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Jeux de Rio : la fête fut belle, la gueule de bois sera lourde !

par Sid Lakhdar Boumédiene*

La morale raciste affirme que les peuples du Sud sont condamnés à leur sort car ils sont incapables de faire autre chose que chanter, danser et faire la fête au dessus de leurs moyens.

Il faut bien entendu rejeter cet argument inadmissible en ce qui concerne les huit ans de samba que s'est offert le Brésil avec la coupe du monde et les Jeux Olympiques. Mais parfois, il faut se retenir fortement pour ne pas avoir cette pensée du diable vous envahir, très fort !

La contraction de l'économie brésilienne pour cette fin d'année est prévue à 8%. Le PIB par habitant pourrait chuter de 20% si la tendance actuelle continue. Cette situation n'est pas celle de la Grèce mais s'en rapproche dangereusement. Le pessimisme est autant présent si on rappelle l'effondrement du prix des matières premières dans le monde. Certaines statistiques font apparaître une chute de 41% des revenus depuis l'année 2011.

Deux agences de notation internationales venaient de déclasser le Brésil dans la catégorie la plus basse. Et même s'il en coûte de nommer le nom de Goldman Sachs, à l'odeur sulfureuse, son avis est assez éloquent lorsqu'elle prétend que le Brésil est dans une situation de « profonde dépression ».

Les analyses de la Barclays Bank ne sont pas plus encourageantes car l'institution bancaire estime que la dette du pays devrait atteindre plus de 90% du PIB. La banque rappelle que seules l'Ukraine et la Hongrie font pire parmi les pays émergents. Sans doute faut-il rappeler que la dette du Japon, nous y reviendrons, est à près de 250 % du PIB. Cependant, il faut en convenir, ce pays riche, aux difficultés qui durent mais conjoncturelles, ne peut être comparé au Brésil.

Et ne parlons pas de la situation politique et institutionnelle du Brésil où l'affaire de la destitution de la présidente n'est pas plus réglée que la fragmentation des voix au Congrès. En résumé, le Brésil s'est payé une fête gigantesque, à l'image du père de famille endetté jusqu'au cou mais qui, pour rien au monde, ne se serait privé d'un mariage ruineux au bénéfice de sa fille et pour le plaisir d'en mettre plein la vue à la société. Le problème est que le Brésil a fait fort, il a organisé, en huit ans, deux énormes spectacles mondiaux.

L'une des plus belles chansons au monde, « Manha de carnaval », en tout cas celle qui est la plus représentative de la ville de Rio, est tirée du célèbre film Orfeu Negro. Jamais mélodie et paroles n'auront été aussi adaptées aux lendemains douloureux d'un carnaval tragique. Je recommande à chaque lecteur d'aller l'écouter. Eurydice n'a pas survécu à la nuit du carnaval qui fut un hymne à l'amour impossible. Elle en est morte au petit matin.

En son temps, la Grèce l'a payé très cher et aucune leçon n'avait pourtant été tirée de cette catastrophe économique nationale qui annonçait des lendemains très difficiles. On s'est aperçu récemment, avec la crise aiguë qui l'a frappé, que ce pays avait organisé des jeux pharaoniques alors qu'il ne disposait ni de cadastre ni d'un système de collecte d'impôts à la hauteur des exigences d'un pays moderne qui a eu la prétention d'adhérer à l'union européenne.

Le Brésil s'est offert une samba pendant huit années, si folle qu'elle a plongé l'esprit des Brésiliens dans une hypnose collective. La ville de Rio, il faut bien s'en rendre compte aujourd'hui, était déclarée en faillite financière avant le début des jeux. C'est comme si un individu ayant tout perdu, percevant devant lui des jours difficiles, s'était payé une dernière nuit de débauche et de dépenses en invitant tout le quartier.

Pourtant, certains brésiliens avaient bien dénoncé l'irresponsabilité d'avoir organisé la coupe du monde et les jeux olympiques dans une même foulée. Une véritable folie furieuse qu'il faudra maintenant payer très cher, au prix de sacrifices énormes qui seront supportés par ceux-là même qui ont dansé la samba pendant quinze jours. Les brésiliens en hélicoptères, ceux aux fortunes considérables, ceux-là ne seront pas touchés. Les favelas ne disparaîtront pas de sitôt et la réduction de la fracture sociale attendra. Les Brésiliens ont dansé jours et nuits, ils peuvent maintenant chanter « Manha de carnaval ».

Ces jeux olympiques commencent à avoir un goût terriblement amer pour ceux qui en font le symbole de leur réussite alors que les investissements dans l'éducation, dans les infrastructures économiques et la santé font cruellement défaut. Tout est bon pour les attirer chez soi au nom d'une vanité qui n'a plus de limites. Les présidents se déplacent et des hordes de personnes s'adonnent à séduire les délégués électeurs pour la désignation des prochains jeux, ceux qui suivront le rendezvous de Tokyo. Rien n'est épargné, y compris la perte de son âme et celle de la retenue.

A la fin des jeux, on a même vu le premier ministre d'un grand pays s'adonner au spectacle qui ridiculise la fonction. Comme le Japon est le prochain pays organisateur, son premier ministre a jailli dans le stade, comme les danseuses sur la scène du Moulin Rouge, en direct dans le monde entier et en costume de...Super Mario. L'image n'est pas seulement désolante pour la dignité de la fonction, elle montre bien que les jeux olympiques sont devenus un grand barnum où l'intérêt et la course à la puissance médiatique des nations ont pris le dessus sur l'objectif du pauvre Pierre de Coubertin.

Je ne conseille pas aux autorités algériennes d'avoir l'idée d'une candidature saugrenue. Tout d'abord parce que tous les fonds offshore de ses dirigeants et cadres nationaux n'y suffiraient pas, à la condition très illusoire qu'ils souhaitent investir à fond perdu dans l'image de leur pays. Et puis, avec le fauteuil, les organisateurs penseraient qu'on est candidat aux seuls jeux Paralympiques !

*Enseignant