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MEMOIRES (MAL-) HEUREUSES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'Algérie par ses archives. Du royaume de Tihert à la colonisation (VIIIè ?XXè siècles). Recherche universitaire de Saida Benchikh-Boulanouar. Casbah Editions, Alger 2015, 436 pages, 1.000 dinars.

Dès le départ, un constat réaliste car il a, jusqu'ici, «plombé» toutes les tentatives de recherche (dans tous les domaines, il faut le préciser...et cela dure encore) : «Il faut souligner que les structures algériennes qui existent , n'ont pas toujours la culture de la communication et de la recherche : la rétention de l'information domine les esprits, par l'effet du pouvoir détenu, par tabou ou simplement par manque de formation du personnel . Le chercheur algérien devient un lutteur, un diplomate ou alors un politicien, ainsi il fait jouer les rapports de force et obtient au «compte-gouttes» les informations sans jamais pouvoir assouvir sa soif»

Ce constat ne semble pas l?avoir ni découragée ni freinée. Le résultat est impressionnant tant par sa quantité que par sa précision et ses détails.

L'auteure ne s'est pas seulement limitée à réunir les sources dispersées. Elle a interrogé l'historiographie algérienne (en se référant parfois à des textes et à des auteurs inattendus comme à des articles et des écrits de journalistes). Elle est remontée loin, très loin, fournissant un immense trésor d'informations sur (presque) toutes les époques importantes de notre histoire et, surtout, sur les sources archivistiques utilisées ou disponibles... ou perdues... ou cachées..., ou «croupissant dans des lieux inappropriés, sans aucun traitement, rongées par l'humidité et les insectes» ... en Algérie et à l'étranger ... sur : La Berbérie musulmane / Le Royaume rostémide ancêtre du M'zab/ Les Zirides et les Hammadides/ Les Almoravides et les Almohades / Le trois grandes dynasties arabo-berbères : les Mérinides, les Zyanides et les Hafsides /La période ottomane/ Les sources autochtones : L'Etat de l'Emir Abdelkader, les écrits algériens du XIX siècle...

A noter une très riche bibliographie, une liste des «sources oubliées», une autre liste impressionante des «sources d'archives» en Algérie et à l'étranger , un glossaire.

L'Auteure : Chercheuse en histoire de l'écrit et enseigante universiatiare. Des travaux spécialisés en historiographie maghébine. Expert-conseil en archivistique. Militante pour la préservation du patrimoine historique.

Extraits : «La création des archives correspond à des nécessités immédiates, souvent de nature administrative ou économique, tandis que la bibliothèque est issue d'une démarche d'étude et de transmision des savoirs» (p 29), Les musulmans doivent leur épanouissement culturel au Moyen- Âge, à la nature même de leur religion, qui place la science et le savoir au cœur de la foi musulmane» (p 37)

Avis : Ouvrage très spécialisé destiné d'abord et avant tout aux chercheurs, mais pouvant être très utile au lecteur moyen curieux de connaître la mémoire (existante ou lacunaire) de son Histoire.Un ouvrage de référence.

Citations : «L'accès aux archives est au cœur de la démythification et de la décolonisation de l'histoire longue de l'Algérie» (p 9), «Démythifier et décoloniser, c'est avant tout identifier et accéder aux sources locales authentiques, pour les connaître, savoir les décrypter, les analyser, les interpréter et leur appliquer les lois de la méthodologie historique» (p 296), «Elles (les archives) sont une part essentielle du patrimoine de tout un peuple et sont indispensables au développement d'une conscience et d'une identité nationale» (p 296), «La situation des archives n'est pas sans rapport avec le développement véritable de la recherche scientifique et historique, tous domaines confondus» (p 297)

Algérie-Kabylie. Etudes et interventions. Essai de Hugh Roberts. Editions Barzakh, Alger 2014, 335 pages, 900 dinars

Des études et des interventions qui s'étalent sur le sujet de 1994 à 2007. L'ouvrage réunit des articles et des entretiens sur le champ politqiue algérien et surtout sur la Kabylie que l'auteur connaît plus particulièrement pour y avoir vécu, enseigné et mené des enquêtes sur le terrain. Départ en trombe avec une introduction (simple, claire et directe) sur les «prémisses historiques d'une libération inachevée». Un titre qui veut tout dire ! La première partie de l'ouvrage, sous forme d'études, est consacrée à une approche historique, sociologique et anthropologique de l'Algérie, ce qui lui permet de présenter «la guerre civile» de 90 à 98 et d'aborder les spécificités du pays : la violence entre micro-sociologie et l'Histoire avec une analyse très critique d'un livre de Luis Martinez, les perspectives sur les systèmes politiques berbères (en revenant à des ouvrages de Gellner et de Masqueray et sur «l'erreur» de Durkheim), la Kabylie à la lumière tremblotante du savoir, quelques approches théoriques à l'analyse du champ politique algérien (en revenant à Gellner et à Bourdieu)

La deuxième partie concerne des interventions axées toutes sur la Kabylie qu'il a examinée, sous toutes ses coutures. Il est vrai qu'au début des années 2000, la (Grande-) Kabylie a été le lieu de luttes culturelles et politiques assez dures, mais aussi un enjeu quasi-idéologique (attractif), avec son approche de la vie démocratique que l'on ne retrouve pas dans les autres régions du pays.

Deux autres textes intéressants : un portrait émouvant (décidémment, c'est une malédiction. Nos «vrais» grands hommes - ceux qui apportent ou ont apporté une «plus-value» intellectuelle et culturelle - d'aujourd'hui sont beaucoup plus encensés par les étrangers que par nous-mêmes) de Mahfoud Bennoune ( «un homme bon. Et ce qui est peut-être encore mieux, un homme «dur»), le grand sociologue algérien décédé (et inhumé) aux Etats-Unis... et l'officialisation de Thamazight avec la question de la graphie (Il propose un «deal» avec une graphie officielle choisie, pratiquée et enseignée par l'Etat... ceci n'engageant nullement les organisations du mouvement associatif amazigh à l'application automatique, chacune ayant le droit entier de faire le choix de graphie qui leur convient, selon les régions et les réalités du terrain). Un pari bien osé, bien qu'intéressant, avec des acteurs, tout aussi radicaux les uns que les autres.

La conclusion (comme d'ailleurs l'introduction) est une partie encore plus intéresante . Pour le chercheur, il faudra qu'un personnel politique nouveau se manifeste et prenne en charge le grand problème du rapport Etat-société en Algérie, problème qui se manifeste surtout dans la crise des institutions. Bref, l'émergence de nouvelles élites nationales guidées et porteuses d'une nouvelle vision politique bien ancrée dans les meilleures traditions du pays, informée par les expériences d'autres peuples, et réaliste et audacieuse à la fois.Vaste programme ! Impossible à mettre en œuvre car l'Etat algérien a, jusqu'ici, pris beaucoup plus en considération, dans ses réformes, les vœux et les conseils de ses «partenaires» occidentaux et a adopté donc la «conception destinée à l'exportation» (assez déstabilisatrice, affaiblissant l'Etat, lorsque ce n'est pas carrément sa disparition, évitant toute «révolution») au lieu de rechercher et d'adopter une «conception adaptée». Quelques grandes lignes : D'abord établir un «bon rapport» entre le secteur informel et les institutions de l'Etat. Ensuite, la réforme des institutions politiques, les rapports entres les trois branches traditionnelles (exécutif, législatif et judiciaire) devant être revus et corrigés ; la première étant hypertrophiée, la seconde sans pouvoir de décision réel et la troisième dépendante de la première pour ne pas dire soumise). Enfin, que les partis politiques (les «partis tribuns»...il en cite quelques-uns... dont la fonction latente ou manifeste est principalement de vouloir organiser et de défendre des catégories sociales exclues ou se sentant exclues des processus de participation au système politique, comme d'ailleurs du bénéfice du système économique et du système culturel... ainsi que les «partis-facade»,... il en cite quelques-uns... en réalité des appareils de l'Etat et non des partis politiques authentiques avec une vie interne et une pensée politique... ) «cherchent, dans le mouvement national algérien, les fondements d'une démarche réformatrice sérieuse et efficace qui permettra à la communauté politique algérienne de relever les défis auxquels elle se trouve confrontée».

L'Auteur : Il a enseigné l'anglais en Algérie (à Bouira en 1973-1974) et il n'a cessé d'y revenir, même durant la «décennie rouge». Enseignant (l'Histoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient) dans plusieurs universités en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, chercheur indépendant et consultant. Auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie. Hugh Roberts est revenu à Tizi Ouzou, mercredi 17 août 2016, pour présenter son ouvrage : tout en affirmant que sa famille et lui-même n'avaient jamais douté de la justesse du combat contre le colonialisme, du peuple algérien pour sa libération. Durant les années 90... il avait gardé l'espoir de voir l'Algérie s'en sortir... «au moment où une grande partie des intellectuels, même algériens, désespérait...Et, il est «très optimiste pour l'Algérie et son avenir»

Extraits : «Avec le Fln, le nationalisme algérien recule pour mieux sauter. La nouvelle stratégie reste axée sur l'objectif moderne de l'édification d'un Etat-nation, mais sa mise en œuvre commence par la mobilisation du traditionnel, ce qui ne manque pas de faire naître de nouvelles contradictions au sein du mouvement, tout en tendant à exclure la perspective d'un Etat algérien calqué sur le modèle de la République française» (p 19), «Les puissances occidentales d'aujourd'hui n'ont que faire de l'intérêt national et de la cohésion sociale des autres, cela ne reste plus à démontrer» (p 299)

Avis : Un ouvrage qui date, mais qui fournit un point de vue original... d'autant qu'il a des propositions bien concrètes... tirées d'une connaissance détaillée, méticuleuse, du terrain. Ah ! le pragmatisme américain.

Citations : «La sagesse rétrospective est toujours facile et, le plus souvent, illusoire et vaine» (pp 19-20), « Les mutations culturelles qui s'opèrent dans une société apparemment figée sont souvent des plus difficiles à cerner. Quand il s'agit d'une société formellement soumise, dont l'Etat se soucie peu ou pas du tout, et pour laquelle il n'a ni sympathie ni respect sincère, les mutations dont il est question deviennent insaisissables de l'extérieur «(p 32), «La France en 1954 a affaire à un adversaire algérien beaucoup plus redoutable que jamais auparavant, mais elle l'ignore» (p 33), «Le 1er Novembre 1954 est un produit, sur le plan extérieur, de l'ordre mondial nouveau-né de la guerre de 1939-1945» (p 34), «Tout acquis a un prix» (p 286), «L'idée que l'objectif de tout regroupement d'hommes (de nos jours les femmes évidemment en font partie aussi) digne du nom de «parti politique» est de promouvoir l'intérêt national, est fondamentale et indispensable» (p 318)

Les mémoires de Hadj Ahmed Bey (1774-1850). Etude de Djilali Sari. Anep Editions, Alger 2015. 211 pages, 650 dinars.

Hadj Ahmed Bey, unique bey fils d'une mère algérienne ( Hadja R'quya Bent Gana), a été le dernier bey de Constantine. Investi en 1826, il n'a jamais cédé aux offres de l'occupant contrairement aux deux autres beys (de Médéa et d'Oran), et il a mené la résistance jusqu'à fin mai 1849. Il y eut même une tentative de le remplacer par le Bey de Tunis. Il ne fut capturé que suite à un double traquenard.. Il fut interné (en résidence surveillée) à la ruelle Scipion (Bab Azoun Est/Alger). L'auteur, à travers une analyse de contenu fouillée et plus que rigoureuse, démontre que les «Mémoires « de Hadj Ahmed Bey », connues du grand public et surtout des chercheurs, ne sont, en fait, qu'une traduction en partie falsifiée des propos et autres confidences recueillies (sans témoins) par un officier des Bureaux arabes, le capitaine de Rouzé, seule personne admise à entrer auprès du chef, désormais «prisonnier» à Alger. Déjà, au départ, un entrefilet du 6 mars 1849 (pp 139 et 140) paru dans le journal colonial Akhbar, annonce la couleur par un ton moqueur et folklorique. Il décrit un Ahmed Bey confiné en son domicile, «au milieu de son harem de treize femmes et qui mènent une existence assez triste? ne voyant de l'extérieur que le petit espace de ciel qui s' étend au-desus de la cour»... jusqu'au 30 août 1850, date de son décès.

Marcel Emeri, un chercheur -grand découvreur de documents au fond des Archives, sans aucune mention, comme l'original du traité de la Tafna - qui a présenté les «Mémoires» en 1949 n'est pas plus totalement objectif. Il trouve que « le style du document et la tournure d'esprit du rédacteur (le capitaine de Rouzé) sont d'une allure tellement barbaresque (sic !) » qu'il est «obligé d'admettre que le bey Hadj Ahemd a dicté lui-même ses souvenirs».

Il reconnaît cependant que si les adversaires du Bey l'ont présenté comme un «tyran cupide et sanguinaire» (sur la base du seul document existant écrit par un homme qui le détestait, un certain Salah El Antri, secrétaire du bureau arabe de Constantine, «médiocrement informé» ), une opinion adoptée par les généraux (français )... dans ses mémoires, on retrouve «un homme pondéré, pacifique, respectueux de la volonté du peuple, exprimée par la voix des notables, généreux, autant qu'il est possible envers ses ennemis»... Et, d'ajouter que «bien que ce Turc n'était pas un ange et s'il avait été un tyran détesté, il n'aurait pas pu lutter pendant 18 ans contre nous... et lors de sa reddition, en 1848, interné quelques jours à Constantine, toute la popluation se cotisa pour le pourvoir en vêtement et en vivres».

L'Auteur: Géographe de formation, et historien, docteur d'Etat, il est professeur à l'Université d'Alger depuis 1966. Membre de plusieurs Unions scientifiques internationales, il a participé à différentes manifestations scientifiques nationales et internationales. Auteur d'un grand nombre d'ouvrages. L'essentiel de ses publications (pour la plupart traduites en arabe) est consacré à l'évolution du pays et au reste du Maghreb durant les décennies écoulées, en privilégiant l'approche interdisciplinaire. Quatre ouvrages sur Tlemcen. Son ouvrage ?phare est celui publié en 1975 (Sned puis Enag, en français puis en arabe) : «La dépossession des fellahs, 1830-1962». (Voir article de l'auteur sur le sujet abordé in Le Quotidien d'Oran du 30 décembre 2015)

Extrait: « En dépit d'une correspondance soutenue et bien argumentée, Istanbul ne manifeste aucun geste laissant espérer une probable assistance dans les meilleurs délais possibles. En fait, un silence prolongé et déstabilisant, humiliant» (p 104)

Avis : A lire surtout par les étudiants en Histoire pour déconstruire les études historiques d'origine coloniale, pour affiner leurs approches méthodologiques et leurs analyses (critiques)

Citation : «Ils (les Français) n'ont aucun droit sur nos territoires dont chaque pouce est un bien hérité depuis des milliers d'années : nous sommes libres, comment se permettent-ils de nous vendre au gouverneur de Tunis ? Possèdent-ils quelque chose pour pouvoir le vendre ?» ( Extrait de la pétition signée par 60 principaux chefs du Constantinois, et adressée au Parlement britannique, par Hadj Ahmed Bey, p 9).

PS : - On savait bien que l'inactivité est le 4ème facteur de risque de mortalité précoce dans le monde après l'hypertension artérielle, le tabagisme et le diabète. Et, pour y faire face, on parlait surtout de bonne alimentation et de pratique d'une activité physique régulière : «Mangez, bougez !»... «Cinq fruits et légumes par jour !» (facile à dire, pas facile à acheter)

Eh bien, ce n'est pas tout. Si voulez vivre deux années de plus... il faut (aussi) LIRE. De la nourriture cérébrale : «Mangez, bougez («10.000 pas par jour», selon l'Oms) , lisez !» (facile à dire, pas facile à acheter avec des prix inaccessibles pour les livres importés et quasi-inaccessibles pour les livres nationaux). Heureusemnt qu'il y a ?Le Quotidien d'Oran...du jeudi («Autrement vu»). Pour 20 dinars (jour), de quoi lire durant une semaine !

Selon les résultats d'une étude menée (avec des personnes âgées de 50 ans) par les chercheurs de l'université de Yale (Etats-Unis), un amateur de littérature (on ne nous précise pas le genre... et cela n'a pas d'importance, bien qu'à mon candide avis, la littérature «rose» serait bien plus «optimiste» que la «noire» ou la thésarde ) vivait en moyenne 23 mois de plus qu'un individu qui ne lit jamais. Une demi-heure de lecture par jour diminue de 23% les risques de mourir sur une période de 12 ans.

Le drame, en Algérie, en plus du taux de lecture objectivement assez bas, le roman national (et le livre en général, comme ce qui s'écrit dans la presse) a un contenu trop austère presque toujours déprimant. Sinon mortel du moins morbide !