Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Paroles d'experts: sur l'économie algérienne en général et le Maghreb en particulier !

par Cherif Ali

De par le monde, c'est la règle : les économistes sont appelés, et aussi payés, pour faire des analyses et les gouvernants, notamment les exécutifs, se chargent de l'habillage politique des mesures préconisées par ces détenteurs du savoir.

Il n'y a pas, également, une économie de gauche ou de droite, de la majorité au pouvoir ou de l'opposition ; la stratégie économique ne peut être que bonne ou mauvaise ! Et toutes les décisions prises, unilatéralement, par le gouvernement en la matière, ne seront pas sans conséquences sur le pays. Et comme pour bien faire, la chute brutale du prix du baril de pétrole a changé la donne, pour accaparer tous les esprits, même si des voix d'état-major politiques et de journalistes affidés persistent à dire que le temps n'est plus aux « expertises » et que le régime du pouvoir en place « doit partir » !

Le gouvernement, bien entendu, ne l'a pas entendu de cette oreille et, une fois n'est pas coutume, a décidé de réunir sous la férule du Conseil National Economique et Social tout ce que l'Algérie compte d'experts de renom, pour un débat d'idées et plus encore, pour avancer des propositions à même de permettre au pays d'affronter les temps de disettes qui lui sont promis.

Le CNES et tout ce qu'il compte comme têtes pensantes a remis son rapport au Premier ministre qui a été obligé de changer de braquet après avoir pris tout de même toutes les mesures pour atténuer les tensions budgétaires subies par le pays : bancarisation de l'argent de l'informel, lancement de l'emprunt obligataire, réduction des importations, généralisation de la règle du 51/49 à tous les secteurs, y compris le commerce du détail.

Il a aussi admis après quelques tergiversations et un « rappel à l'ordre » du président de la République lui-même, lui intimant « de dire la vérité au peuple » que la crise est sérieuse et que la baisse du pétrole s'inscrit dans la durée.

Depuis, le Premier ministre s'emploie, dit-on, à travers une «veille stratégique » qui ne dit pas son nom, à étudier toutes les contributions qui se publient, spontanément, dans la presse nationale, même si beaucoup parmi ces gens du savoir font plus dans la rhétorique et la sémantique que dans l'analyse objective, sereine et sans complaisance du tableau de bord de l'économie du pays et de ses perspectives. Presque toutes leurs expertises se rejoignent, en ce sens qu'elles gravitent, essentiellement, autour de la révision des subventions et des transferts sociaux, de sorte qu'ils soient ciblés pour profiter aux catégories les plus démunies, la révision de la règle du 51/49 pour favoriser les investissements étrangers, la consécration effective de la liberté d'entreprendre en supprimant notamment l'autorisation préalable du CNI pour tout projet supérieur à 15 milliards de dinars, la dé-bureaucratisation, la révision de la fiscalité, la libération des prix, l'arrêt du processus d'adhésion à l'OMC, la sortie de la ZALE et l'abrogation de l'Accord d'association avec l'Union européenne.

Et aux observateurs de s'interroger sur ce que va faire le Premier ministre ? Va-t-il faire cause commune avec toutes ces thèses libérales et les potions amères de leurs auteurs ou s'en tenir à sa politique de «rationalisation des dépenses», différente, selon lui, de « l'austérité » qui fait peur aux ménages ? D'autres intellectuels aussi affûtés évoquent, également, la nécessité d'installer partout « l'intelligence économique », ce mode de gouvernance universel fondé sur la maîtrise et l'exploitation de l'information stratégique pour créer de la valeur durable.

On parle aussi du « tout Maghreb » par opposition au «non Maghreb!»

A ce propos, le chiffre de 100 milliards de dollars a été lancé ! Il correspondrait à des bénéfices qu'auraient pu engranger les économies du Maghreb à l'horizon 2015, si leurs pays cessaient de se regarder en chiens de faïence et décidaient, enfin, de coopérer ! L'information, rapportée par l'hebdomadaire Jeune Afrique, est imputée à Abderrahmane Hadj Nacer, l'ancien gouverneur de la Banque Centrale d'Algérie et partisan de l'UMA qui, hélas, s'est révélée incapable de s'affirmer comme ensemble régional. Pas plus politique qu'économique ! Pourtant, l'Union promise était riche de promesses à sa naissance : « Union douanière » dès 1995, puis « Marché commun », à l'horizon 2000.

Plusieurs années sont passées depuis et les économies du Maghreb continuent d'avancer en ordre dispersé malgré quelques rares initiatives comme la création d'une « Union maghrébine des employeurs » (UME) en 2007 et d'une « Union maghrébine des foires» en 2008 qui a tenu son premier salon à Alger.

Le bilan est bien maigre, ce qui avait alarmé le patron du FMI d'alors, Dominique Strauss-Kahn, qui, en 2008, lors d'une escale à Tripoli, a appelé « à accélérer la réalisation de l'intégration économique des pays de la zone ».

Paradoxe, les économies du pays du Maghreb s'avèrent davantage tournées vers l'Europe que vers leurs voisins directs. Plutôt aussi que de négocier, en force, avec l'Union européenne, la Tunisie, le Maroc et l'Algérie ont fait cavalier seul, sans pour autant en tirer des avantages commerciaux et douaniers. Ce n'est quand même pas compliqué de s'appliquer à eux-mêmes les relations commerciales et douanières qu'ils ont avec l'UE, s'est étonné le même DSK à Tripoli.

La zone maghrébine a pourtant de quoi séduire, elle offre un marché de 100 millions de consommateurs à l'horizon 2020 ! Sauf que les dures réalités du terrain freinent toutes les initiatives : marchés aux besoins mal identifiés, lourdeurs bureaucratiques, barrières tarifaires, systèmes bancaires peu concurrentiels et donc faible soutien à l'investissement productif !

Les experts s'accordent, pourtant, à dire que la communauté économique maghrébine ferait gagner à ses membres une valeur ajoutée annuelle d'environ 10 milliards de dollars, soit l'équivalent de 5% de leurs produits intérieurs bruts cumulés. D'éminents universitaires de la Méditerranée, dont le professeur algérien Abderrahmane Mebtoul, ont tenté de relancer le débat et d'attirer ainsi l'attention des décideurs sur les avantages d'un Maghreb uni ; « il serait suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul », relève le professeur qui affirme que « l'intégration économique régionale est une nécessité historique. Et sans inclusion euro-méditerranéenne, le Maghreb serait bien davantage balloté par les tempêtes du marché, avec le risque d'une marginalisation croissante ; une sortie des radars de l'histoire », a prédit l'éminent professeur qui a ajouté « On peut faire avancer l'intégration maghrébine par des synergies cultuelles et économiques comme cela s'est passé entre l'Allemagne et la France, grâce au programme Schuman du charbon et de l'acier ». Par exemple, et les exemples sont nombreux entre tous les pays du Maghreb, la combinaison du gaz algérien et du phosphate marocain aux moyens de co-partenariats internationaux bien ciblés, permettrait de créer une des plus grandes entreprises d'envergure mondiale d'engrais, selon les experts.

Ces derniers recommandent également la redynamisation de la «Banque maghrébine d'investissement », la création d'une «monnaie maghrébine », à l'image de l'euro européen, ainsi que la mise en place d'une « Bourse maghrébine » qui devrait s'insérer horizon 2020 au sein du projet de création de la Bourse euro-méditerranéenne.

Tous ces projets, s'ils étaient mis en œuvre, contribueraient, à coup sûr, à la prospérité du Maghreb et de ses habitants.

Certes, c'est encore un rêve, diront certains, au regard des obstacles de toutes natures qui ne sont pas à négliger. Le business peut faire, dit-on, ce que les politiques ne font pas ! Mais ce projet de l'UMA ne mobilise guère les dirigeants politiques, ou peu ou prou !

Malgré les déclarations qui affectent un positivisme de façade et les échanges épistolaires des plus denses entre les autorités, les raisons de la discorde entre pays voisins demeurent les plus fortes. A l'évidence, il y a des choses à faire ! Il y a de l'espace, par exemple, pour « la diplomatie économique », le Maghreb, avec ses frontières sécurisées, et surtout soulagé de s'être débarrassé de ses colonies conformément aux décisions onusiennes, a toutes les potentialités pour devenir un pivot stable. Et surtout pour traiter d'égal à égal avec l'Europe et la Chine !

En France, la diplomatie économique est le fer de lance du ministère des Affaires étrangères ; Laurent Fabius, en son temps et entre deux petites siestes, s'en est occupé personnellement ; qu'on se rappelle ses déplacements en Algérie pour promouvoir le partenariat signé avec Renault et l'enthousiasme qu'il a mis pour faire aboutir le contrat !

En attendant, crise du pétrole ou pas, beaucoup trouvent insensé que l'on continue à le pomper de façon frénétique pour payer la facture alimentaire, sans penser aux générations futures. En ces temps de crise, le gouvernement qui compte sur les «walis-managers » pour créer de la richesse, booster l'emploi et tirer la croissance vers le haut, ne pense qu'à réduire les dépenses de l'importation ; de combien de temps dispose-t-il pour, raisonnablement, « rationnaliser » celles-ci sans détruire en même temps des activités économiques connectées au commerce extérieur et, partant, mettre en difficulté les quelques PMI/PME qui contribuent à la croissance, malgré toutes les vicissitudes ?

On en était là, jusqu'à ce déplacement effectué dans la wilaya d'Oum El-Bouagui par le Premier ministre, à la tête d'une forte délégation ministérielle, où il s'est montré plutôt rassurant, allant jusqu'à affirmer « que tous les indicateurs du pays sont au vert » ! Il rappelle, toutefois, que la rationalisation des dépenses est toujours de mise. Très optimiste, il pense, aussi, que la situation financière du pays tendra à se stabiliser en 2018.

A croire qu'il a été rassuré par les propos de M. Adnan Mazarei, directeur adjoint du FMI et néanmoins expert financier, de passage à Alger, qui répondant à la question de journalistes a déclaré : « l'Algérie n'a pas besoin, actuellement, de demander des prêts ; elle est en mesure de faire face au choc pétrolier et la baisse des cours du pétrole n'a pas impacté sa croissance ».

Pour rappel, les prévisions de croissance du FMI pour l'Algérie laissent entrevoir une amélioration jusqu'en 2021. Euphorique, le premier ministre accompagné de l'enfant du pays Abdeslem Bouchouareb, s'est même permis un « bain de foule » dans cette région de l'Est du pays, effaçant de la mémoire de ses habitants son malheureux mot qui lui a valu tant de déboires lors de la campagne électorale présidentielle.

Et, comme atteint par la grâce, Abdelmalek Sellal s'est rendu dans la foulée à Kigali pour recevoir « le prix du développement social » en hommage aux efforts et à la politique qui a été menée par le président de la République en la matière, ainsi que « le prix des prix » qui place l'Algérie et aussi Abdelaziz Bouteflika sur « le toit de l'Afrique ». De retour au pays, le Premier ministre a été vite rappelé à la réalité même si les succès engrangés sur la scène régionale sont bons à prendre, disent certains ; mais comme chacun le sait, l'austérité ne convient pas à la croissance, n'en déplaise à tous ceux qui prônent ce mode de gestion économique !

Il faut dire aussi que jusque là, seuls les décideurs politiques ont eu trop de gain de parole ; le dernier en date, Ahmed Ouyahia, usant de vieux clichés stéréotypés, n'a rien trouvé à dire aux jeunes de son parti regroupés à Oran, que « le meilleur d'entre vous était khemass et l'autre hemal et les jeunes se faisaient appelés ya oueled !».

A croire que chez les politiques, tout est bon à dire ; on veut faire oublier qu'il y a d'autres énergies que l'on a pas assez écoutées, à l'image des producteurs de richesses et de savoir qui ne demandent pourtant qu'à servir leur pays. Si on leur donnait cette faculté !