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Juin 2016 : la 18ème tripartite sur fond de roulette russe !

par Cherif Ali

Le pays a moins besoin de devises que de règles claires, publiques et transparentes dans le fonctionnement quotidien de l'économie ! (Abed Charef).

Ces jours-ci, du côté du gouvernement, on ne parle que de relance économique, mais le discours reste, pourtant, inaudible à en juger par la grogne des travailleurs qui est à son paroxysme face à la spirale de l'envolée des prix qui n'a pas de limites, a fortiori à l'approche du mois sacré du ramadhan.

C'est sur ce fond, clair obscur, que s'est faite l'annonce de la tenue d'une tripartite, la 18ème du nom. Elle pourrait avoir lieu le 5 juin prochain selon le secrétaire général de l'UGTA qui a repris à son compte l'information donnée auparavant par le Premier ministre.

En réalité, depuis 1991, date de la première tripartite qui s'est déroulée dans des conditions économiques et politiques particulières, des réunions, aussi stériles qu'interminables, qualifiées de marathoniennes pour donner l'idée de négociations ardues ont meublé ce type de rencontres triangulaires, mais, les décisions étaient prises d'avance, en règle générale, ou sous la pression, du Fond Monétaire International (FMI), pour ce qui a été de la tripartite de 1991.

Mais, comme à chaque « triangulaire », Sidi Saïd, le patron de l'UGTA, s'approprie le premier rôle pour éblouir des travailleurs exsangues, mais néanmoins, sensibles au moindre dinar d'augmentation agité sous leur nez. Même si le Salaire National Minimum garanti (SNMG) a triplé depuis 12 ans, passant de 6000 dinars à 18000 dinars, il est loin de confier aux travailleurs un pouvoir d'achat conséquent, en rapport avec l'inflation à deux chiffres (8,9% en 2012) que connait le pays aujourd'hui.

Des tripartites passées, il faut cependant rappeler que la seule fois où les choses ont été prises en compte, sérieusement, c'est le 28 mai 2011 où fut organisée une session spéciale consacrée « à la recherche des voix et moyens pour soutenir le développement de l'entreprise économique et améliorer le climat des affaires ».

Discours redondant, sinon comment expliquer que depuis des décennies que l'on parle d'entreprise et de favoriser la production nationale et de la diversifier afin de sortir du statut de pays exportateur de gaz et de pétrole et d'importation de Khordawates, les choses sont restées en l'état ! Ce qui a fait dire à un chroniqueur, Mustapha Hammouche, pour ne pas le nommer « on fête l'industrialisation du pays au sortir de la tripartite passée ; vous ne la voyez pas, mais nous y sommes déjà ! ». C'est là, l'un des effets pervers et démagogique du discours politique de nos responsables au pouvoir !

? Pourquoi n'arrive-t-on pas à mettre en place des politiques économiques viables ?

? Faut-il, pour autant, revenir au bon ministère de la planification, pour mettre de l'ordre dans ce «désordre» ?

On a le sentiment que l'Etat, les pouvoirs publics manifestent un manque d'intérêt à l'égard des différents outils « d'aide à la prise de décision », à l'exemple de la prospective, de la planification et de l'information économique. Pour l'heure, le ministère délégué au Trésor et à la Prospective confié à Hadji Baba Ammi n'a pas encore dévoilé les axes sur lesquels il travaille ! Il faudrait, peut-être, attendre le « nouveau plan économique » du gouvernement pour y voir plus clair.

En attendant, force est de constater que les investisseurs algériens ne trouvent aucun intérêt, ou si peu, pour aller vers la production nationale, vers la création de la richesse et de l'emploi ; il ne faut pas s'étonner, encore moins s'attendre à ce que les investisseurs étrangers, qu'il y ait la règle du 51/49% ou pas, fassent preuve de plus d'engagement !

Pendant ce temps-là, l'informel qui est le plus grand problème du pays après la dépendance aux hydrocarbures, prospère ! Les barons de l'import-import aussi !

Les entreprises publiques sont menacées de disparition, et les conflits s'intensifient même s'ils sont toujours perçus négativement alors qu'ils portent sur des revendications socioprofessionnelles, avérées. L'UGTA se contente d'observer les grèves pendant que les syndicats, autonomes agissent et gagnent en crédibilité, même si, faut-il l'admettre, l'action de certains d'entre eux n'est pas dénuée d'arrière-pensée politicienne.

La 18ème tripartite, intervient, faut-il le dire, dans une conjoncture difficile, nonobstant le slogan de « la solidarité » qu'on lui a imputé. Solidarité pour qui ? Et avec qui ?

Celle des travailleurs et des chefs d'entreprises qui sont invités à apporter leur appui à la « nouvelle politique d'austérité » prônée par le gouvernement !

L'information a été confirmée par le ministre du Travail, Mohamed El Ghazi, qui l'a affirmé sans ambages : « la tripartite à venir ne sera plus cet espace dédié à la satisfaction des revendications syndicales ; il n'y aura pas d'augmentation des salaires et le SNMG ne sera pas révisé ! ».

En clair, la période des vaches maigres est arrivée et c'est aux travailleurs et aux citoyens de trinquer ! Et comme pour ajouter une touche au climat anxiogène ambiant, le représentant du FMI pour la région Mena et Asie Centrale, Jean François Dauphin, s'est invité dans le débat pour dire, tout d'abord, « qu'il ne s'attend pas à une amélioration rapide des marchés pétroliers », et pour préconiser ensuite, « un ajustement soutenu et des réformes de grande ampleur pour notre pays. Dans tous les secteurs ! ».

En vérité, notent les observateurs, les recommandations de l'envoyé du « fonds » n'étonnent guère, surtout pas le gouvernement qui, pour l'instant, hésite à aller vers des mesures impopulaires. Paix sociale oblige !

A moins de vouloir jouer à la «loterie russe» !

Rappelons que la roulette russe est un jeu de hasard, potentiellement mortel, consistant à mettre une cartouche dans le barillet d'un révolver, à tourner celui-ci de manière aléatoire, puis le pointer sur sa tempe avant d'actionner la détente. Si la chambre placée dans l'axe du canon contient une cartouche, elle est alors percutée et le joueur perd (il mourra, ou sera grièvement blessé) ; dans le cas contraire, la partie continue et un joueur ne peut gagner que par forfait (volontairement déclaré ou par la force des choses).

Par extension, cette expression désigne une décision importante, voire vitale, prise avec beaucoup de risques, comme celle, dit-on, que s'apprêterait à prendre le gouvernement en matière « de ponctionnement des salaires des fonctionnaires », ou pour entériner des réformes repoussées jusque là pour des considérations sociales et politiques ; le gouvernement devra, dans un premier temps, obtenir l'accord de l'UGTA et des autres syndicats pour les convaincre, par exemple, de passer à une autre étape dans la réforme du monde du travail et du système de protection sociale. Et au patron de la centrale syndicale de convaincre, ensuite, les Algériens de renoncer aux subventions de toutes sortes et aux transferts sociaux qui vont être revus et ciblés !

Il sera aussi question de retraite dont l'âge de départ sera, semble-t-il, repoussé à 63 ans compte-tenu du déficit de l'ensemble des caisses.

La 18ème tripartite ne s'annonce pas sans risque et la pilule risque de ne pas passer « dans un pays pauvre se croyant riche », comme l'avait fait remarquer l'ancien ministre des Finances Abdelatif Benachenhou qui, dans un récent entretien, a fait part de son opinion au sujet des risques qui pèsent aujourd'hui sur l'économie nationale.

Malgré des investissements colossaux entrepris depuis une quinzaine d'années, la moyenne de la croissance globale a oscillé entre 3 et 3,5%, sous réserve de l'exactitude des statistiques délivrées par l'Office National des Statistiques. L'ex-ministre explique cet état de fait par la prédominance de l'investissement public, autrement dit, de la dépense financée par le budget de l'Etat qui, n'a profité qu'aux entreprises étrangères. Il considère, par ailleurs, qu'on enregistre un déficit global du trésor public depuis plusieurs années couvert par les décaissements du FFR et les ressources des collectivités locales.

C'est une situation loin d'être normale pense Abdelatif Benachenhou qui lance l'alerte : si rien n'est fait pour y remédier, l'année 2030 sera porteuse de grandes difficultés pour le pays, a-t-il conclu dans son entretien.

Est-ce à dire que rien n'est perdu pour l'instant et que, somme toute, c'est encore jouable ?

A croire le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, « l'Algérie maitrise, toujours, les grands équilibres macroéconomiques internes, en dépit de la baisse du prix du baril de pétrole qui oscille entre 30 et 35 dollars ».

Pourquoi dans ce cas-là s'adresse-t-on aux travailleurs pour renflouer les caisses de l'Etat alors que des niches fiscales sont toutes désignées pour contribuer au redressement financier recherché.

Le patron du Forum des Chefs d'Entreprises, Ali Haddad s'est engagé, pour sa part, à contribuer au redressement économique du pays. Faut-il lui en donner acte alors que le secteur privé qu'il représente, ne fait que profiter des largesses du gouvernement, en matière de foncier et de baisse de la pression fiscale ?

Il est vrai que le FCE déplore le retard pris dans la concrétisation sur le terrain de la réforme du système financier et bancaire et l'absence de prospectives pour les secteurs maritimes et portuaires l'investissement productif en Algérie, ne représente que 2% du PIB hors hydrocarbures et hors dépenses publiques. De plus, comment va-t-on aborder cette question de relance de l'investissement alors que perdurent, encore, le blocage de l'information économique, le recours obligatoire au Credoc et l'absence d'efficacité des chambres de commerce, qui sont autant d'obstacles empêchant la relance de l'investissement ?

A l'évidence, on continuera, dans notre pays, à se rejeter la balle longtemps : ce n'est pas moi c'est l'autre, ou l'éternelle chicanerie du rôle de l'Etat régulateur, de la responsabilité des producteurs, de la non maîtrise des prix des matières premières qu'on ne produit pas, de l'anarchie de la consommation, de la faiblesse de l'agriculture, de l'industrie, etc.

Côté gouvernement, c'est l'expectative même s'il en résulte en cette période cruciale la nécessité d'en revoir la composante, car la fin de la dérive populiste a sonné ! Il faut des ministres jouissant de profils plus adaptés à cette nouvelle conjoncture. Jusqu'ici, on a puisé dans le corps des walis habitués à gérer des gros budgets d'équipement et de fonctionnement. En vérité, des sommes colossales dégagées dans l'urgence lors des précampagnes électorales qui ont réduit ces mêmes walis à se comporter en « conducteurs de travaux », ni plus, ni moins. Et surtout à consommer les crédits, coûte que coûte ! Une fois nommés ministres pour certains d'entre eux, ils ont été rattrapés par le « syndrome de Peter » selon lequel arrivé à un certain niveau de promotion, la compétence initiale finira par devenir un élément de blocage !

Aujourd'hui, un ministre siégeant dans un gouvernement de « crise et de combat », gérant un pays et non plus réalisant un bon de commande, sera confronté :

1. à la limitation des ressources publiques, ce qui le poussera à rationnaliser ses programmes, et à les défendre, bec et ongles devant le président de la République et ses pairs du gouvernement pour en obtenir l'inscription et partant le financement

2. à la nécessité de réhabiliter et d'entretenir l'outil de production nationale, de favoriser l'émergence des PME/PMI et de veiller aussi à la bonne utilisation du foncier industriel pour créer la richesse.

3. à l'obligation d'encourager et d'associer les compétences nationales

Le redressement du pays n'est qu'à ce prix !