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«La photo de la honte»: Une chronique recto verso

par Abdelhak Benelhadj

Selon les chiffres de l'Organisation internationale des migrations (OIM), près d'un million de migrants ont confié leur vie aux flots de la mer Méditerranée en 2015. Par des circuits compliqués, se jouant des frontières, des détroits, des isthmes et des canaux, empruntant les chemins de traverse, louvoyant entre les îles, contournant les murs et les douves et se jouant des gens d'armes.

5.350 sont morts en 2015, 5.017 en 2014? Beaucoup se sont noyés les années précédentes et sans doute autant si ce n'est davantage les années à venir. On annonce un record pour 2016.

Ces statistiques-là ne dérangent pas. Les Européens en entendent tous les jours à leurs journaux télévisés ou radiodiffusés. La scansion des images anesthésie les consciences qui ne s'émeuvent plus des malheurs du monde. Dans l'univers médiatique contemporain convenons en, le bonheur n'est pas photogénique.

C'est bien connu : tout concours à ce que images, fictions et réalités s'entremêlent et s'enchevêtrent au point qu'on ne les distingue plus.

Que de cadavres charriés par les vagues, que de femmes accrochées à leurs baluchons, que d'enfants tenus par leurs jouets? Certaines chaînes de télé et de radio ont cessé de relater leur destin.

Le nombre et la répétition c'est moins d'info, beaucoup de distance et un peu de mauvaise conscience. Il a suffi d'un noyé, d'un seul et unique enfant rejeté par la mer, sagement allongé sur le sable, le dos à l'objectif. Comme assoupi, paisiblement endormi.

Il a suffi d'une seule photo pour que tout change.

C'était un mercredi 02 septembre. Il y a de cela un peu plus d'une année.

Du vide au trop plein

Le problème avec les images est que derrière il y a l'imaginaire. Les mages et les magiciens ne sont pas loin. Comprend-on pourquoi le Décalogue iconoclaste les a - vainement - proscrites ?

Toute cette histoire commence et se termine par un mouvement d'ensemble.

La photo représentant le cadavre du petit syrien de trois ans échoué sur une plage de Turquie fait le tour du monde et d'une Europe bouleversée, attendrie et peu à peu indignée.

Partout. Sauf en France où les médias la mettent sous le boisseau d'un incompréhensible et singulier « containment. » Un non-événement.

Pas un journal, pas un média ne l'a affichée. Au plus, un entrefilet dans les journaux télévisée ou radiophoniques à la rubrique nécrologique à laquelle on a fini par habituer les auditeurs et les téléspectateurs anesthésiés. Tous s'abstiennent de publier la photo le 02 septembre 2015. En toute unanimité.

Mais tous (ou presque) le lendemain, dans la précipitation, la brandissent comme si de rien n'était. Rétropédalage collectif en urgence. Tout ce que l'Hexagone compte de prêtres politico-médiatiques fait demi-tour. Du black-out imperméable à la ruée, au chahut débridé. Cependant, rares sont les quotidiens qui l'affichent en première page.

Du vide, sans transition, on passe au trop plein. Un temps frappés d'aphonie, les médias et les politiques deviennent intarissables. Un peu comme si quelque part, quelqu'un a donné le « top départ ». Et alors là, cela ne s'arrête plus.

Mais avant la compassion rétrospective, il y eut le temps de la contre-offensive et certains crient à la mise en scène. Avec un objectif : contrecarrer la mobilisation qui naît en solidarité avec les réfugiés, et que la diffusion de la photo d'Aylan Kurdi, semble avoir avivée. Tous les moyens sont bons pour y parvenir, y compris la manipulation.[1]

Mais vite les complotistes sont submergés.

Manuel Valls découvre la tragédie 24 heures après ses homologues européens et, dans un tweet apprêté, s'épanche à la va-vite sur le cadavre d'une photo refroidie depuis longtemps : « Il avait un nom : Aylan Kurdi. Urgence d'agir. Urgence d'une mobilisation européenne ».

On a les mots qu'on peut.

Sa ministre de l'Education Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, suit le mouvement de la rentrée : « la photo est insoutenable, mais il faut la montrer » (après l'avoir cachée ?). Décidément, rien ne sera épargné aux petits écoliers.

De l'Elysée, le président, d'abord aux abonnés absents, consulte ses sondages et ses augures, fait provision de mots-clés et prépare un « sommet » franco-italo-germanique qui, comme les précédents, creux comme les tambours, a fait beaucoup de bruits et a accouché d'impuissance.

Fabius et la politique étrangère de la France se sont complètement volatilisés. Les rats ont quitté le bateau depuis longtemps. L'ancien locataire du Quai d'Orsay trône du haut d'un Conseil et d'une Constitution mitée réduite aux acquêts. Dorénavant, c'est à Berlin, à Vienne, à Budapest ou à Bruxelles (Cameron avec ou sans Brexit, qu'importe, a senti le vent tourné avant Hollande[2]) que la politique extérieure européenne est ordonnée. Coincé à Sangatte, Paris court derrière les événements.

Les autres politiques français se taisent et font le dos rond. Mais, à leur tour, prestement, à la sauvette, sautent dans les wagons de queue d'un train sans tête qui fonce vers 2017 et qu'ils ont peur de rater. Ils surveillent étroitement la réaction des autres candidats réels ou virtuels, se marquent à la culotte, ajustant la posture aux postures.

L'AFP, comme les autres médias, revoie la copie de ses dépêches : Aucune des précédentes versions ne montrait les photos que la dernière version du 03 septembre a fini par inclure. Ses clients et lecteurs découvrent alors ce qui a ému les autres Européens bien avant eux.

Le quotidien Le Monde (« Le quotidien du Soir ») se rattrape plus rapidement que ses confrères et publie la photo dans l'après-midi du jeudi. L'avenir n'appartient pas toujours à ceux, pris dans les rets des nouvelles de la veille, qui publient tôt.

A Washington, l'histoire est écrite par Hollywood. En France, elle l'est par les journalistes.

Sémiologue à ses heures, Jérôme Fenoglio, directeur du quotidien Le Monde, devisait technique : « ?une photo qui dit tout c'est très rare » « Un coup de poing dans la figure », juge Christophe Berti, rédacteur en chef du quotidien belge Le Soir. « Cette photo était une évidence », aurait-il pu s'épargner.

« A Paris-Match, on considère que c'est une honte que la presse française ne l'ait pas publiée ! Nous, on est partisans de montrer les choses alors qu'en France on a du mal à se regarder en face » assène, toutes griffes dehors, Olivier Royant, directeur de la rédaction d'un hebdomadaire habitué aux images choc, qui a publié un article sur son site intitulé « La photo de la honte ».

Qui devrait avoir honte et de quoi au juste ?

Même la lexicologie a changé : dorénavant, on a affaire à des « réfugiés », des « migrants », des « Syriens »... Les vocables « musulmans » ou « islamiques », péjorations réservés, fortement connotés, délibérément bellicistes, confinés à des champs sémantiques spécifiquement mortifères, ont alors totalement disparu, déserté un paysage médiatico-politique tout en compassion, dégoulinant d'émotions lacrymales de circonstance.

Cela reviendra plus tard, et plus fort, tout en amnésie, après la tragédie du Bataclan en novembre et de Nice, en juillet 2016.

Les acrobaties des girouettes

Evacuée trop vite demeure la question de savoir comment expliquer que de nombreux médias indépendants, tous comme un seul, décident de ne pas publier la photo de ce petit d'homme échoué sur la grève et même d'ignorer sciemment l'événement.

Comment cela est-il possible en France, dans le pays de la liberté d'expression ? Dans l'antre des droits de l'homme et de l'Etat de droit ?

Dans le pays où l'indocilité, où l'impertinence intellectuelle est une culture nationale ?

Un silence pudique ? Une réserve compassée ? Le hasard ? Un hommage ruminant au Dieu Panurge ?

De l'unanimité, le même jour ? Et, en sens contraire, le jour suivant !

Une opinion publique monocolore bipolaire ?

Dans le même mouvement, d'abord opposé aux quotas de réfugiés proposés par Bruxelles (c'est-à-dire par Berlin), Paris se ravise et en accepte le principe, fut-ce en suppliant les étrangers rétifs à choisir la France.[3]

Cela n'est pas nouveau. La technique est éprouvée.

Par exemple : tous les téléspectateurs constatent tous les jours les mêmes sujets, présentés au même moment de la même manière : au mot près, à l'image près, agrémentés des mêmes messages publicitaires auxquels personne ne peut échapper en passant d'une chaîne à l'autre, d'un quotidien à l'autre?

Et le lendemain rebelote : on oublie le sujet précédent et on sert à tous dans les mêmes conditions un autre sujet, uniformément traité, avec des commentaires qui ne souffrent ni la différence, ni la contradiction.

C'est peut-être au fond cette question que personne ne voulait l'entendre posée.

S'il est possible d'obtenir de la multitude de quotidiens que possède le pays à réagir de la même manière à un événement et le lendemain de corriger le tir de manière tout aussi uniforme, alors que peut-on redouter des limites qu'un tel système puisse franchir ??

Les citoyens de ce pays de droit, de liberté et de fraternité sait-il qu'il est des mots pour désigner ce genre de régime ?

C'est vrai qu'entre-temps, en un raccourci historique vertigineux, la France est passée de « Je suis partout » à « Je suis Charlie ».

Montrer pour cacher. De la noyade au naufrage

Pas plus que les faits ne parlent jamais d'eux-mêmes, cette photographie n'a rien « d'évident ». C'est a contrario ce postulat d'évidence qui empêche de penser ce à quoi elle renvoie. Cette esthétisation intellectuelle de l'horreur réifie la mort de cet enfant (son frère et sa mère, mais aussi les milliers de naufragés depuis des années, noyés comme lui, sont zappés) et étouffe dans une sirupeuse commisération la pensée critique, tout en isolant le fait de son contexte et de ses causes. Un peu comme le social est noyé dans le sociétal. La politique dans le compassionnel et le confessionnel.

Condenser dans cette scène la monstrueuse politique occidentale au Proche Orient permet de circonscrire, de réduire la catastrophe qu'elle ne cesse d'engendrer dans une tragique mais banale noyade d'un enfant rejeté sur le sable.

De nombreux enfants se sont noyés sur les littoraux méditerranéens cet été-là (et les autres étés, passés et à venir). N'importe quel enfant, n'importe où dans le monde aurait inspiré une émotion similaire.

Ici, ce n'est pas de cela dont il est question.

Il s'agit d'une entreprise de noyade à une échelle plus considérable. Un holocauste gigantesque faisant des dizaines de millions de victimes dans la région et cela dure depuis plus d'une dizaine d'années, bien davantage si les médias ? si prompts à s'indigner, car l'émoi est sa matière première, son fond de commerce.

Pourquoi ne pas daigner visiter, filmer et photographier, puis mettre en scène par exemple le cauchemar des Palestiniens embastillés dans ce gigantesque univers concentrationnaire qu'est devenu Ghaza ?

Là, des enfants se noient dans la misère, l'oppression et l'extermination à petit feu, méthodiquement, scientifiquement organisée par un « Etat » hébreu qui ne reconnaît que lui-même, éperdu dans son reflet spéculaire. Les plages débordent de milliers d'enfants palestiniens échoués là dans une vaste prison à ciel ouvert. Cela dépasse l'imagination d'un Torquemada. Et cela dure depuis 1948.

En face, le désert des Hautes Consciences?

Il y aurait pourtant à Ghaza matière à « Printemps ». Une «Révolution » printanière et colorée, fruitée ou fleurie. Ainsi conçue, ainsi vendue. De l'orange au velours, de l'œillet au jasmin?

Pourquoi donc les BHL, les Badinter, les Fabius, les Zemmour, les Finkielkraut? ne trouveraient-ils pas avantage et prestige à s'y précipiter pour sauver ce peuple de la noyade ?

Au lieu de projeter et de réaliser la destruction de pays entiers, au nom de libertés formelles derrière laquelle s'ourdit le démantèlement des nations. Il y a deux manières de tuer un événement : l'effacer si on peut le cacher ou le noyer dans sa représentation démultipliée si on ne peut faire autrement.

C'est cela qui s'est joué, de la honte du silence à la rédemption cacophonique.

?Dans un monde de barricadés

Une émotion n'est authentique que s'il y a identification. Et c'est cette identification génératrice de « sympathie » (au sens fort du mot) qu'une machine médiatique et politique se serait attachée à endiguer et à prévenir.

Au cours de ces dernières décennies, les Occidentaux se sont fabriqués une frontière, une rupture essentialisée, un mur de plus en plus haut, entre le « nous » et le « eux ». D'autant plus facilement d'ailleurs qu'on a réussi à persuader une grosse minorité de citoyens qu'ils sont menacés par une invasion de hordes barbaroïdes inassimilables qui menaceraient leur quiétude et leur prospérité. Avec lesquelles aucune solidarité n'est concevable.

Un film, parmi d'autres, confine à la caricature et illustre de manière pédagogique cette idée : « World War Z » (Marc Forster, 2013, 123 mn)[4]. Ce qui effrayant dans ce film ce n'est pas la monstrueuse réalité fictionnelle qui est mise en images.

C'est l'idée politique qu'il distille de manière quasi-subliminale, faisant le lien avec ce que suggèrent les informations propagées tous les jours dans les médias et dans les discours des hommes politiques, rendant ainsi cette fiction vraisemblable, qui est effrayant. La narration très réaliste, précipitée pour empêcher de penser à la mode « 24h chrono », renforce cette identification.

La vraie raison du silence est bien plus scandaleuse et c'est pourquoi la photo a été refoulée comme les réfugiées et les étrangers en France qui en accueille plus de 10 fois moins que son voisin allemand.

La vérité que l'on veut cacher et que révèle l'unanime escamotage de la photo est que les xénophobes n'habitent pas tous au Front National. Et il n'est pas certain que tous les électeurs frontistes ? en raison même du caractère attrape-tout de ce type de mouvement en période de crise sociale et économique - soient des xénophobes. Pas plus certain que tous ceux qui en parlent ou qui le revendiquent aient tous une acception identique de ce que recouvre ce mot. Comme certains ex-pays de l'Est, Yves Nicolin (député-maire de Roanne du parti Les Républicains) s'est dit prêt à accueillir des réfugiés « à la condition qu'ils soient chrétiens » [5]

La vérité est que les idées du Front National hantent tous les partis dits « de gouvernement ».[6] Est-ce à dire que tous les Français sont racistes ? Bien sûr que non. Ni les Français, ni les Européens.[7] Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette photo a été soustraite à la vue de tous. Depuis sa diffusion les initiatives solidaires privées se sont multipliées.

N'est-ce pas Marine Le Pen, à propos des réfugiés, qui explique : « Ils fuient la mort que nos dirigeants leur ont apportée », citant la Libye, « livrée aux fondamentalistes islamistes » par N. Sarkozy avec le soutien de F. Hollande et « le mauvais choix » opéré en Syrie.

« Ce qui est extraordinaire d'hypocrisie c'est qu'il vous faut une photo, bande de salauds, pour vous émouvoir. Vous découvrez aujourd'hui parce qu'il y a une photo, au demeurant bien présentée, que des enfants meurent. C'est de la comédie. La compassion c'est une affaire qui ne doit pas être commerciale. On ne la vend pas au micro » s'indigne Gilbert Collard député FN du Gard.

C'est de bonne guerre?

En vérité, les Français, comme d'ailleurs la plupart des Européens, contrairement à ce que l'on veut leur faire croire, ne sont pas menacés par l'Islam, par les Musulmans ou par les Islamistes. Ils sont menacés par une déchristianisation à un stade très avancé. Même le christianisme, sous les dehors de liberté d'expression, est soumis à de sévères campagnes médiatiques.

Les églises et les cathédrales ne sont plus assidûment envahies que par les hordes de touristes bruyants, inciviles, caméras en bandoulière, bousculant sans ménagement des bigots du quatrième âge accrochés au pari de Pascal.

Même l'accroissement rapide du chômage ne réduit pas la crise des vocations. L'Eglise a du mal à se renouveler. Au tarissement du denier du culte s'ajoute le scandale des prêtres pédophiles et surtout leur prolifération médiatique tapageuse.

L'amour chrétien dégénère en charcuterie et en cochonnaille. « Sus au halal ! » remplace « Sus au sarrasin ! » Le christianisme se réduit à une vaine et futile (quelque fois dangereuse) confrontation avec ce qu'il n'est pas. Des apprentis sorciers attisent le feu et orchestrent le passage du dialogue au « Choc des civilisations ».

Les Musulmans de France ne sont toutefois pas abusés : si on laisse de côté les vieilles et inconsolables reliques des guerres coloniales, derrière l'allergie islamophobe se tapissent de vieux comptes à régler entre les adeptes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Rien ne sera pardonné aux descendants de la « secte du poisson » Ichtus, le Nazaréen. Les adeptes des fois étrangères ? Des victimes collatérales.

Non. L'Europe ne devient pas musulmane. Elle n'est pas menacée par l'Islam. Ni en son commerce, ni en ses industries, ni en ses banques, ni en son gouvernement, ni en ses casernes. Elle cesse peu à peu d'être chrétienne. Cultuellement et culturellement. Voilà tout.

De la guerre des images à la guerre sans images

Outre la fin de conscription, la professionnalisation et la privatisation de la défense « nationale », de la guerre du Viêt-Nam, une leçon cardinale a été retenue. La photo du petit syrien a été précédée par une photographie semblable qui a hanté les mauvaises consciences en se superposant à celle de cet enfant.

Sur la route numéro 1, un 08 juin 1972 courrait une petite fille toute nue en pleurs, hurlant de douleurs et d'épouvante, brûlée au Napalm, pourchassée par des B52 larguant des bombes au phosphore. L'armée américaine apportait alors généreusement un témoignage saisissant de ses bienfaits civilisationnels au peuple vietnamien.

Les Américains n'ont jamais oublié cette scène humiliante du 30 avril 1975 que les photographes et les caméras ont immortalisée : des hélicoptères se succédaient au-dessus du toit de l'ambassade des États-Unis à Saigon (rebaptisée depuis Hô-Chi-Minh-ville), évacuant en urgence les derniers Américains pour les emmener au large à bord d'un porte-avions...

Est-ce pourquoi Google vient, fin août 2016, de la déclarer imago non gratta sur Facebook pour propagande pédopornographique [8] ?

Cela ne devait plus se reproduire.

Cette scène a été rejouée en sens inverse à Koweit City en 1991. Des images diffusées à l'échelle planétaire pour effacer les images de la fuite du Viêt-Nam, montre ostensiblement un hélicoptère déposant par un filin des Américains sur le toit de l'ambassade des Etats-Unis. Partie du Viêt-Nam en avril 1975, l'Amérique est de retour au Koweit en avril 1991.

Ainsi conviendrait-il d'interpréter le slogan de l'ancien acteur de cinéma de second rôle, R. Reagan « America is back !»

Ce n'est pas un hasard si c'est à Hollywood que le Pentagone a cherché le président dont l'Amérique avait besoin pour mettre en scène son triomphe de l'Union Soviétique.[9]

On peut faire le tour du monde et de l'histoire en faisant le tour des images.[10]

Les images sont des armes, des instruments de coercition comme les autres et, dans certains cas, plus puissants que les autres. Dans la guerre des images, c'est la guerre image contre image. Mais dans la plupart des cas c'est, pas d'images du tout. La plupart des guerres contemporaines ont été presque totalement exemptes d'images.

Mais il arrive quelques fois que les images font le mur et échappent à la vigilance des gardes-frontières. C'est alors par surprise qu'elles font irruption dans l'univers paisible des hommes dont les armées entreprennent des guerres dont ils n'ont aucune idée. Et dont on leur cache la véritable réalité et dimension.

Si le petit Aylan tentant en tout anonymat de fuir la guerre n'a pu aller plus loin qu'une plage de Turquie où son cadavre a échoué, sa photo a pris à revers les machines militaires les plus sophistiquées de notre temps et déstabilisé les coercitions les plus éprouvées. Lui donnant à son corps défendant une célébrité post-mortem dont il se serait volontiers passé.

Epilogue. La libre expression des charognards.

14 janvier 2016 paraissait un dessin ignoble du petit Aylan, d'un caricaturiste de Charlie Hebdo, prenant prétexte d'agressions sexuelles à Cologne.

Question : « Que serait devenu le petit Aylan s'il avait grandi ? », s'interrogeait le dessinateur.

Réponse : « Tripoteur de fesses en Allemagne » écrit-il au-dessus d'un croquis où figuraient deux réfugiés, langue pendue, à la poursuite de femmes.

Ce génie du crayon faisait directement allusion à la soirée du nouvel an à Cologne, où plusieurs centaines de femmes ont été victimes de violences sexuelles. Des agressions qui auraient été commises en majorité par des individus d'origine étrangère que pointe l'auteur de son trait acéré.

Face à la protestation des lecteurs, droit dans ses bottes, il persiste et signe.

Et il ne fut pas seul à faire front, la libre créativité artistique pour prétexte. Un peu partout au nord, mais aussi au sud, des indignés professionnels en quête de reconnaissance ont surfé sur la mode de l'islamisme barbaroïde, une carrière d'opportunistes au bout du crayon.

« La violence n'est pas un moyen parmi d'autres d'atteindre la fin, mais le choix délibéré d'atteindre la fin par n'importe quel moyen. » Jean-Paul Sartre

Note :

[1] Lire : Mort d'Aylan : mensonges, manipulation et vérité. Mathilde Damgé et Pierre Breteau, Le Monde.fr, J. 10.09.2015 à 12h04

[2] La Grande Bretagne ?qui n'appartient pas à l'Espace Schengen et qui se préparait alors à un référendum sur la continuité à son appartenance à l'Union - accueille traditionnellement surtout les « réfugiés » européens venus du continent pour y travailler. Berlin prendra le relais sans concertation avec Paris.

[3] « Pourquoi donc la France est-elle si peu attirante pour les réfugiés et les demandeurs d'asile, au point où la France donne l'impression de les implorer pour renoncer à l'Allemagne, à la Suède ou à la Grande Bretagne ? On a presque l'impression qu'il faut les persuader un par un de s'installer en France. »« La réponse à [la] question est simple : ils ne vont pas en France parce qu'ils vont en Allemagne». François Bujon de l'Estang, ambassadeur de France. France Culture, dimanche 09 avril 2016. Il faut trois mois à un réfugié pour trouver du travail en Allemagne. Il lui en faut neuf en France. Le choix est vite fait.

[4] Adaptation cinématographique du roman éponyme de Max Brooks : World War Z : Une histoire orale de la guerre des zombies. 2006. Le fait que l'auteur ne se soit pas reconnu dans le film n'est que de peu d'intérêt pour notre propos.

[5] Cf. Mathilde Montagnon, France Bleu Saint-Étienne Loire, lundi 7 septembre 2015 à 8:08.

[6] Cf. A. Benelhadj : Le Pen contre Le Pen. Parricide au Front National (Le Quotidien d'Oran, J. 27 août 2015)

[7] L'Islande se déclarait disposé à accueillir 50 demandeurs d'asile en début de semaine, 10 000 Islandais ont proposé de les héberger chez eux. Aujourd'hui le gouvernement islandais réévalue ses engagements.

[8] La photographie incriminée de la petite Phan Thi Kim Phuc, aujourd'hui viétnamo-canadienne, de l'agence Associated Press, a été récompensée par le prestigieux prix Pulitzer. Facebook a renoncé à sa censure ce 09 septembre face au tollé international qu'il a provoqué.

[9] Lire : VALANTIN Jean-Michel (2003) : Hollywood, le Pentagone et Washington. Les trois acteurs d'une stratégie globale. Paris, Autrement, coll. Frontières, 203 p.

[10] Lire : DEBRAY Régis (1992) : Vie et mort de l'image. Une histoire du regard en Occident. Paris, Gallimard, 526p.