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L'éternel débat sur la disponibilité du foncier industriel

par Ali Brahiti*

La presse nationale s'est faite l'écho, ces derniers temps, de la lancinante question de la disponibilité du foncier industriel soulevée, d'ailleurs de façon récurrente, aussi bien par les autorités publiques que par les opérateurs économiques, dans le souci de faciliter l'investissement et la relance économique.

Lors de ma vie professionnelle, j'ai eu à me pencher de façon soutenue et approfondie sur les données qui caractérisent cette problématique.

Aussi, m'a-t-il paru utile, à titre de contribution à l'enrichissement de la réflexion sur cette question, de livrer dans le cadre de la note ci-jointe quelques appréciations et pistes susceptibles de conduire à une prise en charge relativement adéquate d'un problème qui se pose, depuis toujours, avec acuité.

Dans le débat national autour des contraintes inhérentes à l'acte d'investir, la disponibilité d'assiettes foncières est, à chaque fois, présentée comme un facteur bloquant, parfois autant sinon plus que d'autres données essentielles de la problématique de la relance économique.

Pour un pays aussi vaste que l'Algérie, il peut paraître paradoxal que le foncier puisse figurer parmi les contraintes au développement socio-économique.

Pourtant un simple rappel de quelques indicateurs de la nature géomorphologique du pays permet de relativiser cette croyance.

En effet, sur les 238 millions d'hectares constituant la superficie du territoire national, 80% sont composés de terres sahariennes, 14% de zones de parcours ou alfatières, 1,6% de forêts, 4% de terres cultivables et seulement 0,4% d'espace urbanisé ou urbanisable (soit 952.000 ha).

Il en résulte que, rapportées à la superficie actuelle des agglomérations urbaines (environ 450.000 hectares), les possibilités d'utilisation d'espaces fonciers nouveaux susceptibles de servir d'assiette à des projets d'urbanisation ou d'industrialisation ne sont pas illimitées.

Ce qui conduit, non seulement à la nécessité d'avoir une approche prudente en la matière mais également à celle de mobiliser, de façon conséquente, l'offre foncière privée et ne plus se limiter à celle provenant du domaine national.

Il se trouve que l'Etat-propriétaire est constamment mis à l'index pour son incapacité « présumée » à satisfaire toute la demande en foncier, alors que des efforts appréciables ont été accomplis, par les pouvoirs publics, en matière d'offre foncière publique sans que, d'ailleurs, ces efforts aient été toujours traduits par une valorisation conséquente de cette ressource.

En effet, depuis 1973 à ce jour, divers dispositifs juridiques ont été déployés pour permettre la réalisation de projets d'investissement dans des zones spécialement aménagées (zones industrielles et zones d'activités) ou en dehors de ces zones (procédures CALPI puis CALPIREF).

Ce qui caractérise ces dispositifs juridiques, c'est que les assiettes foncières domaniales ainsi mobilisées sont généralement cédées ou concédées, de gré à gré et à des prix administrés, y compris dans les grandes métropoles du nord du pays (Alger, Oran, Constantine, Annaba, ...)

Cela s'est traduit par une mobilisation foncière publique très importante avoisinant les 100.000 hectares, tous usages confondus, dont plus de 40.000 hectares pour l'investissement industriel.

Dans le souci de favoriser l'investissement, l'offre foncière publique a été accompagnée de mesures incitatives notamment en matière de prix.

Toutefois, les résultats escomptés et principalement la contribution effective à la relance économique n'ont pas toujours été atteints ; au contraire, cela a conduit, dans une certaine mesure, à l'émergence d'opérations spéculatives au détriment de l'économie nationale ( il serait, d'ailleurs, très instructif de pouvoir déterminer quelles ont été les retombées, effectives, en matière de création de richesses et d'emplois, résultant de l'octroi d'assiettes foncières domaniales destinées à la relance de l'investissement économique, comparativement aux avantages consentis) .

Ainsi, le domaine privé de l'Etat continue de faire l'objet d'une forte demande, difficile à satisfaire, alors que le constat effectué, dans les zones industrielles et les zones d'activités, laisse apparaître l'existence de disponibilités foncières «gelées » (près du tiers de la superficie globale de ces zones).

A ces disponibilités avérées s'ajoutent les actifs résiduels des entreprises publiques dissoutes, ainsi que les actifs excédentaires des E.P.E, (estimés globalement, par l'administration, à près de 21.000 ha).

Cette situation paradoxale semble due essentiellement :

- à l'absence de contrôle de la destination des terrains attribués et de mesures appropriées réprimant la rétention ;

- aux dysfonctionnements à tous les niveaux de gestion et de développement des zones industrielles et des zones d'activités favorisant ainsi l'émergence d'un environnement peu attractif voire même hostile à toute promotion industrielle.

Il en ressort que l'absence de transparence dans l'attribution des terrains (la règle du gré à gré a été privilégiée) et la faiblesse des prix de cession ou de concession pratiqués, qui sont très en deçà de la réalité économique, se sont traduites, dans bon nombre de cas, par :

- un phénomène d'accaparement et de dilapidation du patrimoine domanial, s'appuyant sur des dispositions réglementaires permissives ;

- des transferts de rentes très importantes ;

- une forte pression sur les terrains domaniaux, dans la mesure où l'ensemble des opérateurs préfère l'acquisition, au moindre coût, auprès de l'Etat.

Or, les biens relevant du domaine privé de l'Etat constituent un patrimoine dont l'utilisation et la valorisation doivent être assurées au mieux des intérêts de la collectivité nationale.

En conséquence, cet état des lieux devrait, logiquement, conduire à un réaménagement des dispositifs législatifs particuliers régissant la mobilisation des biens fonciers publics destinés à servir d'assiette à la réalisation de projets tant en matière d'investissement industriel que de promotion immobilière.

En effet, la situation générée par la «générosité » de l'Etat à céder ou concéder son patrimoine à des prix très abordables et dans des conditions très favorables, - outre le mode de gestion de «cette denrée rare », qui a plus favorisé la spéculation et la rente -, risque de faire aboutir, dans un proche avenir, à la consommation quasi-totale du portefeuille foncier public sans pour autant atteindre les objectifs escomptés en matière de résorption de la crise du logement, de relance économique à travers l'investissement privé et de satisfaction des besoins en équipements publics.

Il se trouve que les réformes économiques engagées par notre pays permettent l'émergence progressive d'un marché foncier libre et transparent, qui devrait être alimenté non seulement par des terrains publics mais également et surtout par une mobilisation conséquente de l'offre foncière privée, ce qui aurait pour effet, de par un élargissement important des disponibilités foncières, une meilleure satisfaction de la demande et à des prix d'équilibre plus proches de la réalité économique.

Partant de ces considérations, s'il est possible, pour le court terme, de recourir aux disponibilités foncières publiques recensées dans les zones industrielles et d'activités ou mobilisables au titre des actifs excédentaires des EPE, en agissant sur les conditions de leur allocation, pour un plus long terme, des mesures complémentaires devront être déployées à l'effet d'assurer une fluidité du marché et une disponibilité permanente du foncier économique quelle qu'en soit la nature juridique.

A ce propos, il convient de saluer la récente mesure législative, répondant à la préoccupation sus-évoquée, introduite dans la loi de finances pour 2016 (art. 58), qui stipule que « Les personnes physiques et morales de statut privé peuvent procéder à la création, l'aménagement et la gestion de zones d'activités ou de zones industrielles sur des terrains à vocation non agricole constituant leur propriété », ces opérations étant soumises à un « cahier des charges » (dont il faudrait hâter la publication).

En tout état de cause, il est clair que, dans un souci de préservation et de valorisation du patrimoine foncier public, l'injection des terrains domaniaux dans le marché ne pourrait concerner que ceux qui ne sont pas susceptibles d'affectation à un service public et dans la mesure où les instruments d'urbanisme ou d'aménagement du territoire permettent leur utilisation pour des projets d'investissement ou des programmes d'habitat (le domaine de l'Etat doit être réservé essentiellement et prioritairement à la réalisation d'équipements publics ou collectifs pour la satisfaction des besoins des services publics de base). Elle doit se faire dans la transparence et dans l'équité. De plus, la suppression de l'automaticité des réductions applicables (systématiquement) aux prix de cession ou de concession des terrains domaniaux devrait être envisagée pour y substituer, à travers un mécanisme approprié, une aide directe et transparente aux aménageurs fonciers et aux investisseurs qui en auraient vraiment besoin. Ce qui, évidemment, n'empêche pas l'Etat, en fonction des objectifs de développement de nature sectorielle ou territoriale, d'assurer la régulation compatible avec ses objectifs macro-économiques et de soutenir directement les investissements prioritaires en termes de branches d'activités ou d'implantation géographique.

Ceci dit, les effets escomptés d'un meilleur encadrement des modalités de gestion du foncier resteraient cependant limités si l'on ne prenait pas en considération deux questions fondamentales, «l'apurement foncier» et «l'aménagement du territoire», qui constituent les soubassements de la mise en œuvre d'une politique foncière cohérente en mesure de faciliter un développement socio-économique harmonieux du pays.

Dans ce cadre, il apparaît opportun d'évoquer la nécessité incontournable :

- d'une part, de faire accentuer les travaux d'établissement du cadastre général et d'immatriculation au livre foncier, dont l'importance, dans l'apurement systématique du foncier dans toutes ses composantes juridiques, n'est plus à démontrer ;

- d'autre part, de réhabiliter la fonction de planification stratégique en vue de permettre la mise en place d'un cadre de référence global instrumentalisé par un schéma directeur d'aménagement du territoire et aboutissant notamment à des choix rationnels d'implantation des tissus urbains et d'activités économiques, dont il faudra faire assurer un respect rigoureux.

* Cadre supérieur de la nation à la retraite (ancien responsable des services du cadastre, de la Conservation foncière et des Domaines)