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Commémoration du 20-Août : les tirs amis laissent aussi des stigmates

par Farouk Zahi

«Le débat communautarisé empêche l'émergence d'une mémoire nationale plurielle» ( Ali Guenoun, historien et chercheur universitaire).(1)

La commémoration de ce double anniversaire n'a jamais suscité autant de débats et de commentaires écrits que celle de cette année. Souvent fouillés par le détail, les éléments apportés par les uns et les autres, s'entrechoquent, parfois, pour ne pas dire de contredisent. La lecture qui en est faite, est souvent sous tendue par l'émotionnel affectif qu'on peut porter à, l'un ou à l'autre, personnage ou à l'objet historique. Aussi, avons-nous jugé utile de commenter, ci après, quelques uns d'entre eux, sans porter de jugement de valeur sur la noble intention des rédacteurs de ces écrits.

Sous le titre d'une contribution intitulée : « Abane, guide de la Révolution, était grand, il est plus grand mort. »(2), Maitre Ali Yahi Abennour revient sur le parcours d'un de ceux qui ont fait l'exception dans leur quête de liberté en jetant les jalons d'une révolution qui fera date dans l'histoire de l'humanité. Cependant, en tentant de bonne foi de glorifier l'un d'entre eux, on risque d'être injuste envers les autres quand on sait que beaucoup de zones d'ombre persistent dans la narration des faits et leur analyse objective par les gens de l'art, les historiens. A la question : « Pourquoi cette date du 20 aout 1956, qui a représenté un tournant décisif dans la Guerre de Libération, continue d'être à ce jour sujet à polémique ? » ; Ali Guenoun apporte les éclairages suivants : « La polémique ne se situe pas chez les historiens qui refusent d'ajouter à la polémique, même si celle-ci n'est pas toujours négative. Ils militent toujours pour la séparation de leur travail du débat politique qui a d'autres buts et visées.

La polémique que nous évoquons ici se situe dans les débats politiques qui manipulent l'histoire pour apporter des réponses ou une caution aux questions du présent et du futur. Il faut replacer tout ce débat dans son contexte qui est celui de la course mémorielle liée à l'histoire de groupe. Il ne faut pas perdre de vue les positions de chacun lors de certains épisodes de la guerre mais aussi après l'indépendance et surtout leurs positionnements aujourd'hui. Le passé est souvent convoqué pour expliquer le présent. On se sert souvent du passé pour régler des contentieux hérités des sept années de guerre?..Le problème est que cette polémique tourne autour de la défense ou du dénigrement de tel ou tel personnage qui est identifié à une wilaya ou à une région, d'où le danger de l'éthnicisation du débat. C'est un débat communautarisé qui empêche l'émergence d'une mémoire nationale plurielle ».

Tout est dit dans cet avis que nous pensons être, éclairé. Car pour ceux qui, adolescents ont adulé ces personnages mythiques, toute critique même justifiée, est mal venue. On ne peut écailler impunément les dorures faites autour de ces personnalités sacralisées par le sacrifice suprême consenti pour que nous vivions dans la dignité humaine retrouvée. On oublie, souvent, qu'ils n'étaient, après tout, que des hommes avec leurs forces et leurs faiblesses et l'humeur du moment. Encore jeune pour rejoindre le maquis de la résistance, nous ne savions pas encore, que Amirouche était kabyle et que Zighoud Youcef était de Condé Smendou. Les seules images que nous gardons sur l'un, sont sa kachabia et son chèch et sur l'autre, son chapeau de brousse, butin sans doute d'un accrochage avec l'ennemi. Dans la région de Bou Saada où sont tombés au champ d'honneur, le 28 mars 1959, Si Amirouche et Si El Haouès, et en dépit du risque encouru, plusieurs pères de famille firent porter à leur garçon né, cette année là, le prénom du premier nommé. Nous étions des « Alice » qui se nourrissaient de légendes héroïques où la kachabia devenait par, on ne sait quel miracle, un gilet pare-balles. Le merveilleux l'emportait sur le réel tragique. Toute révolution, même entachée par l'échafaud est à glorifier ; le meilleur exemple nous est donné par celle de 1789. Elle est fêtée par ceux-là mêmes, dont l'ascendance nobiliaire a été passée par les armes des insurgés. Dans le registre de la commémoration et sans dénier à maitre Ali Yahia Abdennour son droit à la diatribe à l'encontre des pouvoirs publics ou du pouvoir en place comme il aime à le qualifier, une commémoration sur le lieu même d'un fait historique national peut, à la longue, en faire un événement exclusivement local et c'est ce qu'il faut éviter de faire afin de ne pas confiner un legs national dans un carcan territorial. Car, cette démarche si elle venait à être définitivement adoptée, la commémoration du 1er novembre ne se fera donc qu'au douar Ouled Moussa. Où c'est déjà Ouled Moussa ? La seule contradiction que nous pouvons apporter à sa contribution est relative au paragraphe que nous soulignons : « ...Ceux qui ont le courage ? qui n'est que le prolongement de la lucidité ? et la volonté de faire front à l'humiliation ont dénoncé l'amalgame qui a consisté à mettre sur le même pied d'égalité le 20 Août 1955 et le 20 Août 1956, qui ne sont ni de la même catégorie, ni du même poids, ni de la même taille, ni du même niveau. Les assimiler, c'est faire avaler des couleuvres au peuple algérien, le laissant affamé de vérité. Sellal, Premier ministre, entouré de plusieurs ministres et de la bureaucratie centralisée et centralisatrice, a célébré, le 20 août de l'année dernière, le 20 Août 1955 à Constantine et, accessoirement, le 20 Août 1956. En réalité, le 20 Août 1956 a été mis entre parenthèses »

Le peuple algérien, dont on s'apitoye du sort qui lui est fait, n'est ni affamé de vérité, ni avide de dissension. Il assume son histoire plutôt flamboyante que ternie par des querelles de clocher. Dieu, dans son infinie bonté a inspiré le législateur post révolutionnaire pour décréter le 20 aout comme un double anniversaire dédié aux combattants de la liberté et dont chaque famille en a payé le prix fort par le don sacrificiel d'un ou de plusieurs membres parfois. La comparaison pugilistique que vous faites entre les deux haltes historiques- catégorie-poids-taille-est pour le moins incongrue. Comme vous le savez, si bien, le sacrifice suprême est dans le contexte, incommensurable. L'insurrection du Nord Constantinois a été, pour ceux qui y en ont survécu, un deuxième Mai 1945, avec cependant un nombre moindre de victimes. L'intention génocidaire était encore vive chez l'occupant, sauf qu'à la place du général Raymond Duval il y avait, cette fois ci, le général Lorillot commandant en chef des forces armées en Algérie qui en donna l'ordre. La rencontre première avec le semeur de mort, Paul Aussaresses de sinistre mémoire, eut lieu à Skikda. Quand des hameaux étaient pilonnés par un croiseur de la Marine française mouillant au port de Phillipeville et les gens hagards crucifiés par centaines au stade Cuttoli de Skikda et ensevelis au bull- dozer ; la conscience humaine devrait baisser la tête pour ne pas se regarder au miroir de la honte. Les estimations les plus optimistes faisaient état de 7.000 morts. Ne dit-on pas qu'un seul mort, est un mort de trop ?

Mohamed Harbi, qu'on ne pourrait accuser de collusion avec l'ennemi et de par son passé militant et de par son statut d'historien a, lui aussi, porté une violente estocade à la résistance nationale. Il a, dans une interview publiée en 2011, jeté le doute dans les esprits non avertis en affirmant que la révolution algérienne a fait beaucoup de victimes tombées aux mains du FLN/ALN. Le terme « tombées » est à la limite du tendancieux comme s'il s'agissait de traquenards posés sur la route des victimes par quelques bandes armées sans discipline aucune. Faut-il rappeler que la révolution, selon Larousse, est : « Un changement brusque et violent dans la structure politique et social d'un Etat qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir » ? Et comme chaque révolution enfante son propre antagoniste, la nôtre, inspirée par celle du colonisateur n'a pas dérogé à la règle. Encyclopédia Universalis en donne l'explication suivante : « La Révolution ne fut pas un torrent impétueux balayant tout sur son passage ; les idées de liberté et d'égalité n'ont pas triomphé d'un coup, sans susciter de résistance. A la Révolution s'est opposée, dès 1789, la contre révolution celle du péché originel. Loin de se limiter sur le plan idéologique, la lutte fut sanglante, divisant la France en deux camps qui pèse aujourd'hui encore sur la vie politique comme sur l'historiographie française. Gauche, droite du moins celle qui s'affirme comme telle, le combat remonte à la Révolution et chacun a garde de cette époque ses héros de prédilection, Marat et Robespierre pour les uns et Rivarol et Charrette pour les autres ». Voilà qui tempère, un tant soi peu, les avis tranchés de quelque bord que ce soit.

Dans une contribution intitulée : « De l'insurrection à la Révolution » (3), Boukhalfa Amazit, grand journaliste et scénariste de l'histoire, abonde dans le sens d'une lecture apaisée de cette importante halte de la Révolution : « ? Nous ne disposons pas, ou pas encore, de documents en quantité ou en qualité suffisantes qui permettraient au chercheur ou à l'historien d'analyser les débats qui se sont déroulés dans la maison forestière d'Ighbal, et encore moins de données qui rendraient fidèlement compte sur «qui a dit quoi» ou encore «qui a proposé quoi».

Aussi, attribuer aux seuls Larbi Ben M'hidi et Abane Ramdane l'exploit, car c'en fut un et un grand, serait une gageure, mais aussi cela équivaudrait à minimiser l'importance de personnages comme Krim Belkacem, Zighoud Youssef, Amar Ouamrane, Lakhdar Bentobbal. Ces personnalités de légende ayant été les seules admises aux débats. La règle en était que chaque zone, dont l'appellation deviendra «Wilaya», serait représentée par son responsable, son responsable seul, à l'exception de la zone 2, pour laquelle Bentobbal, l'adjoint de Zighoud, participera. (Cette exception est, probablement, due au fait que l'initiative de réunir les chefs de guerre venait initialement de cette même zone. Elle devait même l'abriter, n'était-ce la survenue de quelques imprévus événementiels- (Note de l'auteur)

Certaines sources affirment que Krim Belkacem aurait proposé au Congrès une direction militaire intérieure unifiée et pourquoi pas sous le commandement synoptique d'un général en chef. Abane lui aurait opposé sur un ton amusé : «Et bien entendu tu serais ce général». Cette analyse est, on ne peut plus claire, et sur la collégialité dans la prise de décision et la volonté d'éradiquer des esprits toute velléité d'héroïsation.

Cette justesse de vue est corroborée par le document : « A propos de la Plate forme de la Soummam » qu'il joint à sa contribution et daté de novembre 1969 signé de la main du défunt Amar Ouzegane qui déclare être le co-auteur avec Arezki Bouzrina et Ahmed Gharmoul, de la Plate forme d'Alger qui sera plus tard, après quelques amendements et rajouts, la future Plate forme de la Soummam. Voici qu'un autre éclairage vient illuminer les sentiers de la vérité historique. La fameuse équation : « Primauté du politique sur le militaire et la primauté de l'intérieur sur l'extérieur » a, semble-t-il, été un vœu pieux puisque balayé par la réunion du CNRA tenue un an après, jour pour jour, au Caire. Il y aura de ceux qui ont voté la résolution à Aghbal qui vont se déjuger lors de cette dernière réunion. L'historien, Rabah Lounici de l'université d'Oran lève un lièvre de taille. Selon lui, la levée de boucliers est consécutive à la mauvaise traduction du texte originel rédigé en français quand il énonce « le politique ». Ce n'est forcément pas le « politicien » qui est désigné par ce vocable à connotation plus générale ; il s'agirait plus de l'action politique qui devait primer sur l'action militaire.(4)

L'on peut se demander à postériori, comment des chefs politiques et dont la plupart ont occupé des fonctions militaires en qualité de chefs de Zône à l'instar de Ben M'hidi, Krim Belkacem, Didouche Mourad et Ben Boulaid ne trouvèrent aucune incompatibilité à exercer les deux fonctions simultanément ? Peut-on, honnêtement, considérer Si Zighoud comme, exclusivement, chef militaire quand on sait que l'insurrection du Nord Constantinois est une réponse hautement politique à la guerre que comptait mener Mitterrand, ministre de l'Intérieur français de l'époque. A une encablure de la première Conférence des pays non-alignés de Bandoeng à laquelle le FLN y était invité, l'Insurrection venait à point nommé pour internationaliser l'Affaire algérienne. Le choix du 20 aout, n'est pas fortuit, il renvoyait à la destitution et la déportation du Roi du Maroc Mohamed V, une année avant. La profondeur maghrébine de l'émancipation des peuples, n'était pas étrangère au chef de guerre qu'était Sidi Ahmed, affectueux surnom donné au colonel Zighoud. Il a été remarqué, une profusion d'articles traitant de la Plate forme de la Soummam, dans un quotidien francophone à grand tirage pour un ou deux articles sur l'Insurrection du Nord Constantinois comme si ces deux événements majeurs ne se sont pas déroulés le même jour du mois d'aout et dans le même pays. Ne sont-ce pas les signes avant coureurs d'une communautarisation de la mémoire qui ne doit être que nationale et plurielle ?

Note :

(1) El Watan du 20/8/2016.

(2) El Watan du 18/8/2016).

(3) El Watan du 20/8/2016

(4) El Khabar du 20 /8/2016