienfaits que venait (par le feu, le fer et le sang) lui prodiguer l’humaniste colonisateur français. Et du coup, et cela va de soi, de combattant, de libérateur, le moudjahid se retrouve voué aux gémonies, à l’enfer, et à l’oubli.

Et pas à pas, et méthodiquement elle entreprendra, par là, d’effacer et gommer, par touches successives, les traces de notre Révolution, de nos résistances passées et insurrections récurrentes qui nous ont permis de survivre à la décimation et à l’effacement.

La Mondialisation, légitimant le droit du plus fort, une telle histoire transfigurée, comme on s’apprête à nous l’écrire , argumentera - devant des instances de justice et institutions de droit de l’Homme, fabriquées par l’Occident à sa mesure - en faveur de la réclamation que ne manqueraient de venir faire les colons, pour que leur soient restituées leurs terres et biens qu’ils auraient laissés, en Algérie en 1962 .

Aventuriers européens de tout acabit, ils réclameraient alors des terres qu’ils ont spoliées, volées, arrachées à nos populations, à coup d’ordonnance, de lois et de Sénatus-consulte : (respectivement de 1845, de 1865, de 1873).

Aussi, on ne peut pas, et on ne doit pas s’attendre à ce que les historiens français écrivent une Histoire qui nous conviendrait; cette tâche incombe à nous-mêmes. Et c’est à nous, d’honorer les nôtres et d’en raviver la mémoire. Car, la leur décrétera notre propre négation, comme celle des devanciers, dans le combat pour libérer leur pays et dont, pour certains, les crânes se trouvent, toujours, exposés dans les musées parisiens.

En attendant les politiques français peuvent, toujours, continuer à nous susurrer de cesser de regarder dans le rétroviseur (on nous conseille de ne pas regarder notre passé, notre histoire), ou pour affirmer avec suffisance et certitude que les relations entre nos deux pays s’amélioreront quand disparaîtront les anciens du FLN /ALN, Tant que ceux-ci, ces empêcheurs de tourner en rond, sont encore de ce monde, ces relations resteront au niveau « d’anormalité » où elles sont, ajouteront-ils alors.

*Ex-officier de l’ALN, wilaya III