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Faute d'être féconde, la régression s'est durablement installée

par Farouk Zahi

«Etre patriotique ce n'est pas aimer son gouvernement mais aimer son pays» (Edward Snowden)

Lors du dernier forum économique algéro-britannique, notre pétillant ministre des Finances qui, à l'inverse de beaucoup de ses confrères dont la morgue nous est devenue familière, annonce à la cantonade que notre pays est parmi le peloton de tête en matière de développement humain si ce n'est le premier. Cette déclaration enflammée, aussi belle qu'un miroitement narcissique, ne trompe personne. Faut-il rappeler que le développement humain n'est pas que dans les chiffres avancés pour les besoins d'une reddition de compte pour une quelconque organisation onusienne, mais bien plus que çà. Il est dans l'amélioration des conditions socio-économiques certes, mais encore dans le bien être social sous-tendu par un mieux être culturel et pourquoi pas spirituel apaisé. En dépit des nombres impressionnants d'élèves, de lycéens et d'étudiants, que vivons-nous aujourd'hui ? L'anarchie ferait figure d'enfant de chœur au vu de cette anomie. A propos d'étudiants, et nous ne prenons pas cette catégorie à titre aléatoire, mais bien pour ce qu'elle présuppose comme norme éclairée dans une société, jadis, terrassée par l'illettrisme ; il faut observer ces cohortes déversées par les bus et qui traversent dans un élan panurgique la chaussée au risque de se faire renverser. La déchéance morale est visible à travers ces comportements insolents frisant l'indécence et ne tenant compte d'aucun canon de civilité ou d'urbanité. La personne âgée ou invalide n'a plus de place, à quelques rares exceptions, ni dans l'administration, ni dans les transports publics ni dans les lieux du? culte. Il s'est trouvé parmi des imams, des prêcheurs passés à tabac pour ne pas avoir satisfait à une obligation rituelle de pure forme et que d'aucuns apprentis sorciers en font un point d'honneur.

Dans les cafés populaires où, jadis, on pouvait siroter un café ou un thé sous le timbre d'une musique chaâbi ou du terroir, il n'est plus possible de deviser au milieu d'une clientèle en mal de convaincre par la tonitruance du verbe. La circulation automobile est devenue cette arène où l'invective est élevée au rang de prouesse ; mêmes les dames s'y mettent en toute ingénuité. Le bras tendu à travers la vitre et le majeur vers le haut, dispensent du bras d'honneur incommode. Cette gestuelle n'est pas le propre de conducteurs de vieilles guimbardes ou de malotrus camionneurs, mais de gens dont le port et le véhicule seraient au-dessus de tout soupçon. La balade familiale sacerdotale sur les boulevards mythiques du vieil Alger, qu'elle soit pédestre ou motorisée, n'est présentement qu'un vieux relent nostalgique. Il sera exceptionnellement rare qu'on puisse le parcourir sans viol de nos tympans par les obscénités et autres insanités infamantes. Quant à la restauration, il est rare de trouver un lieu où le menu n'est pas connu d'avance, grill où tournent des poulets ou broche de chawarma. L'imparable salle familiale est devenue un fait sociétal comme si le reste des lieux était malfamé.

Le vendredi, jour de l'obligation de prière collective avec sermon et génuflexions les plus courts possibles, est devenu le jour le plus mortifère de la semaine pour la collectivité nationale. En matière de grève générale, on ne fait pas mieux. Que faire donc à part les tribunes bruyantes des stades ou les moroses jardins publics. Point de salles obscures comme jadis, encore moins de théâtre ou autre loisir ludique. Les jeunes auront à choisir entre le « pousse-ballon » ou le « joint » dans les cages d'escaliers. Quant aux séniors, ils auront assez de ressources pour s'agglutiner autour d'un jeu de dominos assis sur de vieux bidons de peinture et pas loin d'un tas d'immondices. Les plus évolués joueront à la pétanque si un semblant de boulodrome existe. La gente féminine a trouvé son compte dans la rustique « Maruti » quand elle a pu l'acquérir au prix de privation ou de crédit bancaire, elle fera avec le tour de ses copines pour épater ou les supermarchés pour frimer. Les autres, envieuses, se contenteront des « dourouss » télévisuels pour se donner bonne conscience ou attendront avec impatience le dernier épisode de « Mohanad » ou « Lamiss » du Bosphore.

Les jeunes, issus de la jet-set des quartiers huppés des grandes agglomérations, ceux-ci ont trouvé depuis fort longtemps que le pays est amusant et que leurs géniteurs sont toujours là pour les financer ou couvrir leurs frasques orgiaques. Quand ils auront exagéré, ils trouveront la planque que « Papaaaa » leur a aménagée à Nice ou au parc Manceau. Cette aristocratie de couvoir n'est cependant pas exempte de la rustrerie primaire ambiante, elle baigne dans les mêmes étangs putrides de la gouaille et l'esbroufe. Une autre jeunesse dorée, idéologiquement opposée à la première, est tournée vers l'Orient des fastes du brocard et de la bonne chair. Elles s'abreuvent aux sources de l'Islam, non pas originel, mais celui de Mo'aouia ou l'accumulation des richesses, mêmes mal acquises, par la « tidjara » (négoce), est bénie, selon les savants du Fik'h. Elle fera de sa lune de miel, un voyage cultuel sous forme de « Omra » à l'issue duquel, une virée dans les souks de Dubai ou de Abou Dabi clôturera le périple. Le modèle le plus accompli, est cette expérience vécue par un ancien cadre supérieur des services de santé, qui pris d'un malaise, s'est présenté au service des urgences de cardiologie d'un CHU des hauteurs d'Alger où il eut le bonheur d'y trouver deux résidentes de la spécialité. Il a dû vite déchanter car les deux praticiennes n'avaient pas le droit religieusement, disaient-elles, d'examiner un homme. Plus régressif que çà, tu meurs !

Cette progéniture instruite, très instruite même, mais sans fondement culturel, se prédestine à la conduite des affaires du pays. Son drame et le nôtre, sera celui de la transposition de ses revers dans des audiences extranationales et pour lesquels l'image du pays en prend à chaque fois un sacré coup. Aidée par les réseaux sociaux à titre gracieux, la piètre image que renvoie notre « élite » n'aura même pas l'avantage du temps de latence, elle se fera en temps réel. Cette image a, malheureusement, été donnée en live lors du forum cité précédemment. Un pays qui chantait la libre expression il y a à peine quelques jours, se déjuge en empêchant un opérateur économique de s'exprimer en public. Si ce n'est pas de l'autoritarisme, comment peut-on appeler çà ? Et ce n'est pas la police politique qui est l'auteur de la belle œuvre, mais un hôtelier (BCBG) qui en a été le maitre de cérémonie. Le chantage économique est une redoutable arme de guerre entre les mains de gens qui ne réalisent pas encore qu'ils ne sont que dépositaires d'une autorité. Ils sont déjà dans la possession acquisitive. Un vieil adage du terroir restituait fidèlement cet état d'esprit par cette truculente réplique : « Je ne suis pas dans le potager de ton père ! ». Une manière tranchée de dire que la chose est un bien communautaire.