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France: la mort du curé

par Pierre Morville

L'égorgement d'un vieux curé a de nouveau ébranlé les Français. Et l'Allemagne a subi quatre attentats en moins d'une semaine.

Mardi 26 juillet 2016, peu avant 10h, deux forcenés sont arrivés dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, en Seine-Maritime, une commune de 29 000 habitants située dans l'agglomération de Rouen, à l'heure de la messe matinale vers 9h30. Ils ont pris en otage cinq personnes qui se trouvaient à l'intérieur, ont tué un prêtre et grièvement blessé une autre personne. Ils ont donc égorgé le prêtre qui célébrait une messe, Jacques Hamel, âgé de 84 ans. Il avait été ordonné prêtre en 1958. En 2008, il avait fêté son « Jubilé d'or », soit cinquante années de service. En sortant de l'église, les deux preneurs d'otages se sont retrouvés face à face avec des hommes de la brigade de recherche et d'intervention (BRI) de Rouen qui les ont tués. L'organisation Etat islamique a revendiqué l'attaque par son organe de communication Aamaq : « Les auteurs de l'attaque contre une église en Normandie sont deux soldats de l'Etat islamique, qui ont mené l'opération en réponse aux appels à viser les pays de la coalition internationale croisée ». Dans une courte déclaration, le président François Hollande a qualifié les deux preneurs d'otages de « terroristes se réclamant de Daesh ». « Nous sommes face à un groupe, Daesh, qui nous a déclaré la guerre. Nous devons mener cette guerre, par tous les moyens, dans le respect du droit, ce qui fait que nous sommes une démocratie », a-t-il ajouté en précisant qu'il n'entendait pas modifier le cadre législatif, refusant ainsi de rentrer dans un « état d'exception » juridique, que réclame notamment Nicolas Sarkozy.

«Faire bloc» ?

Avant un nouveau Conseil de défense et un Conseil des ministres, François Hollande a reçu mercredi matin les représentants des différents cultes religieux qui existent en France, la Conférence des représentants des cultes en France (CRCF, composée des Eglises catholique, orthodoxe, protestante et de représentants de l'islam, du judaïsme et du bouddhisme), « parce que nous devons être ensemble », a expliqué le président. La CRCF s'était notamment associée à l'hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, soulignant alors que « rien ne doit faire renoncer au dialogue en vue de la construction inlassable et confiante d'une société solidaire et fraternelle ». Le Président a appelé la nation française à « faire bloc ». Sera-t-il entendu ?

Après l'attentat de Nice (où l'on a appris que 30% des victimes étaient de confession musulmane), on avait au contraire assisté à une immédiate mise en cause du gouvernement socialiste par les formations de droite et d'extrême droite : à neuf mois des futures élections présidentielles françaises, l'opposition a lourdement reproché à l'actuelle majorité de ne pas avoir pris les mesures de sécurité nécessaires pour éviter de nouveaux attentats. Polémiques ineptes puisque par définition les lieux où peut se produire un attentat sont multiples comme sont infiniment nombreux les moyens d'action des terroristes. Reste à agir sur ces derniers, peu nombreux mais les derniers évènements ont montré qu'il pouvait s'agir de gens peu connus pour une orientation islamiste radicale ou qui s'y sont convertis depuis très peu de temps. Le travail de la police n'est donc pas aisé même si l'on a appris que les forces de sécurité françaises avaient réussi à démanteler au début de l'été deux projets d'attentats de masse. Les arrestations n'avaient été rendues publiques pour éviter toute publicité à Daesh et surtout tout effet de panique dans la population française. Mais l'opération sanglante de Nice (84 morts) a évidemment fait remonter l'angoisse générale et donné un certain écho populaire aux mauvaises polémiques sur l'incurie ou tout au moins les manquements des mesures sécuritaires que le gouvernement n'aurait pas ou mal prises. Paradoxalement, la mort d'un seul homme a suscité à nouveau une émotion intense et fait taire un peu les mauvaises polémiques politiciennes. Le fait qu'il s'agisse de l'égorgement d'un vieux curé de village explique sans doute pour beaucoup ce moment d'unité. Dans ce pays à forte tradition laïque, l'un des très rares pays européen qui ne fassent aucune référence à Dieu dans sa constitution, où même l'anticléricalisme a toujours été de bon ton, le meurtre de ce vieil homme d'église a suscité une émotion particulièrement vive. Un moment où le pays sait « faire bloc ». Mais un nouvel évènement tragique, hélas évidemment prévisible, risque de relancer les doutes, les angoisses et également les polémiques. L'histoire montre que les sociétés supportent psychologiquement mieux les situations de guerre pourtant infiniment plus mortifères que ces menaces d'attentats qui peuvent intervenir à tout moment, en tous lieux et frapper chacun et ses proches.

Quatre attentats en Allemagne

Une angoisse que partage aujourd'hui la population allemande. C'est au tour de l'Allemagne d'être la cible de Daesh. Le groupe qui connaît de réelles difficultés en Irak et en Syrie continue d'appliquer sa stratégie aussi simple qu'efficace : on exporte les conflits dans les pays de la coalition qui l'affronte et ailleurs, dans un « grand combat des vrais croyants contre tous les croisés et autres impies », on s'implante dans les pays à forte immigration, on fait des attentats, on favorise si possible les réactions racistes des pays d'accueil en pariant ensuite sur une radicalisation des minorités musulmanes...

Würzburg, Munich, Reutlingen, Ansbach... l'Allemagne est confrontée depuis une semaine à une vague d'attaques et d'agressions, ne faisant heureusement pour l'essentiel que des blessés. Les autorités s'efforcent de rassurer la population dans un climat de tension palpable. En une semaine, quatre attentats ou crimes indistincts. Deux ont été revendiqués par Daesh. Une attaque au moins semble avoir été réalisée par un malade mental, chiite d'origine iranienne, converti récemment au christianisme qui était fasciné par un autre massacre de masse exécuté jour pour jour cinq ans auparavant en Norvège par un fou d'extrême-droite, Anders Behring Breivik qui a exécuté en une seule nuit, le 22 juillet 2011, 69 jeunes militants sociaux-démocrates. En revanche, trois des quatre agressions qui ont été commises cette semaine en Allemagne ont en commun d'avoir été commises par de jeunes demandeurs d'asile, deux Syriens et un Afghan. C'est ce dernier qui a lancé la série macabre lundi dernier, en blessant à la hache plusieurs passagers d'un train près de Würzburg, au nom du groupe Etat islamique. L'attaque a provoqué une onde de choc dans un pays jusque-là épargné par les attentats. « C'est dans cet état d'esprit que les Allemands ont été tenus en haleine, vendredi soir, par une fusillade près d'un centre commercial à Munich. Pendant de longues heures, les chaînes d'information et surtout les réseaux sociaux ont tourné en boucle, diffusant des informations, images et vidéos pas toujours authentiques, alimentant ainsi la psychose ambiante », note Deutsche Welle. Avant même que soit révélée l'identité de l'assaillant, certains « observateurs » avaient désigné les coupables, à l'instar d'un responsable régional du parti xénophobe AfD en bonne progression, qui, sur Twitter, remerciait « Angela Merkel pour le terrorisme en Allemagne et en Europe ». La chancelière allemande paye aujourd'hui une politique d'accueil des réfugiés syriens et plus généralement d'une ouverture à l'immigration. L'Allemagne a accueilli en deux ans quelque 1,1 million de réfugiés. Les raisons de cette ouverture n'étaient pas que généreuses : l'Allemagne a une démographie négative. Sans apport migratoire, la population active allemande risque de chuter de moitié d'ici à 2050. Un risque que ne pas prendre la 1ère puissance économique européenne. Angela Merkel a donc décidé seule et sans aucune consultation de ses 26 autres partenaires de l'Union européenne d'ouvrir largement ses frontières. Le problème est d'ailleurs général : en 2015, pour la 1ère fois dans l'histoire du Vieux Continent, le nombre de décès a dépassé le nombre des naissances. Pourtant l'Union européenne a vu sa population globale croître de presque 2 millions d'habitants passant de 508,3 millions au 1er janvier 2015 à 510,1 millions au 1er janvier 2016 grâce à l'appoint migratoire. Mais la décision très solitaire et très volontariste d'Angela Merkel a suscité beaucoup de réserves chez ses partenaires européens parce que sa politique d'accueil très ouvert aux réfugiés, notamment du Moyen-Orient, soulevait à tout le moins deux problèmes. Le 1er, à moyen terme, est l'intégration réussie de ces populations, sans heurter les populations d'accueil. Le second, à beaucoup plus court terme, était la crainte que Daesh ou d'autres groupes islamistes radicaux s'infiltrent dans ce flot de réfugiés pour porter la guerre sur le terrain même des « croisés » occidentaux. Ce qui, évidemment, s'est produit?

Angela Merkel sous les critiques

Selon de récents sondages, les intentions de vote en faveur du bloc conservateur de la chancelière allemande Angela Merkel (CDU/CSU) sont en recul de 2,5 points, à 32,5%, soit leur plus bas niveau depuis 2013. Une avance bien plus confortable toutefois que les sondages concernant son partenaire François Hollande. Mais la chancelière Angela Merkel est sous pression. Sa politique sur les réfugiés est aussi bien critiquée par son partenaire de coalition, le SPD, le parti social-démocrate, que par les conservateurs de la CSU qui dirigent notamment la riche Bavière qui a vécu deux des attentats récents, et dans son propre parti, le CDU. Au sein même de l'alliance conservatrice CDU/CSU, de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer la fin de sa politique d'ouverture face au flux continu d'immigrants et de demandeurs d'asile. « Rarement, un gouvernement a perdu autant de capital confiance en si peu de temps! », constate la Frankfurter Rundschau. Et rarement aussi un gouvernement n'a rien pu faire pour rétablir cette confiance perdue. Rien n'avance vraiment dans le plan d'Angela Merkel pour résoudre le dossier sensible des réfugiés au moyen de sa politique extérieure: ni la paix en Syrie, ni le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, ni l'amélioration des infrastructures dans les camps de réfugiés proches des zones de conflits. Vaincue après deux conflits mondiaux, divisée en deux pays, sans empire colonial, l'Allemagne a, par les faits, évité les drames de la décolonisation et joué la carte d'une certaine neutralité dans les tensions internationales. La chute du communisme russe lui a permis de réunifier sa nation et de conforter sa puissance de son économie, la 1ère en Europe. La politique étrangère allemande était connue pour l'extrême prudence de ses prises de position et l'armée allemande, la Bundeswehr n'intervenant pas ou très peu à l'extérieur et toujours sous mandat de l'ONU. La donne a changé avec le rapprochement des anciens pays communistes de l'Europe de l'Est qui, sauf quelques exceptions dans les Balkans, ont tous intégrés l'UE. Et Berlin qui a toujours considéré avec un peu de mépris les difficultés de ses proches voisins de l'Europe du Sud, préférant ainsi punir l'été dernier la Grèce plutôt que l'aider, vient de prendre brutalement conscience que l'Union européenne a pour proche voisin le Moyen-Orient, avec tous les problèmes qui vont avec? Dans une autre région toute proche, la progression des extrémistes islamistes en Libye représente une menace pour l'Europe et pourrait donner lieu à un nouvel afflux de réfugiés : c'est un avertissement lancé très récemment par la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, qui n'exclut pas l'envoi d'un détachement de la Bundeswehr, l'armée allemande, en Libye? « Cela ne peut être dans l'intérêt de l'Allemagne de ne pas soutenir un gouvernement qui s'efforce d'établir la stabilité en Libye; ou encore moins de regarder en spectateur comment un axe de la terreur est en train de se constituer, qui menace de plus en plus de larges régions d'Afrique et qui pousse leurs populations à émigrer », commente le Frankfurter Allgemeine Zeitung.