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Nos ancêtres les Gaulois

par Pierre Morville

Sarkozy ressort un vieux mythe et prône une assimilation à la dure

Nicolas Sarkozy est persuadé qu'il peut gagner les primaires de la droite puis l'élection présidentielle où il serait alors désigné candidat pour son camp. Son remède miracle ? Il chasse sur les terres du Front national et il tient aujourd'hui souvent des propos plus conservateurs ou réactionnaires que ceux de Marine Le Pen ! Sarkozy n'agit pas par conviction. Dans ce domaine, il a déjà fait souvent la preuve qu'il n'en avait guère. Non, il est simplement persuadé que sous la pression combinée d'une phase longue de morosité économique, des menaces nouvelles du terrorisme, des impasses de la construction européenne, voire du vieillissement de la population, de larges fractions de la société françaises se laissent submerger par la peur, la panique ou la colère et appellent de leurs vœux un régime autoritaire qui s'il ne leur garantit pas le plein-emploi, leur promet au moins la sécurité dans les rues, dans une société sans étrangers.

Les attentats de masse qui se sont déroulés à Paris et à Nice cet été, la proximité des conflits du Moyen-Orient ont évidemment relancé la xénophobie, les réactions antimusulmanes ou anti-arabes. Le Front national s'était fait le champion de cette exaltation de la peur de l'étranger, de l'autre : l'immigré est d'abord dénoncé comme un rival économique (il vient piquer le boulot des bons Français) mais également comme un terroriste potentiel. Même suspicion pour les Français de fraiche date, particulièrement ceux d'origine arabo-musulmane.

Paradoxe ! C'est au moment où Marine Le Pen calme un peu son discours xénophobe, que Nicolas Sarkozy en rajoute dans le même domaine comme s'il voulait doubler sur sa droite la dirigeante du Front national. Interrogée par TF1, il y a 10 jours, pour savoir si l'islam était compatible avec la République, Marine le Pen a répondu : «Moi, je crois que oui. Un islam tel que nous l'avons connu, laïcisé par les Lumières comme les autres religions», a-t-elle dit, disant «lutter contre le fondamentalisme islamiste (?) Je ne définis pas la France par une couleur de peau. Je mets sur le même plan ceux qui veulent imposer une France métissée» et ceux qui «veulent une France blanche (...) le critère racial ne fait pas partie de la définition de la France», a assuré la candidate à la présidentielle.

«Personne ne vous oblige à vouloir être Français»

L'islam compatible avec la République : la présidente du Front national a réitéré ses propos lors de l'université d'été du FN qui s'est tenu à Fréjus dans le Var, la semaine dernière. Fait significatif, le discours de la candidate FN ? que tous les sondages donnent déjà qualifiée pour le second tour de la présidentielle ? n'est revenu qu'à la marge sur le sujet du terrorisme et de la menace islamiste. «Comme si, après avoir pris la droite traditionnelle à contre-pied en déclarant récemment que «l'islam est compatible avec la République», la candidate frontiste poursuivait son recentrage sur les valeurs et les principes. La France, bien sûr. Le patriotisme économique. Les frontières. L'identité », note le quotidien suisse Le Temps.

Bref, quand Marine le Pen calme le discours du Front national, certainement pour séduire l'électorat modéré, Nicolas Sarkozy radicalise le sien pour draguer les électeurs frontistes. L'ancien président a clairement défendu l'assimilation, plutôt que l'intégration : «Si l'on veut devenir français, on parle français, on épouse son histoire, on vit comme un Français et on ne cherche pas à changer le mode de vie qui est le nôtre depuis tant d'années (?) Nous ne nous contenterons plus d'une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l'assimilation. Quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, à un moment où vous devenez Français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c'est Vercingétorix.»

«Dès que l'on devient Français, nos ancêtres sont gaulois» ! Et l'ancien président a été d'autant plus clair en menaçant : «Et si on ne veut pas de ça, personne ne vous oblige à vouloir être Français». Une formulation qui fait écho à son désormais célèbre «s'il y en a que ça gêne d'être en France [?], qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas».

Oublier ses racines ou quitter le pays ? Pour justifier l'outrance de ses propositions, Le candidat a pris les devants et rappelé ses propres origines de «petit Français de sang mêlé», selon son expression issue de son discours d'investiture de 2007 : «Mon père est hongrois, on ne m'a pas appris l'histoire de la Hongrie. Mon grand-père maternel est grec, on ne m'a pas appris l'histoire de la Grèce. Au moment où je suis Français, j'aime la France, j'apprends l'histoire de France, je parle le français et mes ancêtres sont les ancêtres de la France, c'est ça l'assimilation», a-t-il poursuivi.

La France : de multiples mélanges

Sur un plan historique ou anthropologique, «nos ancêtres les Gaulois» relève de la plaisanterie ou d'une exaltation de racines communes totalement mythiques. Comme le rappelle le quotidien l'Est Républicain, ce sont les Romains qui désignaient comme Gaulois, «une soixantaine des tribus peuplant l'actuelle France, la Suisse et la Belgique : des Ambiens (Picardie) des Eduens (Morvan), des Helvètes (Suisse), des Tricastins (Drôme) des Séquanes (Franche-Comté), des Bituriges (Bordeaux) des Sénones (Aube), des Carnutes (Chartres), des Parisis(Ile-de-France), des Vénètes (Bretagne), des Pictaves(Poitou), des Rèmes (Marne), des Bellovaques (Belges), des Ménapes (Flandres), des Aduapes, des Allobroges (Savoie), des Rutènes (Aveyron), des Tectosages (Carcassonne) des Arvernes (Auvergne)?».

Toutes étaient des populations celtes. Et d'où venaient les Celtes ? Pour beaucoup d'universitaires, les Celtes étaient «les premiers Indo-Européens à avoir remonté le Danube et peuplé la région alpine. Ces populations protohistoriques occupèrent durablement toute la partie occidentale de l'Europe, de l'Ecosse au Nord jusqu'à l'Espagne au sud, et des Balkans à l'Est jusqu'à l'Irlande à l'ouest» (Wikipedia). Les premiers migrants en quelque sorte, venus occuper des territoires occupés jusque là par d'autres tribus, dont on peut penser que la langue basque en reste un lointain témoignage?

Contrairement à ce que peut penser ou dire Nicolas Sarkozy, l'Histoire de la France n'est qu'une longue suite d'immigration et de mouvements de populations extrêmement diverses : nombre de guerriers celtes ont rejoint les légions romaines et ce sont des populations gallo-romaines qui ont peuplé et développé les régions méditerranéennes actuellement françaises.

A partir du Vème siècle, les invasions «barbares» provenant de l'est de l'Europe : Goths, Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes, Vandales, Saxons, Francs..., se succèdent sur le territoire. Du coup, les Celtes se réfugient en Bretagne quand une autre population celte, provenant de l'Europe nordique, les célèbres Vikings, envahit l'actuelle Normandie?

Une population asiatique, les Huns dirigés par le célèbre Attila menace sérieusement l'empire romain. Ils sont arrêtés par les légions du Romain Aetius près de l'actuelle ville de Troyes, en France, lors de la bataille des Champs catalauniques. Les Huns repoussés se sédentarisent après la mort d'Attila, en Finlande et en Hongrie où ils feront souche (Sarkozy, descendant des Huns ?).

L'unité nationale française est surtout le fait d'une volonté politique des «Rois de France»qui ont su au cours des siècles soumettre à leur autorité par des jeux d'alliances complexes ou plus rapidement par des occupations militaires de multiples populations qui ne parlaient pas le «Français», qu'ils s'agissent des «Bourguignons ou de toutes les populations au sud de la Loire qui parlaient elles, différents dialectes occitans?

Ce sont les mêmes rois de France qui ont commencé à construire le grand empire colonial français tout d'abord en exportant sa propre population alors la plus importante d'Europe (au Québec, en Louisiane, dans les Antilles?) et en utilisant l'arme économique de l'esclavage de populations en provenance d'Afrique et dispersés aux Antilles.

L'histoire coloniale explique évidemment de nombreux flux de populations, y compris vers la France. L'histoire de Paris atteste ainsi d'une présence d'une population algérienne dans le 18ème arrondissement dès 1848 ! Difficile de parler d'une immigration de première ou seconde génération !

L'immigration fut également très tôt économique car l'industrie française naissante avait besoin de bras étrangers. Les mines, les usines, l'agriculture embauchèrent de nombreux Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, Indochinois tout au long du XIXème et XXème siècle dont beaucoup s'installèrent définitivement en France.

Les Gaulois, de Napoléon III à Astérix

Et les Gaulois dans tout ça ? Les Rois de France n'ont jamais fait référence aux Gaulois puisqu'ils descendaient justement d'une tribu d'envahisseurs, les Francs, qui justement avaient mis à mal les nombreuses tribus gauloises ou gallo-romaines. Le 1er à s'intéresser à Vercingétorix, qui avaient tenté sans succès de fédérer les tribus gauloises contre l'envahisseur romain, fut un empereur corse, Napoléon III, qui désigna le site d'Alesia (ou Vercingétorix perdit la partie) comme un lieu historique français.

Il est vrai que cet empereur français s'apprêtait alors à affronter une autre invasion étrangère : celle de l'Allemagne de Guillaume II et de Von Bismark. La Guerre de 1870 vit la France rapidement battue et privée de deux de ses régions, la Moselle et l'Alsace annexées par ces vilains boches.

La jeune troisième République qui succéda à l'empire napoléonien fut l'institution qui célébra le culte de Vercingétorix. Les hommes politiques de la fin du XIXème et du début du XXème exhument et exaltent jusqu'à la guerre de 1914-18, «les guerriers Gaulois, ces patriotes au grand cœur, fêtards et querelleurs, défenseur de la démocratie face au dictateur César, nous rappelle l'Est républicain, les manuels d'Histoire distribués aux instituteurs de la République sur ordre de Jules Ferry créent une identité française à partir de ces ancêtres gaulois et gauloises. Ils jalonnent cette histoire des Français de héros sauveurs de la patrie venus de toutes les régions, preux chevaliers (du Guesclin le Breton, Jeanne d'Arc la Lorraine, Bayard le sudiste, d'Artagnan le Gascon , Napoléon le Corse), de grands inventeurs et de rares bons rois (Henri IV de Navarre)».

Sarkozix le Gaulois

Toute histoire nationale est la combinaison de faits réels, de récits plus ou moins mythiques qui cachent souvent des motivations ou des politiques moins avouables. Les croisades, lancées officiellement en Occident pour libérer Jérusalem, ville où mourut le Christ, avaient en réalité de puissantes motivations économiques. En 1914, toutes les parties prenantes qui déclenchèrent ce 1er grand massacre planétaire, le firent pour combattre la «barbarie» de leurs adversaires?

Avant Sarkozy, la dernière resucée du mythe gaulois avait été le formidable succès de la bande dessinée «Asterix le Gaulois» qui nous conte avec humour, les aventures d'un petit village gaulois qui résiste avec succès au méchant envahisseur romain. Ces Gaulois un peu idiots mais en même temps très intelligents, ne semblent beaucoup travailler mais ils ont tous un métier, ils se moquent des Romains (Allemands, Américains, Russes, Chinois?) autant qu'ils le peuvent, ils adorent faire la fête, boivent et mangent beaucoup dans de grandes fêtes qui rassemblent toute la tribu de ce petit village combattif. Bref, ils sont très sympathiques. Mais c'est une bande dessinée qui raconte sur le mode plaisant comment les Français d'aujourd'hui d'une certaine façon, se voient ou se rêvent.

Nicolas Sarkozy qui nous ressort le vieux mythe gaulois raconté aux enfants, fait du Astérix sans réellement s'en rendre compte et en oubliant une donnée essentielle : le petit village gaulois est imbattable par les Romains par ce que son druide Panoramix possède la recette de la «Potion magique» qui donne aux habitants (mâles) du village une force surhumaine.

On cherche vainement un équivalent dans les programmes des partis qui s'affrontent dans la prochaine élection présidentielle française.