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Mohamed Ali, un musulman vraiment utile

par Hatem Youcef *

Face à la campagne électorale foncièrement islamophobe du très controversé Donald Trump qui prévoit rien moins que d'interdire aux musulmans l'accès aux USA, il s'est trouvé un homme, Mohamed Ali en l'occurrence, qui du fond abyssal de sa maladie de Parkinson rétorquait : « Je suis musulman et il n'y a rien d'islamique dans le fait de tuer des êtres innocents à Paris, San Bernardino ou partout ailleurs dans le monde ».

Introduction

Tout Mohamed Ali qu'il est, force est de dire qu'il n'est guère aisé pour un noir et, de surcroît, musulman de tenir tête à un candidat républicain qui a le vent en poupe. C'est compter sans cette verve habituelle que le monde lui connaît depuis ce fameux : « Je suis le plus grand » qu'il martelait à l'adresse de cette Amérique résolument blanche. Depuis, il n'a eu de cesse de haranguer les islamophobes et les racistes et s'est fait le porte-voix de l'Amérique noire. Pour être le plus grand, Mohamed Ali était véritablement le plus grand à plus d'un titre. Boxeur hors pair, promoteur du ?trash-talk'1, « agile comme un papillon et piquant comme l'abeille », activiste des droits civiques, c'est surtout son apport à l'islam qui nous interpelle le plus dans cette contribution. Cet apport commença en 1965 lorsqu'il rejoignit la Nation of Islam (NOI) d'Elijah Muhammad lequel lui suggéra de porter l'anthroponyme Mohamed Ali qui n'a pas cessé depuis de rayonner aux quatre coins du monde.

Cette histoire de nom

Un musulman vraiment utile, Mohamed Ali l'est donc d'abord et surtout par l'adoption de ce patronyme musulman fait du nom du prophète et de son gendre Ali lequel patronyme il a d'une certaine manière vulgarisé et imposé en Occident. Ayant initialement choisi de s'appeler Cassius X à l'exemple, mais aussi à l'instigation de Malcom X qui avait lui aussi un patronyme musulman (El-Hajj Malek El Shabazz), Mohamed Ali a porté ce nom non point de manière circonstancielle comme tant d'autres, mais par conviction en la nécessité de libérer les siens de toutes sortes de joug même celui, en apparence anodin, de porter un nom choisi par d'anciens esclavagistes, conviction en la NOI où il fait connaissance avec un autre grand musulman d'Amérique, Malcolm X qui mourut très tôt, mais aussi et surtout par foi et ferveur en l'islam sunnite qu'il embrassa en 1975. « Cassius Clay est un nom d'esclave. Je ne l'ai pas choisi et je n'en voulais pas. Je suis Mohamed Ali, un nom libre, et j'insiste pour que les gens l'utilisent pour m'adresser la parole et parler de moi ».

Et depuis, aux quatre coins de la planète, les gens de toutes les couches, de toutes les races, de toutes les religions, etc., se sont familiarisés avec ce nom triplement illustre. Cette histoire de nom, puisque c'en est une, n'est pas aussi banale qu'il ne paraît. Le nom revêt une importance de premier ordre; c'est le premier élément de l'identité individuelle, il est synonyme de conversion religieuse, mais aussi porteur de toute une symbolique qui conjure dans bien des cas les démons de la mort comme chez les Kabyles où les noms Idir et Akli sont portés comme des amulettes aptes à repousser la mort. Pour revenir à Mohamed Ali, l'importance du nom musulman et/ou afrocentriste que beaucoup de noirs ont adopté fait désormais partie d'un paradigme, l'afrocentricité que des spécialistes comme Molefi Kete Asante, autrefois Arthur Lee Smith, Jr s'échinent à imposer.

Au nom hérité de l'époque de l'esclavagisme, un courant idéologique afro-américain (NOI, Black Nationalism) préférait des noms africains et/ou musulmans. Porter un nom à consonance africaine fait d'ailleurs partie des sept (07) principes directeurs de US Organization de Hakim Jamal, cousin de Malcolm X, et Maulaln Karenga. Le principe d'autodétermination et/ou Kujichagulia enjoint aux afro-américains de se définir eux-mêmes, prendre des noms afrocentristes et parler pour eux-mêmes. En plus de Mohamed Ali, d'illustres personnages publics afro-américains ont opté pour d'autres noms à l'instar du célèbre poète et dramaturge Amiri Baraka (Everett LeRoy Jones) qui a contribué justement à l'établissement d'une culture afro-américain distincte de la culture WASP (White Anglo-Saxon Protestant). Même si son nom précédent lui vint d'un abolitionniste, Mohamed Ali ne l'en rejeta pas moins car pour lui continuer à porter un nom de blanc signifie que l'on est toujours esclave comme le mentor de la Nation d'islam le soulignait. On ne peut pas mesurer la portée du geste de Mohamed Ali tant ce nom caricaturé en Occident (orientalisme oblige) comme l'illustre le fameux Mahomet usité en France est devenu un symbole différemment apprécié par l'Orient et l'Occident.

Mohamed Ali, un musulman vraiment utile

En effet, parce que la notoriété de Mohamed Ali n'a pas d'égal aussi bien parmi les sportifs que les artistes, sportif photogénique par excellence et donc ayant le visage le plus familier de la planète, l'islam a tiré un grand profit de tout cela en Occident bien entendu. C'est en quelque sorte une grande opération de marketing longtemps avant ce que font les grandes marques avec les grands sportifs et autres artistes. Il ne faut surtout pas confondre entre l'islam et Nike, Adidas ou tout autre label qui investit des millions de dollars dans un individu et/ou une équipe pour vanter (magnifier) la qualité de son produit. Le rapport de Mohamed Ali à l'islam n'est pas du tout de cet acabit ; ni lui ni l'islam n'ont passé un contrat par vertu duquel l'un représente les couleurs de l'autre tandis que cet autre verse des millions de dollars dans la bourse dudit représentant ou icone. Mohamed Ali a vu en l'islam la religion à même de l'affranchir du joug blanc, celle qui prône la justice entre tous les hommes indépendamment de leur couleur, leur langue et leur classe.

Mohamed Ali a été utile pour l'islam parce que ce n'est pas un individu quelconque ; il a d'une certaine façon à la manière du calife Ali porté l'étendard de l'islam. Il l'a porté un peu partout dans le monde et plus particulièrement en Occident. Il a été le premier boxeur à être sacré trois fois champion du monde dans la catégorie des poids lourds, il a livré plus de deux combats du siècle avec Joe Frazier en 1971 et 1974 et George Foreman en octobre 1974 au Congo Kinshasa. Il faillit sacrifier sa carrière et son talent pour avoir refusé de rejoindre les forces de son pays parties guerroyer au Vietnam. Il a tout simplement refusé de s'impliquer dans une agression contre un peuple qui ne lui a rien fait exactement comme le prescrit l'islam qu'il n'avait pourtant pas encore significativement embrassé alors. Les conséquences du rejet de la conscription faillirent lui être fatales en effet puisque on l'avait dépossédé de son titre mondial et retiré sa licence de boxe alors qu'il n'avait que 25 ans. Il parvient à revenir en 1971 pour combattre Joe Frazier pour « le combat du siècle ». Il tombe à deux reprises, aux 11e et 15e rounds, mais se relève pour finir le combat qu'il perd aux points après trois années de privation de la pratique de la boxe qui l'a (dé)fait.

Les vertus de l'islam que sont la patience, l'endurance, la résilience, etc., étaient aussi les siennes. Patient et supportant la douleur comme lors de ce combat avec Ken Norton en 1973 où il se fait briser la mâchoire au 2e round et parvient à tenir jusqu'à l'ultime round. Ou encore ce fabuleux « The Rumble in the Jungle » (le combat dans la jungle) contre le colosse George Foreman, combat durant lequel il adopte une stratégie des plus subtiles en subissant le gros du combat pour éreinter son adversaire. Il encaisse les coups de Foreman et se laisse acculer aux cordes pour le cueillir au 8e round et le mettre KO. Un troisième et dernier combat contre son meilleur adversaire, Frazier, en 1975 le Thrilla in Manilla (le thriller de Manille) est consigné dans les annales de la boxe comme l'un des plus cruels combats de boxe. Auteur de plusieurs « combat de l'année », Mohamed Ali en impose à l'Amérique malgré sa confession musulmane que la NOI d'Elijah Muhammad a quelque peu terni, et que les attentats du 11/09/2001 ont finit par placer ?à jamais- dans le camp de l'ennemi de l'Amérique. Il a été récipiendaire de plusieurs distinctions à commencer par celle de boxeur de l'année en 1963 et en 1975, le Hickot Belt en 1974, la même année le trophée du sportif de l'année attribué par le magazine Sports Illustrated, et est élu personnalité sportive du XXe siècle par la BBC. Il a plaidé pour la paix partout dans le monde et est souvent envoyé pour négocier la libération d'otages américains comme au Liban en 1985 et en Iraq en 1990. Un musulman vraiment utile parce qu'il a défendu les valeurs de l'islam et ne s'est jamais laissé intimidé par l'islamophobie ambiante en Occident.

Il force le respect et l'admiration de tous, amis et ennemis, coreligionnaire ou pas. On lui attribue une étoile au Hollywood boulevard et on accède même à son vœu de faire incruster ladite étoile sur le mur du Kodak Theatre et non pas sur le sol comme cela a de tout temps été le cas pour toutes les autres stars. « Je ne veux pas que les gens marchent sur le nom du prophète », avait-il déclaré. Soucieux de l'image de l'islam, il n'avait de cesse de s'insurger contre les pourfendeurs de cette religion dont les fossoyeurs les plus efficaces sont les musulmans eux-mêmes qui se lancent dans des logorrhées religieuses, mais adoptent le profil bas à chaque fois que de nouvelles croisades sont lancées.

« Ce qui me fait mal, c'est que les noms de l'islam et des musulmans sont impliqués, ce qui déclenche des problèmes, de la haine et de la violence. L'islam n'est pas une religion meurtrière, l'islam signifie la paix. Je ne peux pas m'asseoir à la maison et regarder les gens étiqueter les musulmans comme la cause de ce problème », était sa réaction vraiment musulmane après les attentas du 11/09/2001.

Dire qu'il a passé plus de trente (30) ans de sa vie assiégé par la maladie de Parkinson qu'il avait assumée avec un stoïcisme musulman, « Dieu m'a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n'étais qu'un homme comme les autres ». « Je n'ai pas peur de la mort ; je n'ai que faire de vos mines apitoyées, de vos illusions perfides à ma gloire défunte ; l'adversité qui me frappe est la compétition ultime dont j'avais besoin pour démontrer que je suis toujours le plus grand, en même temps que le plus humble ; aujourd'hui, je veux juste mener une vue spirituelle ; je suis l'homme le plus riche du monde ». Ses paroles sont un prêche que seuls les prédicateurs dévoués savent délivrer le vendredi lors de la prière d'Al-Jumua. C'est presque naturellement qu'il adhère au soufisme en 2005.

Conclusion

La mort de Mohamed Ali est avant tout une grande perte pour l'islam. Certes, ce n'était pas un exégète de renom, un théologien éminent ou un prosélyte que s'arrachent les chaînes satellitaires, mais il a pu devenir un musulman vraiment utile en étant un humble croyant fort utile pour sa religion par ses prises de position au plus fort de l'islamophobie, par son exemplarité pour les musulmans d'Amérique et du monde entier, et par sa persévérance dans un art qu'il a vraiment ennobli.

*Universitaire

Références

www.lequipe.fr

www.journaldemontreal.com

www.nbcnews.com

Notes

1- Trash-talk : joutes verbales entre boxeurs avant le match pour s'enthousiasmer et s'enflammer.