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Le dégoût-âge, une marque de fabrique algérienne

par Kamal Guerroua

Autres temps, autres mœurs, dit-on ! Dans notre cas en Algérie, ce proverbe défraye la chronique dans le sens purement négatif du terme, hélas ! Pour cause, l'enthousiasme et l'engagement pour le changement de ces jeunes-là qui nous auraient séduit hier, optimistes et volontiers mobilisés, par leurs élans révoltés contre le parti unique, la dictature, l'inertie et la bêtise de leur époque (je pense en particulier ici à la génération d'Octobre 1988) menacent aujourd'hui de s'émousser, sinon de s'éteindre à petit feu. L'Algérie perd de son énergie motrice à mesure que les années passent. Elle perd surtout de sa capacité à imaginer l'avenir et à fructifier les possibilités d'un décollage tous azimuts. Un terrible coup de vieux qu'elle subit en pleine jeunesse ! Cette complainte n'est jamais, à proprement parler, une vulgaire jérémiade, râleuse ou plutôt triste mais un constat concret qui coule de source. Il suffit de regarder nos jeunes dans la rue les yeux rivés aux consulats étrangers, ou tout simplement adossés qu'ils sont aux murs, épuisés et rongés par le chômage, aux alentours des terrasses des cafés, des mosquées et des portails d'universités, pour sentir ce vent atrocement mauvais de la déprime qui emporte toute graine d'espoir sur son passage. Il semble que, face à une autocratie tout près du crépuscule mais plus soucieuse de l'allongement de son espérance de vie, des modèles d'autoritarisme à imiter, des richesses à piller et des luttes claniques à mener que de relève générationnelle à produire, ces derniers, les jeunes s'entend, se laissent facilement enivrer par les apparences trompeuses d'une société désormais portée sur le culte aveugle des fausses fortunes. Qui plus est répondent en écho pavlovien aux appels d'air de notre diaspora, ses invitations au départ, le grand large, les amarres larguées, les mirages ensorceleurs de l'exil vers d'autres cieux, plus attirants, plus cléments, prometteurs, etc. En ce sens qu'ils mènent ici une vie végétative, faite de précarité et de débrouille, dénuée d'amour et d'idéal sans qu'ils puissent poser trop de questions autres que celles concernant l'enrichissement rapide, le matérialisme, la fuite... Ce qui exaspère au plus haut point, c'est que ces jeunes-là ayant tant besoin de vivre à l'abri de la honte, du dédain et du mépris des autorités deviennent parfois mal dégrossis à force d'être incapables de communiquer autrement que par l'invective, l'insulte, la colère, les propos diffamatoires, etc. Produit d'une école déstructurée, noyautée et sinistrée, ils sont les souffre-douleur d'une machinerie sociale grippée et en perte de vitesse. Il serait toutefois vain d'en chercher davantage les causes ailleurs sous l'aveu d'échec de cette génération désabusée, désorientée, désenchantée. D'autant plus que nos responsables poursuivent, comme s'ils étaient mus par «une dynamique antisociale revancharde», cette opération de «destruction massive de la jeunesse». Pas question pour eux de propulser ces derniers sur la rampe du lancement du progrès ni encore moins les pousser à la lumière phosphorescente du nouveau jour pour conclure un New Deal. Au contraire, ils les laissent en proie à la contagion de la peste de l'indifférence et de l'oubli alors que la solution est à portée de main.