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Primaires françaises : présélections avant le grand match présidentiel

par Pierre Morville

Bien après Juppé, Nicolas Sarkozy vient de faire savoir qu'il sera candidat pour le scrutin dit de la « primaire » qui se déroulera à droite en novembre. En décembre, Hollande se déclarera candidat ou pas aux primaires du PS

Cette primaire vise à départager les très nombreux prétendants qui briguent l'adoubement pour être désigné comme le candidat officiel des Républicains, le principal parti de droite, à l'élection présidentielle française du printemps 2017. Pour l'instant, ils sont une petite quinzaine de prétendants à se disputer la 1ère place.

François Hollande, le président sortant, donnera, début décembre, sa position sur sa participation ou non à la primaire qu'organise le parti socialiste en janvier prochain. Au sein du PS, ils sont également une petite dizaine à déclarer concourir.

Les élections primaires ? C'est une idée piquée aux Américains, qui organisent effectivement un vote de 1er choix dans les deux grandes formations outre-Atlantique. Pour les prochaines élections présidentielles qui se déroulent en novembre, le Parti démocrate a choisi Hillary Clinton et le Parti Républicain a opté pour l'impayable Trump.

Les élections primaires à la française ? C'est apparemment une bonne idée, bien démocratique, qui interpelle les citoyens sur les choix des candidats qui vont défendre les couleurs des différents partis, et en concurrence pour la charge suprême : la présidence de la République qui, dans le cadre de la Vème République française, donne de très grands pouvoirs au président élu. Ce n'est pas une démarche obligatoire, le Front national a désigné Marine Le Pen comme unique candidate, tout comme le Front de gauche a mandaté Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle.

Usure de l'image des partis

Qui vote ? Tous les citoyens qui veulent participer à ces différents scrutins : pour les Républicains, le site primaire 2016.org indique que le vote est « ouvert à tous », avec néanmoins quelques critères. Les votants devront être inscrits sur les listes électorales du 31 décembre 2015. Ils devront signer la « charte de l'alternance » dans laquelle ils attesteront partager « les valeurs républicaines de la droite et du centre » et s'engager « pour l'alternance afin de réussir le redressement de la France ». Simple engagement.

Deux euros par tour seront également demandé pour couvrir les 8 millions d'euros que devraient coûter les primaires. Un très gros sacrifice financier ! Le système est à peu près le même pour les primaires qu'organise le Parti socialiste. Bon, en clair, tout le monde peut participer aux différents processus et rien n'interdit un électeur de gauche de participer au vote des Républicains et du centre, comme rien interdira un électeur du Front national de donner son opinion sur quel serait le meilleur candidat pour le PS, le tout dans le secret de l'isoloir.

C'est la démocratie « participative » qui fait justement participer au maximum l'électeur lambda aux grands choix d'orientation des vieux partis politiques français. Avant, c'était les états-majors qui choisissaient, dans le secret des salles fermées et des manœuvres de couloir, le « bon candidat » de chaque formation. Parfois, on poussait l'excès jusqu'à faire valider le choix faits par un vote des adhérents lors d'un congrès. Maintenant, ce sont tous les électeurs, tous les Français qui peuvent choisir leur champion dans chaque parti et organiser à leur sauce le 1er tour de l'élection présidentielle !

Un grand progrès dans la transparence et la participation citoyenne ? Les primaires ne sont hélas qu'en apparence, une bonne idée démocratique. Cela apparait surtout comme une fausse bonne idée. Plusieurs raisons au phénomène. Ce scrutin conforte la sacro-sainte dictature des sondages : des dizaines de milliers de Français sont quotidiennement interrogés sur des sondages aux sujets les plus divers (de « croyez-vous en Dieu », jusqu'aux meilleurs fromages du moment, de l'accueil ou non des réfugiés syriens à la côte de la dernière voiture sortie par le constructeur Renault? Et l'opinion exprimée devient alors une sorte de résultat quasi sacralisée alors que, bien sûr, la même opinion publique peut sur le même sujet, dans les jours ou les semaines qui suivent, radicalement changer d'avis? Les primaires ne sont qu'une photographie au temps T de l'opinion des électeurs d'un parti sur les candidats que celui-ci présente, opinion qui s'appuie beaucoup? sur les sondages.

Les primaires excitent évidemment les ambitions et personnelles et augmentent considérablement le nombre des postulants au poste suprême. Même ceux qui n'ont que très peu de chances d'aboutir sur un succès, se disent : « on va enfin parler de moi ! Je passerai dans les télés, les radios, tous les adhérents du parti me connaîtront »? ou « je suis jeune, je me prépare pour l'échéance d'après? ».

Arène de toutes ambitions, les primaires voient s'affronter des leaders ou des seconds couteaux dans le même parti où traditionnellement, il n'y a pas de très grandes divergences entre les uns et les autres. Il faut donc à tout prix se différencier, en faire plus que le voisin-concurrent.

Dans cette période d'attentats ou la sécurité est une vraie préoccupation des Français, ça aboutit à droite mais aussi à gauche à une surenchère surréaliste de proposition policière, pénale et carcérale? Si l'on en croît les programmes concurrent en lice dans chaque grande formation, on va passer en grande vitesse surtout à droite, de l'état d'urgence à l'état d'exception !

Enfin, dernier travers de ces primaires, les fractures internes de ces longues campagnes internes à chaque formation politique affaiblissent durablement ces dernières : les primaires, machines à perdre, montrent publiquement voire inventent des divisions au sein des partis dont l'image ne sort pas rehaussée. A quoi servent donc ces partis politiques qui ont déjà mauvaise presse s'ils ne décident même pas eux-mêmes du candidat qu'ils doivent soutenir ? A seulement coller les affiches ? Et le vainqueur de la primaire a quelque mal ensuite à s'imposer comme le vrai rassembleur des Français puisqu'il a été aux yeux de tous, l'un des grands diviseurs de sa propre formation politique.

Une étape dans le grand feuilleton présidentiel

On n'imagine bien que les haines palpables et exprimées publiquement entre les quatre principaux candidats à la primaire à droite ne s'estomperont pas miraculeusement lors de la vraie campagne, celle des présidentielles. Alain Juppé déteste Nicolas Sarkozy. L'ex président lui, méprise François Fillon, son ex 1er Ministre qui le lui rend bien. Ce dernier a de piètres résultats dans les sondages mais c'est celui qui compte le plus de parlementaires dans son comité de soutien. Et tous se méfient de Bruno Le Maire, ce quinquagénaire qui incarne la « jeune » génération montante. Dans la politique française, on est gamin jusqu'à au moins cinquante ans?

A gauche, où la primaire se réduit aux seuls candidats du PS, avec en plus deux écolos indépendants, Arnaud Montebourg, ancien ministre de François Hollande a annoncé en fin de semaine sa candidature à la présidence en reprochant à l'actuelle président d'avoir trahi ses promesses et son programme. Montebourg tout comme Alain Juppé à droite, n'a pas écarté l'idée de passer outre la primaire si, celle-ci lui était défavorable ou trop « manipulée ». Trahison, déloyauté : quels que soient les résultats de cette primaire et de l'élection présidentielle, Arnaud Montebourg et François Hollande pourront-ils faire partie de la même formation politique ? Peut-être non ; peut-être oui, parce que le froid réalisme des intérêts personnels peut finalement l'emporter mais dans ce cas, les dents vont grincer très longtemps et les coups bas continueront de même.

Aujourd'hui, le moins que l'on puisse dire en tous cas c'est que les scénarios de sortie de ces primaires sont extrêmement ouverts, tout comme l'issue de l'élection présidentielle de 2017.

Lorsqu'Alain Juppé s'est déclaré candidat, il y a plusieurs mois, les élections semblaient joués d'avance. Au top des sondages, l'ancien chiraquien ne pouvait faire qu'une bouchée de tous les candidats de gauche, François Hollande battant tous les records d'impopularité pour un président français en exercice. Modéré, faisant preuve de l'expérience et de l'autorité nécessaire, il pouvait aisément contrer Marine Le Pen. Juppé n'avait qu'un seul handicap : son âge, 75 ans lorsqu'il atteindrait la magistrature suprême, presque 80 ans à la fin de son futur mandat. Mais les Français adorent les vieux présidents, Charles de Gaulle, François Mitterrand?

Oui mais voilà, Nicolas Sarkozy qui avait annoncé abandonner la politique après son échec aux présidentielles précédentes, l'ambition et la rage de gagner lui étant chevillées au corps, est revenu dans le jeu. Bon tacticien, excellent manœuvrier, il a rapidement repris le contrôle de son propre parti, pièce essentielle dans la préparation d'élections majeures. Car, en 2017, se dérouleront dans le même temps deux scrutins décisifs : la présidentielle suivie immédiatement des élections législatives qui donneront ou pas au vainqueur de la présidentielle une large majorité de députés à l'Assemblée nationale, condition sine qua non d'un mandat sans trop de secousses, ni d'alliances compliquées.

Hollande pas encore totalement sorti du jeu

C'est ce qu'avait réussi François Hollande en 2012. Pourquoi donne-t-il donc tant aux Français l'impression d'un échec ? Les explications livrées ci-dessous ne sont évidemment que très partielles et ne rendent pas compte de certains succès de sa mandature.

François Hollande a sans doute en 2012, sous-estimé la gravité de la crise financière de 2008 / 2009 et ses conséquences sur l'économie européenne. Alors que les Etats-Unis et le reste du monde ont rapidement retrouvé une certaine croissance, d'environ 3,5% pour les USA, l'Europe (sauf l'Allemagne et les pays nordique) continue à se trainer, France comprise, autour de 1% de plus par an, ce qui est largement insuffisant pour refaire partir l'investissement et inverser la courbe du chômage. François Hollande pensait faire un plan de rigueur d'un à deux ans (fiscalité accrue, économies partout) pour ensuite redistribuer les fruits d'une croissance retrouvée : il n'aura plus que faire cinq année de rigueur sans redistribution. On est évidemment loin de « 60 promesses » faites par le candidat Hollande en 2012?

François Hollande n'a pas voulu non plus revenir sur l'excessive politique d'austérité budgétaire prônée voire ordonnée par l'Allemagne à l'ensemble de l'Europe. Il fallait de la relance, et donc du déficit budgétaire, le mot même qui étrangle Angela Merkel

Pire, le président s'est heurté sur la question sociale à sa propre majorité en faisant passer en force la « Loi Travail », défendu par sa ministre El-Khomri. Ce vaste catalogue disparate de dispositifs d'allègement des droits du travail, très libéraux d'inspiration lui ont valu l'opposition d'une très grande majorité de syndicats et la colère publique ou discrètes, de nombreux députés socialistes qui voient avec beaucoup d'inquiétude poindre les élections législatives alors qu'une très majorité de leurs électeurs sont en rage contre cette Loi Travail?

Autre difficulté majeure, le terrorisme, la France étant la cible privilégiée de Daesh en Europe, du fait d'une politique diplomatico-militaire souvent courageuse au regard de l'apathie européenne dans ces domaines. Nul pays ne peut circonscrire totalement le risque des attentats terroristes et les dispositifs établis rapidement par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve se sont révélés avec l'efficacité que l'on pouvait seulement espérer dans une telle période. Les dangers restent néanmoins aussi grands comme la montrait la terrible tuerie de Nice. Tout autre gouvernement ou autre majorité n'auraient pas su l'empêcher. Mais les Français restent terriblement inquiets et en font le reproche à l'exécutif actuel.

François Hollande avait su avec raison lancer l'état d'urgence mais la mesure symbolique de la « déchéance de nationalité pour les responsables d'actes terroristes » s'est rapidement engluée dans un débat pour savoir si cette mesure concernait tous les coupables ou seulement les binationaux. Cette dernière mesure avait un caractère ségrégationniste insupportable à la propre majorité de gauche.

Devant la division de son camp et les surenchères de la droite, François Hollande a préféré abandonner le projet. Il aurait mieux valu ne pas le lancer vu l'impréparation de cette réforme constitutionnelle.

Malgré tout, François Hollande, président sortant, devrait gagner les primaires du PS. Et si Sarkozy emporte les primaires à droite, Hollande conserve quelques chances pour les présidentielles, tant les deux anciens présidents sont aussi impopulaires l'un que l'autre. Ils savent tous les deux qu'ils affronteraient Marine Le Pen quasiment assurée d'être présente au second tour de la présidentielle de 2017. Et c'est bien là le plus désastreux échec commun des grands partis traditionnels français.