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Valls en Israël pour relancer le processus de paix

par Pierre Morville

En visite, le 1er ministre français a tenté de convaincre Netanyahu de l'intérêt de la conférence de Paris qui débute le 3 juin.

Le Premier ministre français Manuel Valls a fait une visite de trois jours en Israël et dans les territoires palestiniens. L'objectif ? Tenter après 68 ans de conflit de relancer un processus de paix israélo-palestinien que les différents gouvernements qui se sont succédé à Tel-Aviv refusent avec obstination.

La visite du leader français fait suite au même voyage, la semaine précédente de Jean-Marc Ayrault, le ministre français des Affaires étrangères. Il y a quelques semaines, ce dernier avait pris l'initiative de relancer le processus de paix, au point mort depuis l'échec en avril 2014 d'une tentative américaine alors que les territoires palestiniens occupés par Israël sont secoués par une vague de violence et de répression depuis octobre.

La France tente de mettre sur pied une conférence internationale dont elle s'emploiera à jeter les bases lors d'une réunion interministérielle le 3 juin prochain à Paris où sont conviés les grandes puissances et un certain nombre de pays concernés régionalement, mais en l'absence des Palestiniens et des Israéliens. Ces derniers ne sont pas invités pour éviter surtout le blocage systématique qu'Israël opte traditionnellement à toute initiative de relance du processus de paix. Les dirigeants israéliens préfèrent de beaucoup les tête-à-tête avec les Palestiniens où un rapport de force largement en leur faveur leur permet de camper sur des positions intransigeantes.

Si un premier résultat positif est enregistré lors de la rencontre de Paris début juin qui réunira une vingtaine de pays et où sera présent John Kerry, le patron de la diplomatie américaine, alors pourrait s'ouvrir la perspective d'un second sommet international prévu au second semestre 2016, en présence cette fois des dirigeants israéliens et palestiniens. Il est probable également que de nombreux Etats parmi les 138 pays qui ont déjà voté favorablement à l'adhésion de la Palestine comme observateur aux Nations unies, soutiennent l'initiative.

Le gouvernement français continue à penser que la solution de deux Etats, défendue par Laurent Fabius quand il était ministre des Affaires étrangères constitue toujours l'unique voie de sortie. La conférence de Paris viendrait alors renforcer un consensus international sur cette orientation. Manuel Valls se pose donc en position d'intercesseur. Mais il doit faire preuve d'une grande neutralité et les sympathies personnelles du 1er ministre français sont connues : il ne cache pas sa « forte sympathie » pour l'Etat israélien et a critiqué la position de Laurent Fabius qui affirma fin janvier 2016 qu'en cas d'échec de l'initiative française, « nous devrons prendre nos responsabilités en reconnaissant l'État palestinien». «Dire aujourd'hui que nous reconnaîtrons l'Etat palestinien, c'est acter par avance l'échec de notre initiative», a contrecarré Manuel Valls à Tel-Aviv. Benoît Hamon, opposant au 1er ministre au sein du PS, a jugé « douloureux de constater aujourd'hui que (Manuel Valls) batte si facilement en retraite».

Les blocages d'Israël

Benjamin Netanyahu a de toute façon rejeté l'initiative française de relance des efforts de paix entre Israël et la Palestine. Lors de sa rencontre avec son homologue français, il a rejeté, lundi 23 mai, l'idée d'une conférence de paix internationale. Il a fait en contrepartie une autre proposition : Paris pourrait accueillir des négociations mais bilatérales entre Israéliens et Palestiniens, « le seul moyen de progresser vers la paix ». Ce qui n'est pas le cas, selon Netanyahu, des « conférences internationales à la manière onusienne » où des « diktats internationaux » décident du sort des Israéliens et des Palestiniens. « Cela s'appellerait l'initiative française [...] à cette différence près : je serai seul assis directement face à face avec le président (palestinien Mahmoud) Abbas, à l'Élysée ou là où il vous plaira ». « Tous les sujets difficiles seront mis sur la table : reconnaissance mutuelle, incitation à la violence, frontières, réfugiés mais aussi les colonies. Tout, a-t-il assuré. Je suis prêt à prendre des décisions difficiles ».

Pour Pierrick Leurent, correspondant de France 24 à Jérusalem, cette contre-proposition a un double intérêt pour le pouvoir israélien : « C'est une manière de rejeter à la fois l'initiative française et aussi d'être à la manœuvre en reprenant la main sur les négociations de paix qui sont au point mort depuis deux ans et de proposer cette alternative qui convient beaucoup mieux aux Israéliens, c'est-à-dire des négociations directes ».

Benjamin Netanyahu est d'autant plus intransigeant que son gouvernement est en train de traverser une grave crise de confiance : le ministre israélien de la Défense, Moshé Yaalon, a démissionné avec fracas en fin de semaine dernière de ce poste stratégique et a remis ouvertement en cause la crédibilité de Netanyahu. « J'ai dit au Premier ministre qu'étant donné son comportement au cours des derniers évènements, mon manque de confiance en lui ». Quelle est la nature réelle des désaccords ? Le communiqué ne permet pas de le savoir mais c'est la confirmation que le gouvernement de Netanyahu est dans une phase dangereuse. D'une part, il y a un blocage total au niveau du conflit israélo-palestinien. Et d'autre part, il y a une constante droitisation de la scène politique israélienne. Devant la presse, M. Yaalon s'en est pris ensuite à ces « éminents politiciens » animés par « le cynisme et la soif de pouvoir », et gouvernés par « les échéances électorales et les sondages » plutôt que les valeurs morales. Il a dit ensuite son inquiétude pour la démocratie israélienne : « Malheureusement, des éléments extrémistes et dangereux ont pris le contrôle d'Israël et du Likoud et menacent la société », a-t-il affirmé.

Netanyahu a proposé immédiatement le poste de la Défense à Avidgor Lieberman, actuellement dans l'opposition mais surtout connu pour ses positions ultra-nationalistes et bellicistes.

Les innombrables pièces du contentieux

Le gouvernement Netanyahu s'inscrit plus généralement dans une longue tradition de refus de négociation avec les Palestiniens avec l'éternelle conviction qu'il ne faut en aucun cas céder, « une sorte de messianisme sécularisé qui consiste à penser que, si on attend encore un peu, l'autre côté va s'effondrer », explique le politologue israélien Denis Charbit.

La démarche française, positive au regard des nombreux blocages, va nécessairement soulever de nombreuses dossiers qui se heurtent aujourd'hui à un total blocage de Tel-Aviv : le démantèlement des colonies toujours illégales du point de vue du droit international ; la question des territoires occupés puisque l'ONU ne reconnaît que les frontières palestiniennes de 1967 ; le statut de Jérusalem considéré par le droit international comme la capitale des deux Etats.

À l'initiative de plusieurs pays arabes, le conseil exécutif de l'Unesco a adopté le 14 avril, avec la voix de la France, une décision sur la «Palestine occupée» visant à «sauvegarder le patrimoine culturel palestinien et le caractère distinctif de Jérusalem-Est». Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a condamné un texte «absurde». La motion avait été votée par la France mais Manuel Valls et François Hollande ont depuis pris une position très critique sur ce vote.

Manuel Valls avait auparavant quelque peu surpris les autorités palestiniennes en déclarant il y a quelques mois que l'anti-sionisme est « tout simplement le synonyme de l'antisémitisme et de la haine d'Israël ». Malgré sa sympathie affichée pour l'Etat israélien, le 1er ministre français a été reçu avec une extrême froideur par son homologue Benjamin Netanyahu.

Pour que ce déplacement soit équilibré, Manuel Valls s'est rendu dans les Territoires palestiniens où il a rencontré son homologue, Rami Hamdallah, le 1er ministre palestinien qui a salué l'initiative de paix française, le conflit israélo-palestinien étant selon lui « à l'origine de tous les conflits » de la région.

Etats-Unis : une position comme toujours mitigée

« Nous l'avons répété à plusieurs reprises, les négociations sont la seule voie pour résoudre le problème. Nous avons dit également qu'à ce stade, nous ne cherchons pas à relancer les négociations par nous-mêmes », a précisé le haut responsable américain lors de la rencontre du 18 mai en Égypte entre le secrétaire d'État américain John Kerry et le président Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier s'était dit prêt à aider à la relance du processus de paix entre Palestiniens et Israéliens, estimant que les deux parties se trouvaient face à une « réelle opportunité » pour y mettre fin et qu'une paix durable permettrait de réchauffer les relations entre son pays et Israël.

Après beaucoup d'hésitations, John Kerry a annoncé sa participation à la conférence de Paris, un problème de calendrier diplomatique de sa part, ayant eu comme conséquence de retarder de trois jours la tenue de l'initiative prévue initialement fin mai. Un texte américain qui doit être publié en fin de mois devrait signifier des critiques sévères à Israël sur la question des constructions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Mais Washington souhaite surtout rester l'intermédiaire historique «indispensable» entre Israéliens et Palestiniens. « Les Etats-Unis veulent préserver le vieux modèle triangulaire dans lequel ils représentent la principale tierce-partie. Même si ce modèle est totalement bloqué, explique Hussein Ibish, expert à l'Arab Gulf States Institute de Washington, les Etats-Unis ne veulent pas internationaliser le processus et souhaitent garder un rôle central. Ensuite, le pays ne croit pas qu'il y ait à l'heure à l'actuelle les conditions d'un succès et redoute, à raison, qu'un échec n'envenime les choses politiquement et sur le terrain ». Pour ce chercheur, un Barack Obama en fin de mandat ne prendra aucune mesure pesant sur l'allié israélien.

Et les autres candidats à l'élection américaine ?

Les actuels candidats suivent-ils la même ligne ? Affirmant qu'il « n'avait jamais rencontré une personne d'Israël qui ne voulait pas faire d'accord », Donald Trump a déclaré le 2 mai que s'il était élu président, il essaierait de négocier un traité de paix israélo-palestinien. Dans son discours, Trump a également déclaré que les Etats-Unis devaient utiliser leur poids en tant que financeur majeur pour demander que les Nations unies en fassent plus pour aider à résoudre le conflit. Mais le premier discours de politique étrangère de Trump la semaine précédente ne faisait pas mention du conflit israélo-palestinien autrement qu'en critiquant le président Barack Obama et le vice-président Joe Biden, qui seraient trop critiques de l'Etat juif. Et Trump veut faire de Jérusalem la seule capitale officielle d'Israël.

Côté démocrate, Hillary Clinton est bien connue pour ses positions pro-israéliennes. Devant l'AIPAC, l'American Israel Public Affairs Commitee (AIPAC), le principal lobby pro-israélien aux États-Unis, très orienté à droite, elle a prononcé « un discours qui a coulé comme du miel dans la bouche des auditeurs », selon Pascale Boniface de l'IRIS, l'ancienne Secrétaire d'Etat américaine a voulu se présenter comme la plus déterminée à soutenir Israël et ce, de façon inconditionnelle. Elle a proposé d'amplifier la coopération militaire américano-israélienne pourtant déjà largement développée. Hillary Clinton a cependant rappelé son soutien à la solution des deux Etats même si, apparemment pour elle, seule la partie palestinienne est responsable de sa non-réalisation.

« J'ai écouté le discours de Mme Clinton devant l'AIPAC. Je n'ai entendu pratiquement rien sur les besoins du peuple palestinien ». Seul le candidat démocrate Bernie Sanders privilégie une approche plus équitable vis-à-vis du conflit israélo-palestinien et prévoit de revoir les positions des Etats-Unis sur ses relations avec Israël et définit comme priorité pour Washington les droits des Palestiniens.